Dernièrement, je discutais avec un ami d’adolescence, nous étions très liés à nos 18/20 ans, puis nous avons suivi des parcours différents. Il est parti vivre à l’étranger, nous ne nous sommes pas beaucoup vus pendant toutes ces années. Il a connu une séparation avec sa femme, je sais qu’il en a souffert et j’ai tenté de lui donner mon opinion sur cette fin de relation.Opinion qui, je l’avoue, peut s’appliquer à beaucoup de relations, qu’elles soient amicales, amoureuses, familiales. Mon analyse s’est basée sur une phrase importante de Hegel : « Ce qu’il y a à la fin était déjà là au début ». (in : Phénoménologie de l’esprit)
Il me répondit qu’il lui semblait quand même que des choses changent entre le début et la fin de la relation, notamment l’affection qui s’estompe et se modifie avec les années. Bien, je dus lui répondre et j’y mis le temps. Je lui expliquai que ce que Hegel voulait dire n’était pas qu’il y avait une stabilité de sentiments dans une relation mais il voulait indiquer que nous sommes des êtres d’histoire et qu’à l’adolescence, nous sommes déjà formés, nous avons notre éducation, nos goûts, nos dégoûts, nous avons fait nos choix et savons ce que nous voulons. À 18 ans, l’être social a déjà constitué sa morale, une morale subjective transmise par ses parents, ses professeurs. Hegel voulait dire que les affects que nous avons construits, élaborés, installés, sont plus forts que tout, qu’ils sont notre personnalité et que rien ne pourrait les modifier. Je lui donnai un exemple et lui dit que si sa compagne, au début de la relation, n’aimait pas les huîtres, à la fin de la relation, elle n’aimerait toujours pas les huîtres et que si lui n’aimait pas le vin blanc, à la fin de la relation il ne l’aimerait toujours pas. L’éducation, les habitudes, les affects n’ont souvent aucune raison objective d’exister, ils sont le fruit de notre propension à nous en remettre à notre supérieur, notre protecteur, à notre Maman. Endoctrinés par cette éducation, nous construisons notre personnalité pour qu’elle soit indestructible. La violence que l’on ressent lors d’une séparation est aussi importante que celle que l’on ressent quand nous sommes obligés de manger les huîtres que nous n’aimons pas. Nous avons évalué cette relation comme un acquis de notre personnalité au même titre que ne pas aimer les huitres ou le vin blanc. Alors que la Nature de l’être est l’ouverture, la curiosité, l’incertitude, la curiosité, le devenir.Sans aucun travail profond de recherche et d’expertise nous resterons toute notre vie dépendants de ces affects qui remontent souvent à notre enfance. Cette prédominance de la personnalité souveraine, prioritaire dans le cadre des rapports amicaux ou amoureux est prise comme immuable, inflexible et constitue justement la base de la sauvegarde de notre caractère, ce caractère déifié par la société de l’échange. Cette sauvegarde est bien évidemment un frein à l’ouverture, à l’apprentissage amoureux, à la fusion avec l’autre.
La quasi-totalité de la population échoue dans ses relations amoureuses, amicales, etc. Pourquoi ? Parce que, pour qu’une relation ait une chance de durer, il faut qu’elle soit dans la raison et pas dans la passion. Il faut que les deux êtres de raison vivent leur relation dans l’ouverture et la curiosité, dans l’humilité et la découverte, dans la volonté de connaissance et la recherche de compréhension du monde. C’est dans l’apprentissage, donc dans le devenir des deux êtres que l’amour pur et inaltérable peut prendre forme.
Remplaçons la raison par le devenir.
Quand on est dans le devenir, on est ouvert à l’autre, on est avide de savoir et de comprendre, on reçoit l’autre dans sa pureté et son ouverture au monde, l’autre est pareil à nous puisqu’il est également dans le devenir. Dans la conscience de notre état de devenir, cette satanée personnalité qui nous ferme au monde n’existe pas, nous sommes libres et ouverts, nous sommes curieux. Alors qu’une personnalité de la passion est fermée, elle est construite, elle est faite de barrières et de limites, elle regarde son nombril, son entre-soi. Dans le devenir, l’amour comme l’amitié totale sont possibles parce que l’on n’a pas deux être construits, fermés, dans leur égoïsme, dans leur solipsisme qui se regardent et se mirent dans un narcissisme permanent. Dans la passion, les deux êtres sont séparés l’un de l’autre, ils vivent chacun de courts moments de plaisirs personnels qui se déroulent au même moment mais on ne peut pas parler d’un plaisir harmonieux et partagé par l’un et l’autre. Et on ne peut certainement pas parler d’une métaphysique des corps entrelacés qui crée un plaisir et une joie nouvelle, un dépassement de soi par l’autre, à travers l’autre.
Ce qu’ils veulent, ces égoïstes du plaisir, c’est que l’autre leur fasse plaisir. Dans la passion, on recherche chez l’autre un miroir de soi, un excitant de nos plaisirs, une prolongation de nos sens, on se cherche soi, ce qui est logique puisque l’on n’existe pas vraiment. Alors, certes, on peut très bien entretenir une relation dans la passion et les affects pendant de longues années mais ce sera au prix d’une viciation forcenée et arbitraire, une forme de torture de l’esprit et une obéissance à l’image du bonheur, au mythe de l’amour. Dans le devenir, nous sommes en accord avec nous-même, nous nous aimons et sommes en accord avec notre âme, notre esprit. Autant dans la passion, nous sommes désincarnés, autant dans le devenir nous sommes en incarnation, en lien avec notre histoire et celle du monde. Parce que la compréhension mène à cette incarnation, nous atteignons la fameuse « entéléchie1 » d’Aristote.
Que ce soit la paix dans le monde ou la paix dans notre propre vie sociale, les pôles sont de mêmes forces, ils s’opposent et continueront à s’opposer tant que nous ne remplacerons pas nos intérêts personnels par l’Esprit.
1:Entéléchie : Dans le langage d’Aristote, qui est le créateur du mot, la force par laquelle un objet passe d’un premier état à un second, de ce qu’il n’était pas encore à ce qu’il est ; force considérée par rapport au but auquel elle tend. L’âme est l’entéléchie première d’un corps naturel doué d’organes et ayant la vie en puissance. « L’entéléchie correspond au moment où l’âme et le corps trouvent leur accord. C’est le lien entre le physique et la métaphysique ». (Pol Quadens)
Extrait de « Philosophie du devenir ». À paraître.
Le Courrier des Stratèges
Pensez par vous-même
Pas tout a fait d’accord … Nous sommes fait aussi de traumatismes qui perturbent notre moi profond ( notre personnalité) et qui induisent des comportements, des affects, des gouts, etc. qui ne sont pas vraiment l’ essence de nos personnalités et que nous pouvons corriger par des therapies diverses et variées (dites de troisieme generation) ou par d’autres evolutions dans la vie …et qui peuvent nous faire aimer les huitres finalement ! 😅 C’est une question de prise de conscience, de choix puis d’engagement .
Merci beaucoup !