L’assurance-vie à la française vit-elle ses dernières semaines ? Il est trop tôt pour le dire, mais à l’heure où la dette publique devrait exploser et où la récession qui s’annonce atteindra des proportions colossales, les encours de l’assurance-vie risquent de susciter d’immenses convoitises. Sans beaucoup d’arguments pour justifier des mesures de clémence de la part des pouvoirs publics. D’ailleurs, il se trouve déjà des voix pour réclamer sans ménagement sa refiscalisation.
Les encours de l’assurance-vie à la française vont susciter l’appétit
Fin janvier 2020, c’est-à-dire avant que la pandémie ne devienne un sujet de préoccupation mondiale, les encours de l’assurance-vie s’élevaient à 1.800 milliards €. La collecte de 2019 avait drainé 145 milliards pour près de 120 milliards de rachat. Ces chiffres bruts soulignent en soi le malaise qui pend au nez des assureurs : l’État propose un plan à 150 milliards € pour relancer l’économie, soit l’équivalent de la collecte annuelle. La dette publique devrait allègrement franchir la barre des 2.200 milliards € fin 2020. Bref, une confiscation de l’assurance-vie permettrait de remettre les pendules à zéro.
Cela ne signifie bien entendu pas que cette confiscation soit possible, et encore moins qu’elle se produise. En revanche, il faut comprendre la psychologie des décideurs publics : le jeu des grandes masses ancre dans leur esprit la conviction que l’assurance-vie est précisément ce qui permettrait de régler la question des déficits publics. Au fond, dans un réflexe reptilien basique mais inévitable pour beaucoup d’élus, l’assurance-vie capte l’argent qui manque pour équilibrer les comptes publics.
Il ne faut pas sous-estimer les dégâts produits par ce genre de raisonnement.
Un avantage fiscal qui commence à être contesté
Logiquement, face aux besoins des comptes publics et face aux masses en jeu dans l’assurance-vie, il est inévitable qu’un débat soit ouvert, au moins par certains, sur les avantages fiscaux de l’assurance-vie cette année. Là encore, ceci ne signifie pas que ce débat prospérera, ni qu’il débouchera sur une remise en cause radicale de l’existant. En revanche, les revendications exprimées par la députée Pires-Beaune montrent qu’il existe un risque que des propositions techniques réalistes, comme l’alignement de la fiscalité de l’assurance-vie sur celle de l’héritage soient retenues, au moins à titre temporaire.
De notre point de vue, cette probabilité est forte, selon des modalités qui resteront à préciser.
La faiblesse “idéologique” de l’assurance-vie
Dans cette entreprise de remise en cause qui risque d’avoir lieu dans les semaines à venir, les partisans d’une refiscalisation de l’assurance-vie disposeront de bons arguments. L’essentiel des encours est en effet placé en unités monétaires et non en actions. Autrement dit, cet argent ne sert guère à relancer la machine économique et prive les entreprises des investissements dont elles ont besoin pour reprendre le chemin de la croissance. Qui plus est, cette immobilisation d’une somme équivalente à la dette publique actuelle répond à une logique batarde. L’assurance-vie est à la fois un produit d’épargne et de transmission d’un patrimoine. Il ne répond pas vraiment aux prescriptions d’une retraite supplémentaire, puisqu’il fonctionne avec une sortie en capital et non en rente.
L’extrême dispersion des en-cours, avec une masse de contrats très peu dotés, et un petit carré de contrats aux montants très élevés, constitue une autre faiblesse de taille. Les assureurs le savent : ce qui fait l’assurance-vie en France, ce sont les plus “riches”. Notamment tous ces entrepreneurs qui se sont tournés vers l’assurance-vie parce qu’elle est le seul placement défiscalisé facile à comprendre pour préparer ses vieux jours.
Voilà autant de bâtons tendus par les assureurs pour se faire battre.
La concurrence du modèle allemand est un danger
Si les assureurs sont parvenus à circonvenir depuis plus de vingt ans toutes les tentatives de réforme imaginées par les pouvoirs publics (notamment les dernières en date sur “l’eurocroissance”), rien ne dit qu’ils seront éternellement victorieux dans ce combat. D’autres modèles existent, qui permettent, facialement en tout cas, de rendre la politique de l’épargne socialement plus vertueuse que le système français.
On pense particulièrement au modèle allemand, où la défiscalisation est allée, dans les années 2000, aux produits d’épargne retraite collective auxquels les entreprises ont eu l’obligation de souscrire pour accompagner la réforme de la retraite de base. Cette formule présente l’avantage d’être plus “solidaires”, dans la mesure où tous les détenteurs d’un contrat de travail y ont accès et pas seulement les plus riches. En termes d’affichage politique, il pourrait être tentant, pour Emmanuel Macron, de remettre les pendules à zéro socialement, en ouvrant un nouveau compartiment d’épargne pour les salariés, au détriment des avantages accordés à l’assurance-vie.
Politiquement, cette opération pourrait être présentée comme un troc : on remplace des avantages réservés de fait aux plus riches par des avantages ouverts à tous. L’argument serait tout trouvé pour légitimer une refiscalisation des contrats. Ce scénario semble très plausible.
La non-rétroactivité, mais dans quelle mesure ?
Officiellement, les détenteurs d’un contrat d’assurance-vie sont protégés par le principe de non-rétroactivité des lois. Autrement dit, les nouvelles règles ne s’appliqueraient pas aux anciens contrats, qui continueraient à profiter d’un avantage fiscal. Cette doctrine est répétée à l’envi. Il faut pourtant s’en méfier.
Le problème posé par l’assurance-vie est double : il est celui d’un placement qui, de longue date, suscite des convoitises au titre des niches fiscales. Mais il est aussi celui d’un placement dont la confiscation partielle mettrait du beurre dans les épinards de l’État. Rien n’exclut donc que Bercy ne contourne la question de la rétroactivité en imposant à titre exceptionnel une mesure fiscale bien ciblée pour récupérer du gras sur les contrats existants.
Là encore, rien n’est sûr. Mais un peu de bon sens montre bien que, face à la pression du public en faveur de la “solidarité”, toutes les hypothèses sont ouvertes.