La dette publique est-elle une invention ou une création des néo-libéraux qui cherchent à enrichir quelques riches créanciers ? Cette théorie un tantinet complotiste se répand dans les milieux “souverainistes” qui imaginent que l’indépendance de la France la mettrait magiquement à l’abri du besoin de rééquilibrer les comptes publics. Nous pensons au contraire que la dette publique résulte d’un compromis tacite entre la technostructure publique et quelques grandes fortunes pour préserver un capitalisme de connivence dont les uns et les autres tirent profit.
La dette publique serait-elle une invention des néo-libéraux ? Cette idée étrange est très répandue dans les milieux de la “réinformation”, qui la présentent comme l’explication du marasme dans lequel nous vivons aujourd’hui. Il paraissait salutaire de s’appesantir un peu sur cette idée, pour en démonter le mécanisme, car, selon nous, elle dresse une impasse délibérée sur le rôle essentiel que joue la technostructure publique dans le capitalisme de connivence rebaptisé hâtivement néo-libéralisme par ce vaste fourre-tout qu’est devenu le souverainisme.
Dette publique, créances privées
Il est un fait que ce qu’on nomme d’ordinaire la dette publique est d’abord une somme de créances privées, sur la détention de laquelle règne une grande opacité. Le ministère des Finances ne publie d’ailleurs pas la liste des créanciers de l’État, ce qui contribue à nourrir de nombreux fantasmes sur le sujet.
Mais le principe d’un financement de l’action publique par le recours à une épargne privée rémunérée attise l’accusation de “néo-libéralisme” : de méchants capitalistes tapis dans l’ombre imposent des règles qui obligent à payer les riches pour financer les hôpitaux. Cette simplification, qui fait l’impasse sur la quasi-gratuité des emprunts souverains aujourd’hui, s’est répandue un peu partout. Je la lis par exemple sous la plume d’Éric Juillot, qui publie sur le blog de mon ami Olivier Berruyer, un texte édifiant sur le sujet.
L’auteur explique en substance que “la contre-révolution néolibérale a mis à bas ce système, et a restauré la contrainte artificielle du marché au profit des rentiers et des spéculateurs du monde entier, le tout sans aucune consultation démocratique (traité de Maastricht excepté)”.
Autrement dit, le financement de la dette par les marchés et non par la Banque de France serait le produit d’un diktat néo-libéral à l’origine d’un dispositif qui enrichit encore plus les riches, et appauvrit encore plus les pauvres. Au passage, le fait que les Français aient très majoritairement accepté ce système par referendum est significativement minoré, comme si un referendum n’était rien, et comme si, au fond, on n’avait pas consulté les Français sur le traité de Maastricht. On voit là, dans le beau story-telling qui nous est proposé, un premier arrangement gênant avec la réalité.
Car on peut bien nous expliquer qu’il existe une dictature bruxelloise aujourd’hui sur les finances publiques. Cette dictature dispose tout de même d’un mandat clair et clairement confié par le peuple français en 1992. Mais comme ce rappel ne colle pas avec la victimisation qu’on aime pratiquer, on le met entre parenthèses.
"La seconde phase, au cours des années 1990, voit la dette publique de la France s’envoler. En quelques années décisives, les dirigeants français apportent la preuve de leur conversion sans retour aux canons de l’ordre néolibéral, indépendamment de toute considération relevant de l’intérêt national et de la justice sociale."
Eric Juillot, les Crises Tweet
L’oubli de ce que signifie la création monétaire par la Banque de France
On comprend la théorie générale qui sous-tend ce discours. Elle est très bien connue des habitués de la question : ah! le bon temps où le gouvernement pouvait emprunter directement auprès de la Banque de France. À l’époque, au moins, la dette publique ne coûtait rien…
Outre que ce raisonnement fait l’impasse sur le fait que la France emprunte aujourd’hui sur les marchés à des taux quasi-nuls, voire nuls, voire négatifs, les défenseurs de la souscription directe de l’État auprès de la Banque de France oublient de dire que le système qu’ils proposent est un véritable pousse-à-la-dette, qui comporte une conséquence un peu désagréable : rapidement l’inflation monétaire que cette planche à billets qui ne dit pas son nom produit pèse sur le niveau de vie du pays.
Par le passé, la France a pratiqué ce système : les assignats n’ont pas fonctionné autrement durant la révolution, et ils ont ruiné l’économie… et les classes moyennes de l’époque. C’est l’envers du décor que les souverainistes oublient d’évoquer : leur proposition consiste à emprunter en levant un impôt sur tous les Français appelé la dévaluation monétaire. On verra combien de temps les partisans de l’emprunt direct à la Banque de France pourront expliquer que, grâce à leur brillant système, le téléphone portable double ou triple son prix en France tous les six mois, parce que le franc ou le sesterce ne vaut plus rien…
Le silence gêné des souverainistes sur le rôle de la technostructure publique
Mais ce qui retient l’attention dans le papier d’Eric Juillot, c’est le paradoxe qui ne semble pas l’étonner, consistant à expliquer que le néo-libéralisme fonctionne grâce à la dépense publique. Dans mon idée un peu naïve (mais je reconnais mes limites intellectuelles face aux gens bien plus brillants qui m’expliquent le contraire de ce que je croyais), le néo-libéralisme fonctionnait par une limitation du rôle de l’État. C’est pourquoi un grand méchant capitaliste néo-libéral comme le patron de la BNP, Michel Pébereau, avait écrit, en 2005, un rapport recommandant de juguler les dettes publiques.
Mais en fait non, je vais sur Les Crises, et je comprends que le néo-libéralisme, ce n’est pas la théorie de Jacques Rueff qui, en 1959, conjurait la dette publique et rétablissait l’équilibre budgétaire. C’est au contraire son extension et son expansion permanente voulue par les riches.
Comme cette théorie est un peu compliquée à comprendre, Éric Juillot nous livre une considération qui éclaire son propos : “Paradoxalement, c’est la technostructure qui est à la manœuvre au cours des années 1980 pour imposer cette évolution funeste. Passion technocratique, modernisme effréné, conservatisme antidémocratique et avidité : tels sont les principaux déterminants de ce changement”.
Donc je résume, le néo-libéralisme, c’est un système économique où des fonctionnaires creusent les dépenses publiques pour enrichir les capitalistes. Mais quelle est la motivation de ces fonctionnaires ? Éric Juillot peut-il expliquer pourquoi ces hauts fonctionnaires, qui ont fait les plus grandes écoles de France, font le jeu des capitalistes qui vivent sur le dos du pays ? Visiblement, son explication tient en deux mots : paradoxe, et passion.
C’est un peu court, jeune homme, et pas très éclairant.
Les quatre dernières décennies ont vu se produire en France une spoliation d’ampleur historique. Sur le plan politique, elle a pris la forme d’une dépossession démocratique ; sur le plan économique, elle s’est traduite par un transfert de richesse au profit des plus aisés. Cette spoliation a été rendue possible par la contre-révolution néolibérale des années 1980, dans le cadre de laquelle les structures du capitalisme financier mondialisé ont été mises en place en France. Au cœur de ces structures, un marché de la dette publique crée ex nihilo, indispensable aussi bien à la pérennité fonctionnelle d’une économie financiarisée qu’à un État affaissé, tenu d’étendre la protection sociale à tous ceux, nombreux, que cette économie précarisait.
Eric Juillot, les Crises Tweet
Technostructure et capitalisme de connivence
L’analyse d’Éric Juillot aurait sans doute gagné en sortant de ce pipeautage contemporain que recouvre le mot “néo-libéralisme”, en réalité vide de sens, pour mieux saisir, mieux analyser factuellement, le lien organique qui entremêle les intérêts de quelques capitalistes et ceux de la technostructure au pouvoir. Car partout, nous voyons une collusion entre la haute administration et le management des grandes entreprises qui constituent le noyau dur du capitalisme français.
Il n’entre pas dans nos intentions ici de détailler ce point que nous évoquons régulièrement dans nos colonnes. Mais il est un fait qu’en France encore plus que dans de nombreux pays industrialisés, la haute fonction publique a mis l’État au service d’une caste, et réciproquement, une caste s’est mise au service de l’État. Il suffit de lire le parcours d’un Xavier Niel pour comprendre que l’intéressé n’aurait jamais fait fortune sans bénéficier de l’attribution de licences sur les réseaux de téléphonie et de diffusion numérique en tous genres. Ces licences ont été attribuées par l’État.
Il est un exemple parmi d’autres qui montre comment la connivence entre l’État et les grandes entreprises est constitutive du capitalisme français. On peut certes appeler ce capitalisme de connivence “néo-libéralisme” parce qu’on a envie de l’appeler comme cela. Mais le problème dans la France actuelle tient à une omniprésence de l’État dans le capital, et non à son absence. Et c’est factuellement le contraire du néo-libéralisme.
À moins bien sûr de rêver d’un système où toute l’économie serait nationalisée, mais il faut alors que les défenseurs de ces théories fassent clairement leur coming out marxiste-léniniste.
La dette publique est le prix que la haute fonction publique fait payer au pays
Dans ce capitalisme de connivence où les liens entre la technostructure publique (que nous appelons souvent gouvernement profond) et les détenteurs du grand capital sont difficiles à démêler, les Éric Juillot et autres pensent que l’État est la solution, alors qu’il est le problème. En réalité, depuis les années 90, une technostructure issue de ce qu’on a appelé la deuxième gauche, dont Pierre Moscovici est un bel exemple, a considéré que la modernisation du pays indispensable à la mise en place du traité de Maastricht, consistait à transformer l’État en terrain de jeu personnel ou en chasse gardée.
D’où ces idées selon lesquelles on pouvait gérer l’État “comme dans le privé”. Bien entendu, il s’agissait d’une mise en scène orchestrée par des fonctionnaires qui rêvaient des salaires du secteur privé, sans la prise de risque qui l’accompagne. Ces hauts fonctionnaires se sont déguisés en chefs d’entreprise comme Emmanuel Macron se déguise en pilote d’avion. Ils se sont donnés des frissons, ils ont fait des discours sur la réforme de l’État (ils ont même parfois écrit des livres sur le sujet), mais ils ont conservé la sécurité de l’emploi et ont bien pris garde à ne prendre aucun risque personnel et particulièrement aucun risque patrimonial dans cette affaire.
Ces apprentis sorciers ont creusé la dette. Depuis trente ans, ils font obstacle à toute politique libérale : ils refusent de baisser la dépense publique, et ils refusent de supprimer un statut protecteur pour les fonctionnaires, qui les met à l’abri de toute responsabilité individuelle.
Je veux bien que cette doctrine étatiste soit rebaptisée néo-libérale. Mais penser que la solution à ce trop d’État ruineux passe par encore plus d’État est la ruse suprême de la raison utilisée par ce capitalisme de connivence pour continuer son expansion permanente.
Car, avec tous ces souverainistes qui veulent toujours plus d’État, le mal empirera et ne sera pas attaqué dans ses racines. Il sera au contraire fortifié. Et voici comment la lutte contre le néo-libéralisme consolidera le capitalisme de connivence et la gabegie de dépense publique ordonnée par des hauts fonctionnaires. Et voici comment des Français sincères, qui rêvent d’une société plus équitable seront plumés pour enrichir encore tous les donneurs de leçons de solidarité.
Je ne comprend pas pourquoi on parle des dettes comme si celles-ci correspondaient à une monnaie réelle empruntée à quelqu’un qui la possède réellement. Le système d’argent-dette qui s’est developpé avec les banques centrales leur confère le droit (légal) de creer de la monnaie à partir de rien. Il s’agit d’équilibrer les 2 colonnes d’un bilan. L’argent fiduciaire ne repose que sur la confiance mise en lui. C’est simplement de la “fausse monnaie” créée légalement mais qui ne repose pas sur une création de richesses. Conbien de temps cela tiendra-t-il? Personne ne le sait.Tant que les produits se fabriquent et se vendent, même et surtout à crédit, la partie de Monopoly continuera.
La dette publique correspond aux déficits publics accumulés. Inutiles de faire de grandes théories; pour diminuer cette dette il faut que les budgets de l’Etat soient durablement excédentaires. D’autres pays européens y arrivent, pourquoi pas nous? C’est une question de volonté. Nos gouvernements ne veulent pas faire d’effort. c’est pénible, vous comprenez.
« La “dette publique” a été créée artificiellement par la loi scélérate dite “Pompidou-Rothschild” pondue en 1973, et qui interdit à l’état d’emprunter à taux zéro auprès de la Banque de France, ce qui était la norme jusqu’à cette date. » Rien a voir avec le ” libéralisme ” , elle donne au banque la possibilité de prêter a l état ( pour payer les fonctionnaires et leur retraite ), de l argent crée a partir de rien , qu ils doivent rembourser avec intérêt grâce a nos impôts ; le terme exact ” dérégulation bancaire ” ou a la rigueur de l ultra libéralisme BANCAIRE . ….
Très bien dit. Ça crève les yeux. La caste socialo dynastique et indéboulonnable depuis 30 ans vit à l’abri de l’euro en appauvrissant systématiquement tout ce qui n’est pas soit fonctionnarisé sois délocalisé. Cette caste a connu des gains prodigieux de revenus. Elle a bâti des fortunes. Voyez attali, voyez mosco, voyez grhollande. Le PIB français est centré, pour ne pas dire exclusivement dépendant de la dépense publique. La dépense publique assure à la fois les revenus du capitalisme de connivence et la paix sociale par les allocs aux nouveaux pauvres. La caste régale aussi: un peu les centrales syndicales parisiennes qui participent au dîner de cons; beaucoup les media audiovisuels à sa botte qui servent d’arme d’intoxication massive permanente. Voyez rance radiotélé et les torche culs dits de référence. Rien d’étonnant à ce que l’opinion demande plus d’État. Célafoto libéralisses! Quand un grain de sable se présente on envoie la justisse. Ou la polisse c’est selon. Bref on tue dans l’œuf toute possibilité de pensée déviante ou, à Dieu ne plaise, d’alternance vraie à la loyale. La dette est devenue la matière première indispensable du train de vie de cette caste — une drogue. Ce n’est pas qu’il faille un jour la solder qui leur pose problème — pas le moins du monde. C’est qu’elle puisse un jour cesser d’arriver, en quantité croissante. D’où les contorsions prétendument européennes et la mise sous tutelle de Berlin.
*soit
Le cœur de Maastricht: je finance tes fonctionnaires et tu finances mes retraites (l’Allemagne garantit la dette française et la France accepte les excédents commerciaux allemands).
La question historique à mille milliards: dans quelle mesure ce deal fut-il explicite?
Le débat sur le financement des dettes souveraines est nécessaire même si l’auteur n’évite pas certaines approximations.
Dire que les français ont très majoritairement approuvé le traité de Maastricht est abusif puisque le vote favorable à la
ratification n’était que de 51.04 % pour une participation d’environ 70 %. Il faut d’ailleurs saluer le Président Mitterand
pour avoir organisé un référendum alors qu’une bonne partie de la classe politique était plutôt pour un simple passage
par les chambres parlementaires.
Par ailleurs, le principe du financement par les marchés n’a jamais été sérieusement en débat vers l’opinion publique pour
la bonne raison qu’en 1992 ce mode de financement, dont les prémisses remontent aux années 1970 représentait pour
notre pays près de 80 % de la dette totale.
Les conséquences qui vont résulter de la crise sanitaire incitent à requestionner ce mode de financement, qui est
sanctuarisé par les traités européens. Rompre avec ce mode de financement implique donc un accord unanime des états
concernés, et par conséquent l’annulation de dette par la banque centrale européenne est une voie sans issue.
Le plan de la commission parle de prêts et de subventions oubliant que pour ces dernières, il faudra trouver les
ressources correspondant au remboursement le moment venu, de sorte que le vocable de subvention pour les états
concernés risque fort d’être assez éloigné de la réalité.
Le risque compte tenu d’une possible différenciation entre le fonds obtenus et les fonds à rembourser au niveau de
chaque état, est celui de nouvelles oppositions entre citoyens de la zone euro, je crains que dans cette optique on
n’ait pas fini d’entendre parler de cigales et de fourmis ou d’autres âneries du même tonneau. De même l’exigence
de “conditionnalités” pourraient bien permettre de ruiner davantage encore les pays les plus fragiles. Il faut se rappeler
le scénario imposé à la Grèce : matraquage fiscal, dégringolade des salaires et des pensions tout cela pour que plus
de 8 ans après le début de la crise ce pays reste toujours dans la zone des 180% du PIB avant même la crise
sanitaire, car si le pays a été plutôt épargné par le virus les conséquences d’une saison touristique ratée pourraient
être dramatiques.
Le financement par la banque centrale européenne, au fur et à mesure des tombées de dette souveraine est pour
moi souhaitable, mais à de strictes conditions qui permettraient de créer un cadre cohérent permettant d’éviter la
mutualisation des dettes qui insupporte certains états, et de faciliter le retour à des équilibres financiers.
Ces conditions pourraient être notamment : le financement non plus par rachat sur le marché secondaire mais aux
échéances initialement fixées, à taux zéro mais avec une obligation de remboursement d’un certain pourcentage de
la dette due à la BCE, par exemple de 2% par an, pouvant être progressivement augmenté mais de manière raisonnable
– la fixation d’un montant maximum pour chaque état, ne pouvant être modifié qu’à l’unanimité, qui pourrait être
le total des dettes souveraines de chaque état au 31 décembre de l’année précédant l’accord
– la fixation d’une limite au financement complémentaire par les marchés au moyen d’un pourcentage basé par exemple
sur les tombées de dettes, élevé pour les deux premières années pour amortir le conséquences de la crise sanitaire,
ensuite largement réduit pour le retour à une situation normale, ce dernier pourcentage étant également susceptible
d’être diminué au terme de 10 puis 20 ans etc
L’intervention de la banque centrale européenne au terme des échéances initialement prévues permet d’éviter la
création d’une situation extrèmement dangereuse pour les marchés financiers, puisque s’étalant sur probablement
une bonne dizaine d’années, de même la diminution progressive du financement des états par les marchés devrait
également permettre à ceux-ci d’investir fortement dans l’économie réelle, tandis que l’exonération d’intérêts faciliterait
progressivement le retour aux grands équilibres financiers.