Édouard Philippe est désormais le vrai maillon fort de la macronie et constitue un morceau difficile à avaler pour le Président de la République. Quelle que soit le sort que celui-ci décidera, en effet, pour son actuel Premier Ministre, il sortira affaibli de la confrontation. En réalité, la crise du coronavirus a renforcé Philippe au lieu de le déstabiliser. Pour Macron, l’affaire est “indémerdable”.
Édouard Philippe, somme toute, sort grand vainqueur de la crise du coronavirus. D’une part, il peut arguer, toutes proportions gardées, d’avoir évité le pire au pays, même si cette notion de pire est très relative. Ce faisant, il renforce sa popularité au sein de l’opinion. D’autre part, il a légitimé son parcours par une élection victorieuse au Havre.
En réalité, il est très probable que la campagne électorale au Havre l’ait empêché de gérer correctement la crise du coronavirus. Mais le désarroi de l’opinion est tel que beaucoup lui font crédit d’une réussite acceptable par rapport à l’excès de parole d’Emmanuel Macron et au déficit d’action d’Agnès Buzyn. Tout cela mis bout à bout fait de Philippe un vainqueur, et du Président un perdant.
Pourquoi Philippe a renforcé sa popularité
En réalité, Édouard Philippe doit surtout sa popularité à sa capacité à dire “je ne sais pas” durant la crise du coronavirus. On se souvient notamment de son exercice de “pré-déconfinement” de la fin avril, où le Premier Ministre n’avait pas caché toutes les non-réponses aux questions qui se posaient. Mine de rien, cet exercice de modestie est, dans la durée, payant. Philippe n’apparaît pas, comme beaucoup de barons de la macronie, un crâneur, un “je-sais-tout”. Il est sorti de ce moule agaçant du haut fonctionnaire qui vous demande de quoi vous avez besoin et qui vous explique ensuite comment vous en pensez. Il a dévoilé une part d’humanité en lui dont les héros de la macronie manquent tant, et qui rassure les Français.
Au fond, Philippe est populaire parce qu’il est humain, et se révèle capable de le dire. Dans un monde de “je sais tout” où l’assurance remplace trop souvent la compétence, ces aveux de faiblesse valent de l’or.
"J'ai besoin d'un chef d'état-major, de prendre toutes les décisions, que tout repose sur moi"
Emmanuel Macron Tweet
La mise en abime avec Macron est désastreuse pour le Président
Du coup, les Français procèdent par comparaison. Philippe, lui, est capable de dire “je ne sais pas” quand il ne sait pas. Macron, au contraire, ne peut pas imaginer ne pas savoir et ne pas avoir raison. Alors que les Français attendent un Président qui fédère, ils ont un Président qui gère, qui sait, qui explique. Comme si rassurer supposait de savoir ou de faire, quand il s’agit surtout de trouver les bons mots (et non trop de mots…) pour avancer.
La confrontation entre les deux styles est destructrice pour le Président. Macron parie sur les mots pour se faire comprendre. Philippe parie sur ses silences. Et cette différence d’approche fait toute la réussite de l’un et l’exaspération de l’autre.
Se débarrasser d’un Premier Ministre populaire ?
Pour Emmanuel Macron, le choix est désormais cornélien, car son intérêt objectif est de se débarrasser d’un Premier Ministre qui lui fait de l’ombre. Chaque prise de parole, chaque intervention du Président de la République donne aux Français l’occasion de mesurer qu’Emmanuel Macron parle toujours trop, comme s’il ne savait pas juguler sa parole, alors qu’Édouard Philippe a appris à dire juste ce qu’il faut : ni trop ni trop peu. Macron donne le sentiment d’être un parleur lunaire, quand Philippe pourrait être un faiseur terrien, ce qui plaît aux Français.
Mais s’en débarrasser comment ? En le congédiant ? C’est un jeu triplement risqué. D’abord parce que sanctionner ceux qui réussissent est une erreur. Ensuite, parce que Macron donnera le sentiment de vouloir préserver son ego au détriment de l’intérêt du pays, et de ne pas être à la hauteur des enjeux. Enfin, parce qu’on sait ce qu’on perd, et on ne sait pas ce qu’on gagne.
En remplaçant Philippe par un nul fini comme Le Maire, par exemple, Macron prendrait le risque de populariser encore plus Philippe et de se discréditer encore plus, ce qui n’est pas très bon pour 2022.
"Je ne vais quand même pas mettre Gainsbourg à Matignon".
Sarkozy à propos de Borloo Tweet
Garder un Premier Ministre populaire ?
Inversement, garder Édouard Philippe jusqu’au bout est une seringue dangereuse. Car si l’on admet l’hypothèse que l’opinion a acté qu’Édouard Philippe est le vrai bon du binôme, la suite du quinquennat accroîtra la popularité du Premier Ministre le rassurant, et amenuisera toujours plus celle du Président.
Pire, plus le temps passe, plus les Français vont nourrir le sentiment que le Premier Ministre a toutes les qualités d’un Président, et que le Président aurait plutôt les qualités d’un Premier Ministre. Et le drame d’un Emmanuel Macron est précisément de vivre dans l’inéluctabilité de cette perception où tout ce qu’il pourra faire l’affaiblira, et tout ce que Philippe fera contribuera à l’affaiblissement présidentiel.
Au fond, Macron a raté la gestion de la crise du coronavirus, et Philippe l’a réussie. Et dans cette compétition naturelle, tous les coups fourrés de Macron appelant des journalistes pour dézinguer Philippe se retournent contre lui. Garder Philippe à Matignon est donc un poison dur que Macron s’injecte dans les veines.
Philippe maître du jeu et des horloges
Ici, Édouard Philippe marque donc un point important. À l’issue de son élection triomphale au Havre, il pourrait décider de quitter librement Matignon pour redevenir maire. Mais il a compris instinctivement le danger d’un choix qui laisserait entendre aux Français qu’il est lassé des responsabilités nationales et qu’il ne s’y sent plus à sa place. Logiquement, Philippe préfère augmenter encore ses gains en choisissant Matignon et en ne facilitant pas le travail du président.
Au fond, si Macron ne veut plus d’une personnalité populaire à Matignon, qu’il en assume seul les responsabilités. Sinon, c’est Philippe qui choisira quand il partira.
Tout cela est très habile, bien sûr, et met le Président dans une position inconfortable : celle où il doit faire un choix imparfait en assumant ses responsabilités. L’ambiance promet d’être sympa dans les prochaines semaines…
“Au fond, Macron a raté la gestion de la crise du coronavirus, et Philippe l’a réussie.”
Je vous trouve fort sympa pour Philippe qui est quand même le chef des ministres, dont la Santé et l’Education Nationale plutôt mauvais, qui est un haut fonctionnaire donc en prise avec tous les responsables des nombreuses et inutiles agences de santé et qui n’a guère moufté quant au confinement débile et la sortie encore plus débile de celui-ci.
Que des sondages, toujours aussi discutables, trouvent que le PM a une bonne cote n’en fait pas un bon élément. Macron peut le virer sans problème puisqu’il lui ferait de l’ombre, Philippe finira au Havre et on l’oubliera quand le plantage économique post-Covid sera matérialisé. Son seul souci est que Philippe puisse être le gars de droite, qu’il était vaguement avant, que LR, moyennant un avalage de couleuvre habituel, proposerait comme tête de gondole pour la future échéance.
Je ne saisis pas très bien tous les arguments de Serge : Peut être abuse-t-il des phrases un peu trop longues qui rendent son raisonnement assez peu compréhensible. Pour ma part, j’ai comparé le parcours d’Edouard Philippe à celui de Pompidou pendant le crise de 1968. Sa rassurante personnalité au milieu de la tempête montrait aux Français qu’il pouvait assurer les plus hautes fonctions de l’Etat. Le référendum de 1969 a été perdu par le Général de Gaulle, et une des causes de sa défaite était probablement que les Français savaient que Georges Pompidou pouvait prendre le relais.
Quoiqu’il arrive, Edouard Philippe est désormais, aux yeux des Français, un recours possible.