La nation est-elle vraiment l'ennemie du libertarisme, de Hayek, de Bastiat, et de leurs disciples, comme le suggèrent de nombreux détracteurs de ces approches ou de ces pensées ? Nous souhaitions compléter une réflexion engagée cette semaine dans nos colonnes par quelques rappels de la façon dont les fondateurs du libertarisme ont posé la question du nationalisme et de la souveraineté. Un petit détour qui n'est pas inutile par ces temps troublés, pour échapper aux stéréotypes de l'époque.
Dans l’imaginaire contemporain, la nation et le libertarisme (au sens large, ce que l’on pourrait appeler le libéralisme “classique”) ne font pas très bon ménage. Beaucoup opposent même par principe ce que l’on pourrait appeler le nationalisme et les idées libérales, au sens large. Michel Keyah a engagé le débat sur cette question hier dans nos colonnes. Nous voulons poursuivre sa réflexion.
Le raisonnement binaire qui oppose liberté et nation ne correspond pas à l’histoire des idées telle qu’elle se présente aujourd’hui. Voici pourquoi.
Nationalisme contre libre-échange ?
L’élément critique essentiel qui oppose la pensée libérale et la nation tient à la notion de libre-échange, telle qu’elle est mal comprise aujourd’hui. Dans l’imaginaire contemporain, les libéraux seraient opposés aux frontières et aux nations parce qu’ils sont partisans d’un libre-échange entre les nations. D’où l’accusation de mondialisme ou de cosmopolitisme qui leur tient au corps.
À ce stade, on relèvera juste que, pour qu’il y ait libre-échange, il faut qu’il y ait pluralité de nations. Rien n’est plus hostile au libre-échange qu’un monde regroupé dans un seul État qui serait susceptible d’uniformiser les marchés. Rien n’est plus favorable au libre-échange qu’une multiplicité de nations bien décidées à commercer entre elles.
Il faut distinguer ici deux notions fondamentales : l’État-nation et le marché. Ce n’est pas parce qu’il existe plusieurs États-nations que le marché unique ou en voie d’unification est impossible. Ce n’est pas parce qu’il y a un marché unique que les États-nations se dissolvent ou se diluent. Ceux qui le contestent considèrent implicitement que le fondement de l’État repose sur l’existence d’un marché, ce qui est éminemment contestable. Comme si l’Etat et le marché ne faisaient qu’un.
La preuve par Hayek, prophète des errements européens
Les interprètes du libéralisme qui contestent la valeur de l’État-nation citent volontiers le fameux extrait de La Route de la Servitude de Hayek où l’économiste autrichien considère que le nationalisme est l’antichambre du socialisme (page 105 de l’édition des PUF), pour preuve de l’opposition entre le libertarisme et le nationalisme. Mais, plus loin dans le livre, on trouve cette phrase qui remet les pendules à l’heure (page 165 de la même édition) :
Ceux qui traitent si cavalièrement les droits des petites nations ont cependant raison sur un point : nous n’aurons après cette guerre ni ordre ni paix durable si les Etats, petits ou grands, reprennent leur souveraineté illimitée dans le domaine économique. Mais ceci ne veut pas dire qu’on doive accorder à un nouveau super-Etat les pouvoirs que nous n’avons pas su utiliser judicieusement même à l’échelle nationale, ni qu’une autorité internationale doive disposer de pouvoirs lui permettant de prescrire aux nations l’emploi de leurs ressources. Il s’agit simplement de créer un pouvoir capable d’empêcher les différentes nations de faire du tort à leurs voisins (…).
Les lecteurs intéressés par cette question pourront se reporter au chapitre “Les perspectives d’un ordre international” dans cet ouvrage essentiel de Hayek. L’économiste y explique clairement sa vision : l’émergence d’un multilatéralisme ne doit pas viser à créer une sorte de super-État qui dépouillerait les nations de leur identité. Elle doit simplement viser à désamorcer la tentation totalitaire à laquelle l’Allemagne a succombé entre 1933 et 1945, de placer l’économie sous le contrôle des politiques pour en faire une économie de guerre.
L’objectif prôné par l’économiste autrichien est d’empêcher l’émergence d’une structure multilatérale capable d’écraser les individus sous le poids d’une machine politico-industrielle partisane. Sur ce point, Hayek formule une proposition indissociable du cadre très particulier fixé par l’époque où il écrit la Route de la Servitude. Le monde sort du nazisme, il affronte le stalinisme, et la crainte est d’affronter un mastodonte étatique multilatéral qui étoufferait les libertés.
La critique de Hayek consiste à se prémunir par avance contre une telle survenue. Sur ce point, Hayek se montre un ardent défenseur des “petites nations” qui risqueraient d’être opprimées par un monstre “super-étatique”. Il accusait d’ailleurs Adolf Hitler de vouloir établir un ordre supra-national toxique pour les autres Etats, ce qu’on peut difficilement contester.
Factuellement, en tout cas, Hayek n’a certainement pas défendu la création d’un “Etat” supra-national, pas plus qu’il n’a combattu l’existence de “petites nations”. Il a simplement prétendu que les relations internationales seraient plus équilibrées si certains États n’abusaient pas de leur puissance économique pour écraser les autres.
Sur ce point, on peut penser qu’Hayek avait eu un pressentiment lucide de ce que pourrait devenir l’aventure européiste dans l’hypothèse où ces fondamentaux ne seraient pas rappelés. En tout cas, et rétrospectivement, il apparaît comme un ardent défenseur des “petites nations” contre les monstres plurinationaux, signe que l’opposition entre la pensée libérale classique et la nation est complètement contrefaite.
Nation et Etat
L’une des raisons pour lesquelles la pensée des libertariens en matière de nation, ou de nationalisme, est si mal comprise, tient à la confusion entretenue entre nation et État, et entre souveraineté et “puissance”, comme le disait Frédéric Bastiat.
Pour reformuler ce problème théorique autrement, on peut dire qu’être Français ne se résume pas à être un usager du service public en France. On peut même penser que la qualité d’administré ne suffit pas à qualifier quelqu’un de “Français”. Être français signifie bien autre chose, à commencer par l’adhésion à un mode de vie “discret” qui ne se manifeste pas par une orthopraxie contraignante : on peut être français en mangeant ou non du porc, en mangeant ou non de la viande, en buvant ou non du vin. En revanche, on ne peut pas être saoudien en assumant publiquement de boire du vin, on ne peut pas être israélien en assumant de manger du porc.
Ces différences citées pour leur valeur symbolique ont un mérite : elles montrent qu’il ne suffit pas d’être administré par l’Etat français pour être français, et qu’être français suppose une éthique très différente de ce qui peut exister dans d’autres Etats. Dans tous les cas, confondre la nation et l’Etat n’a pas de sens, particulièrement en France, terre où l’on a l’habitude de rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu.
Il nous semble que cette différence sémantique majeure rappelle que revendiquer une neutralité économique de l’Etat ne signifie nullement lutter contre la “nation”. On peut être libéral économiquement et souhaiter une affirmation nationale. Tout, dans ce domaine, réside dans la signification des mots, et dans leur clarification.
Si certains pensent que l’affirmation de la nation passe naturellement par une affirmation de l’Etat, il faut qu’ils s’interrogent sur le sens qu’ils donnent au mot “nation”, car ils ont probablement commis une erreur, ou une confusion.
Souveraineté, puissance et libre-échange
Identiquement, les partisans de la “nation” se présentent aujourd’hui comme des adversaires du libre-échange : comme si supprimer les barrières protectionnistes remettait en cause le sentiment que l’on pouvait avoir ou non d’être Français, comme si être Français devait signifier forcément des impôts particuliers pour les produits fabriqués à l’étranger.
Là encore, la lecture des anciens nous est d’un précieux secours. En l’espèce, il suffit de fureter dans les textes de Frédéric Bastiat pour comprendre la distinction entre l’illusion de la puissance nationale par le contrôle étatique de l’économie, et la défense de l’intérêt national.
Nous laisserons chacun ici se reporter aux publications de notre libertarien landais pour approfondir ces notions. Reposons simplement la question telle que Bastiat la formulait : le protectionnisme vise-t-il à protéger les consommateurs nationaux ou les producteurs nationaux ? Bastiat montrait avec beaucoup d’intelligence qu’une taxe sur les importations détournait l’argent des consommateurs français vers l’Etat pour protéger certains producteurs français. En aucun cas, il ne s’agissait de défendre la nation, mais bien d’animer le fantasme d’une puissance industrielle nationale en taxant les consommateurs français.
Dans la pratique, le protectionnisme nourrit le fantasme qu’il taxe les entreprises étrangères. En réalité, il taxe les consommateurs nationaux. Le protectionnisme ne fait donc pas payer les étrangers, mais les Français, au nom d’une croyance dans la puissance nationale.
Cette taxation ne se justifie pas par les intérêts de la nation française, mais par la conviction naïve que l’impôt prélevé par l’Etat garantit la puissance de la nation, alors qu’il protège seulement quelques industriels qui privatisent les bénéfices. En aucun cas, le protectionnisme n’apporte de bien-être à la nation, il lui retire simplement du pouvoir d’achat et de la qualité de vie, pour la satisfation de quelques-uns.
C’est donc une erreur naïve de confondre la protection du marché et la souveraineté du pays, comme c’est une erreur naïve que de confondre la politique de puissance industrielle avec la protection du consommateur. De même que l’Etat n’est pas la nation, pas plus qu’il n’est le marché, de même, la souveraineté n’est pas la puissance industrielle ni la taxation du consommateur.
Libertarisme et nation : des marges de manoeuvre
Pour peu que nous prenions un peu de distance avec les équations fausses d’un certain souverainisme qui confond des notions très différentes, on comprend que l’on peut être libéral sans prôner la dissolution des Etats-nations dans de grands ensembles cosmopolites, multilatéraux, ou globaux. Les auteurs libéraux classiques ont même ouvertement prôné la préservation d’Etats-nations concurrents plutôt que leur remplacement par une technostructure transnationale.
En revanche, la pensée libertarienne suppose non pas une analyse économique compliquée, mais un retour philosophique aux choses. Quand on parle de nation, parle-t-on d’Etat ? quand on parle de souveraineté, parle-t-on de puissance industrielle ? La solution à ces questions relève bien de ce que Molinari, disciple de Bastiat, appelait les “sciences morales” : celles qui nous demandent de penser et de décider librement.
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