Le dossier retraites entame un virage critique. Ce mardi une séance bien curieuse de négociation doit avoir lieu, menée par Muriel Pénicaud (tenue à l'écart du dossier jusqu'ici) mais introduite par un Édouard Philippe manifestement peu à l'aise avec l'exercice. Que va-t-il en sortir ? À grands renforts de fuites téléphonées, le gouvernement a fait savoir qu'il accepterait la proposition de la CFDT de dissocier la question de la réforme et la question du financement. Mais cette astuce a-t-elle vraiment un avenir ?
L’astuce utilisée pour négocier le dossier des retraites par le gouvernement est digne de l’ancien monde. Au tournant du week-end, le secrétaire général de la CFDT propose dans la presse de lancer une « conférence du financement », façon élégante de dissocier la réforme systémique et les mesures paramétriques, comme le demande Laurent Berger depuis plusieurs semaines. Et hop! le gouvernement acquiesce, grand prince! Immédiatement, le coeur des médias mainstream opine du bonnet en se réjouissant des annonces et des perspectives d’ouverture. Qui sait ? les grèves cesseront peut-être bientôt.
Sauf que…
Les ambiguïtés du gouvernement persistent
Sauf que le gouvernement n’a pas encore éclairci sa position. On retiendra ici les propos de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, à la sortie du Conseil des Ministres :
“Le gouvernement prend évidemment note avec intérêt de la proposition formulée par Laurent Berger sur cette conférence”, lui a répondu la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye lors du compte rendu du conseil des ministres. Mais, a-t-elle prévenu, “Laurent Berger continue de vouloir séparer les avancées sociales (du projet de réforme-NDLR) de la question du financement de ces avancées sociales et de l’équilibre du système, ce n’est pas ce qu’est la feuille de route du président de la République”. “Il faut donc que nous continuons à travailler rapidement pour aboutir à un compromis et rapprocher nos positions”, a-t-elle ajouté.
Rien n’exclut donc des revirements de dernière minute qui feront capoter les opérations. On retiendra au passage qu’Emmanuel Macron a prévu d’intervenir in fine dans la discussion pour conclure l’accord, s’il tarde. Tout laisse à penser qu’on est encore bien loin de la conclusion du dossier.
Les petites cachotteries du gouvernement
Dans la pratique, l’optimisme ne s’impose pas forcément dans cette affaire. Le ministre chargé des relations avec le Parlement, le MODEM Marc Fesneaux, a maladroitement confirmé que le texte du projet de loi était en réalité déjà parti au Conseil d’État pour avis. Autrement dit, ce qui reste à négocier relève de l’épaisseur du trait, ce qui laisse craindre le pire.
Dans tous les cas, on sait au moins que le gouvernement a renoncé à décrocher le soutien de la CGT et de FO. C’est compréhensible, mais cela met la CFDT en position de force. Au moindre mécontentement, Laurent Berger a la faculté de faire échouer le projet ou, en tout cas, de compromettre son adoption unanime par le groupe des marcheurs à l’Assemblée Nationale. On peut même penser que ce qui reste à négocier sera remis aux calendes grecques pendant que la réforme est discutée à l’Assemblée.
Voilà un beau jeu de dupes : nul ne sait qui de la CFDT ou du gouvernement manipulera le mieux l’adversaire. Mais incidemment on est passé d’un débat qui devait concerner la Nation tout entière à un huis clos entre un pouvoir aux abois et un syndicat qui représente 25% des salariés.
C’est un échec majeur pour Emmanuel Macron.
Les concessions à la CFDT suffiront-elles à arrêter la grève ?
La stratégie du pouvoir est risquée parce que rien ne prouve que les concessions qui vont être lâchées suffiront à arrêter la grève. Pour le gouvernement, ce serait d’ailleurs une terrible épreuve que de bâcler quelques lignes d’accord avec la CFDT mais d’entamer le débat parlementaire avec des perturbations continues dans les transports.
Dans cette hypothèse, il ferait probablement face à un vaste retournement de l’opinion qui serait difficile à gérer.