Nombre de livres écrits par des dirigeants, des managers, des directeurs ont pour but de justifier leur action passée ou présente. Ils sont souvent l’œuvre de dirigeants sur le départ voire à la retraite. Et l’on y retrouve un schéma identique : « Le pari était difficile, mais je l’ai tenu. » Et de nous relater force situations de crises surmontées, de nous expliquer leurs stratégies, leurs réussites. Parées de quelques échecs qui ne font que faire ressortir leur talent. Tout autre est le livre de Clément Bosqué : Petit traité sur la fonction de direction dans le secteur social. On ne comprend qu’à la fin du livre qu’il parle de lui, de son expérience, dont on ne saura rien d’ailleurs, tant les cas sont exemplarisés, ramenés à leur sens universel, anthropologique. Il y a un style patristique chez ce jeune directeur qui ne manquera pas de faire sourire les adeptes du tutoiement et du nivellement culturel.
Clément Bosqué
Auteur du "Petit traité sur la fonction de direction dans le secteur social" aux éditions CHAMPS SOCIAL Editions.
Clément Bosqué est agrégé d'anglais, formé à L'EHESP et au CNAM.
Il a dirigé plusieurs établissements de protection de l'enfance et dirige actuellement le site de l'IRTS Île-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne.
Il a donné le cours sur la "fonction de direction" pour les étudiants de Master Management des Organisations Sanitaires et Sociales de l'université Sorbonne Paris Nord.
Apprendre à diriger, un chemin de vie
Le livre n’est pas un énième journal de bord d’un directeur vainqueur ou vaincu, on comprend in fine qu’il est le fruit d’un véritable retour sur soi, d’une sorte d’introspection non pas psychologique, mais philosophique, éthique. Même si modestement Clément Bosqué s’interdit de trop utiliser ce mot et ne se décrit sûrement pas comme le directeur d’un « organisme mission » comme les nouveaux managers du CAC 40.
Dans sa conclusion, il décrit la fonction de direction comme un combat contre soi, une façon de s’élever moralement.
« Je crois qu’il y a une responsabilité humaine et si l’on veut sociale du directeur dans n’importe qu’elle organisation de s’efforcer à s’élever moralement et à se structurer affectivement. Si diriger est à bien des égards un combat, c’est peut-être essentiellement contre soi et pour la découverte de soi un agon. » p. 115
Il ne faut donc pas s’attendre en ouvrant ce court ouvrage à un manuel de management ou à une boite à outils pour directeurs. Pour l’auteur, diriger est plus que manager :
« si le management, c’est-à-dire la capacité à animer des équipes, est bel et bien une compétence nécessaire pour diriger, diriger ne se résume pas à manager ». p.13
Diriger pour l’auteur est en quelque sorte un un art, presque un art de vivre, « une conduite ». Il reviendra d’ailleurs sur cette comparaison à la fin de l’ouvrage, en reprenant cette phrase de Sénèque, particulièrement forte en ces périodes de réflexion sur le rôle des médecins : « Le sage a envers tous les hommes la même disposition que le médecin envers ses malades. »
On pourrait donc s’attendre à une réflexion dite humaniste telle qu’on nous la sert de toutes parts : empathie, participation, management collaboratif, partage émotionnel etc. Et bien non. Ou alors c’est un humanisme au sens étymologique du terme, une plongée dans l’humus, une attitude d’humilité.
Non, Clément Bosqué est old school, il pense et il dit que le directeur incarne l’autorité. Il dirige. Reprenant une phrase de Bergson, Bosqué pense que le directeur est celui qui « agit en homme de pensée et pense en homme d’action ».
Et comment se noue cette potion faite de pensée et d’action ? par la rhétorique justement. Par la capacité du directeur à comprendre la narration qui constitue l’institution qu’il dirige (chapitre 1, Comprendre où l’on est), en saisir l’héritage sans en être l’héritier prisonnier.
Le directeur hérite de l’épopée institutionnelle, il ne doit pas s’en faire l’héritier.
Clément Bosqué
En se situant dans sa fonction de transmetteur, de passeur en quelque sorte. Sans sacraliser l’ancien monde, sans se projeter dans un nouveau monde jamais advenu, mais en étant là, au présent.
Je disais que la rhétorique était pour Bosqué l’instrument principal de la direction. (chapitre 2, Expliquer ce que l’on fait). Est-ce à dire que la fonction de direction serait simplement un rôle, au sens le plus péjoratif du terme. D’aucuns ne manqueront pas de reprocher à ce jeune directeur sa conception de l’institution :
L ‘organisation est une représentation, un spectacle perpétuel. Une œuvre humaine où tout fait écho. Les réunions, instances, moments d’échange sont, ainsi, de véritables pièces de théâtre à l’intérieur d’une plus vaste pièce de théâtre institutionnelle que chacun joue individuellement et collectivement.
Clément Bosqué
Dans un milieu professionnel encore tout enserré dans le jargon de l’authenticité, voilà qui va faire frémir quelques bonnes âmes. Comment, un directeur qui ne croirait pas au sens profond de sa mission ? Qui ne penserait pas être le sauveur, l’ami, le frère, le père ? Eh bien non, Clément Bosqué ambitionne tout simplement d’être le « dit-recteur ». Celui qui dit et qui dit non pas soi, mais ce qui est au-delà de soi. L’art de la rhétorique, est l’art de dire. Et non pas l’art de dire la parole la plus juste, la plus vraie, la plus rationnelle.
« Il est un biais répandu chez les décideurs et donc les directeurs : celui de croire qu’on persuade par le raisonnement et d’un seul coup ».
Non, de dire la parole qui va être entendue. En pratiquant notamment la répétition, ce qu’il appelle « la tactique du disque rayé » !
L’auteur nous ramène à son éthique du renoncement à l’ego
Est-ce à dire que la fonction de dirigeant serait pure séduction ? non point. Là encore, l’auteur nous ramène à son éthique du renoncement à l’ego :
Pour Bosqué, le positionnement du directeur par rapport à soi est le renoncement à une facilité d’être, à l’illusion que son travail lui appartient, renoncer à l’idée qu’il peut se passer de la contrainte, de la menace.
« Diriger ce n’est pas que gérer. C’est aussi jouer ce que Vigny appelait « la comédie nécessaire de l’autorité ». »
On le voit le chemin de vie et de pensée que nous trace Clément Bosqué est en quelque sorte une ascèse : ne pas vouloir du passé faire table rase, s’inscrire dans l’épopée en cours, sans l’accaparer, sans la rejeter. En faisant avec.
Ne pas entraîner les autres en les convainquant qu’on a trouvé le meilleur chemin, mais simplement en traçant ce chemin de multiples façons, dans les langues de chacun.
Et tout ceci pour aboutir à une conception encore plus humble du rôle de directeur, une fonction qui n’est plus sa propriété, mais une fonction qu’il incarne. (chapitre 3, Savoir (ne pas) diriger).
« Ce n’est pas vous qui dirigez. Quelque chose dirige »
« Diriger non pas au « nom de l’institution », mais l’institution dirigeant au travers de vous. »
« Honorez donc ce rôle précisément parce qu’il n’est pas à vous, mais qu’il est un bien que vous transmettez à votre successeur et que vous teniez de votre prédécesseur ».
On pourrait alors imaginer que Bosqué se situe en quelque sorte dans une idéologie, qu’il se sentirait une âme de messie ou de prophète. Rien de plus éloigné de sa conception.
Bosqué travaille au présent, dans l’institution telle qu’elle est et telle qu’elle est déterminée par l’environnement dans lequel elle se trouve : son conseil d’administration, sa tutelle, le cadre juridique, les contraintes économiques, l’objet social etc. Il y travaille avec les collaborateurs tels qu’ils sont. La plupart du temps en convainquant, parfois en « mordant », notamment ceux pour qui les dysfonctionnements constituent le moteur de leur statut professionnel.
Mais il ne se perd pas dans un passé enchanté ou au contraire perpétuellement recomposé comme il ne se projette pas dans un futur utopique.
« C’est bien au présent que tout se joue et que l’on attend le directeur. Nul ne sait de quoi demain sera fait. Inutile d’espérer un lendemain libre ou dégagé de toute catastrophe. La catastrophe, c’est l’attente ». p. 96
L’ouvrage se nomme « Petit traité sur la fonction de direction dans le secteur social »
Et pourtant l’on n’y entendra parler ni des pauvres, ni des handicapés, ni même des travailleurs sociaux ou de la bureaucratie sociale.
Est-ce à dire que Bosqué penserait qu’on est directeur dans le secteur social comme on pourrait l’être dans n’importe quelle institution, voire entreprise ? oui et non.
Oui, parce qu’il ne justifie jamais sa fonction au nom d’un hypothétique devoir être, d’un bien pour les autres, d’une mission. On ne trouvera pas plus de logorrhée sur le « sens » du métier, le service public etc.
Non, parce que être ce directeur là, celui qu’il aspire à être, implique une mise au service du bien commun sans qu’il soit besoin d’en faire une justification de sa carrière personnelle comme le font trop de fonctionnaires.
L’on sent en arrière-fond de sa réflexion quelque-chose qui est de l’ordre de l’engagement, de l’adoubement.
La fonction du directeur est certes gestionnaire, managériale, mais elle est également symbolique
Clément Bosqué parle de la fonction de direction comme requérant une noblesse d’esprit et d’attitude. Noblesse au sens féodal du terme, le directeur se situant dans une organicité sociale. Le secteur social acquiert dès lors une dimension sociétale bien au-delà de la simple gestion de la redistribution des biens matériels. La fonction du directeur est certes gestionnaire, managériale, mais elle est également symbolique, elle est un des rouages de l’échange symbolique qui permet à l’institution de vivre.. On admirera comment l’auteur expédie d’une petite phrase toute cette idéologie du social qui justifie avant tout le statut de ses travailleurs : pour lui le dit recteur doit énoncer « « Les vérités qui tonnent d’elles-mêmes » (Saint Simon) : si vous travaillez dans le secgteur non lucratif, rappelez par exemple que votre structure n’a pas vocation à faire des bénéfices, mais qu’elle n’a pas non plus vocation à générer des déficits ». Point n’est besoin d’en dire plus !
Écrit souvent à la deuxième personne du pluriel, s’adressant ainsi à de jeunes apprentis directeurs, cet ouvrage s’inscrit dans une forme d’apprentissage par l’accompagnement, le compagnonnage. Par la narration justement. C’est ce qui fait que ce livre composé pour large part de références à des auteurs passés a une telle fraicheur. Loin d’être confit en dévotion de nos idoles managériales et autres recherches de sens, Clément Bosqué suit pour nous un chemin original et bien balisé par tous ceux qui depuis l’antiquité se sont posés ces mêmes questions de l’autorité et de la façon de l’exercer.
Ne connaissant pas le bouquin, parce que ça n’est absolument pas ma tasse de thé, je m’appuies donc uniquement sur le narratif du taulier et je suis désolé de lui dire que tout ce qu’il raconte ici ne confine qu’à une chose, l’exécution no matter what des ordres venus d’en haut, sans aucune discussion ni état d’âme et pire, aucun questionnement personnel sur la destination de ces ordres qui seront exécutés les doigts sur la couture du pantalon – en un mot, un éloge de la pire servilité qui soit, celle que l’on retrouve dans le procès de Nuremberg avec sa réponse standard : “je ne faisais qu’exécuter les ordres”.