Total, pour obtenir des amendements qui lui sont favorables, déploie une intense activité de lobbying, qui s’appuie largement sur le recrutement de hauts fonctionnaires. Ceux-ci sont ensuite chargés de porter la “bonne parole” auprès de leurs anciens petits camarades. L’examen des curriculum vitae concernés est riche d’enseignement. En voici quelques illustrations.
Auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), Total publie l’intéressante liste de ses collaborateurs en charge de l’influence auprès des décideurs publics. En parcourant la seule liste de Total SA, on trouve quelques parcours amusants.
Jean-Marie Chouzenoux, l’ancien barbouze qui dirige les opérations
L’influence de Total SA (on insiste ici sur la distinction entre les différentes entités de TOTAL) s’appuie sur son directeur délégué aux relations institutionnelles, Jean-Marie Chouzenoux, dont le profil intrigue. Cet ancien collaborateur parlementaire de Nicole Catala, alors vice-présidente de l’Assemblée Nationale, a fait un passage à la DGSE entre 1994 et 2004. Il fut ensuite chef de cabinet de Renaud Muselier aux Affaires Etrangères, et de François Baroin à l’Outre-Mer. Il est entré chez Total en 2008.
Bertrand Deroubaix, poytechnicien devenu châtelain
Un élément important du dispositif de Total repose sur Bertrand Deroubaix, présenté comme conseiller du président-directeur général de Total. L’homme est en réalité plus que cela, puisqu’il administre ou préside une cascade de filiales ou de holding de Total. Il est accessoirement propriétaire de la Commanderie du Saulce, dans l’Yonne, qu’il a transformée en lieu de réception. Cet ancien élève de Polytechnique (comme Patrick Pouyanné, PDG de Total), sorti aux Ponts et Chaussées, a commencé sa carrière au ministère de l’Equipement, ancêtre du ministère de l’Environnement, puis de l’Ecologie. Il fut notamment le maître d’œuvre du pont de Normandie.
Il est entré chez Total en 1995. Il est entré au comité directeur de Total en 2009.
Jean-Claude Mallet, l’initié passé tardivement au privé
Impossible d’évoquer l’action publique de Total sans parler du directeur dédié à cette fonction, Jean-Claude Mallet, ancien conseiller spécial de Jean-Yves Le Drian. Ce pur produit de la grande bourgeoisie parisienne protestante, est à la fois normalien et énarque (sorti au Conseil d’Etat). Réputé proche des services secrets, et au terme d’un très beau parcours au sein du service public, le Monde présente ainsi son recrutement par Pouyanné en mai 2019 :
Le transfert étonne certains observateurs, tant le conseiller d’Etat Mallet a consacré sa vie à la cause publique. Anglophile et atlantiste, adepte de la real politique, l’homme a des connexions avec le monde du renseignement et de la dissuasion nucléaire. Il est jusqu’alors resté dans l’ombre, acquérant une réputation de grande intégrité autant que d’arrogance éruptive. Plusieurs diplomates évoquent des raisons personnelles, mais aussi une forme de lassitude devant le manque de reconnaissance du pouvoir à l’égard des hauts fonctionnaires. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, Jean-Claude Mallet n’était plus en cour et ne sortait guère du Quai d’Orsay, peu convié aux réunions interministérielles – qu’il avait pu dominer jusqu’à l’excès sous le quinquennat Hollande.
Chez Total, il retrouvera plusieurs anciens diplomates ou détachés du Quai d’Orsay, dans une entreprise familière de ces allers-retours. Ainsi, Ahlem Gharbi a été directrice adjointe des affaires internationales chez Total avant de devenir conseillère Afrique du Nord et Moyen-Orient à l’Elysée entre 2017 et 2019. Et parmi ses dernières prises de guerre, Total avait embauché l’ancien patron star de la gendarmerie Denis Favier en 2016, pour prendre en charge la sûreté du groupe pétrolier.
Un très bon résumé de l’étroite imbrication entre Total et la technostructure publique…
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