La rĂ©forme des retraites retrouve sa place au coeur du dĂ©bat public, après la longue parenthèse imposĂ©e par le confinement. Ă€ la surprise gĂ©nĂ©rale, Jean Castex a annoncĂ© vouloir clore rapidement le dossier avec les partenaires sociaux, en accord avec les propos prĂ©cĂ©dents d’Emmanuel Macron. Les soutiens du gouvernement comme la CFDT et le MEDEF sont hostiles Ă ce retour aux clivages du monde d’avant. Mais Bruxelles laisse-t-il le choix Ă l’exĂ©cutif français ? L’heure des vraies additions commence.Â
Jean Castex a surpris son monde hier en annonçant son intention de rouvrir le dialogue sur la rĂ©forme des retraites. Ce sujet explosif ne paraĂ®t guère prioritaire sur la scène intĂ©rieure, d’autant qu’il risque de diviser fameusement des salariĂ©s inquiets par la mauvaise tournure des Ă©vĂ©nements Ă©conomiques. La CFDT et le MEDEF ont commencĂ© Ă monter au crĂ©neau pour dissuader le gouvernement de rouvrir une plaie mal fermĂ©e par le confinement. Mais Castex semble bien dĂ©cidĂ© Ă consacrer son Ă©tĂ© Ă traiter ce dossier Ă©pineux. Mais pourquoi cette soudaine prĂ©cipitation ?
Bruxelles impose la réforme des retraites
La solution n’est pas Ă chercher dans une quelconque lubie qui s’emparerait du nouveau Premier Ministre, mais dans une discrète et mal assumĂ©e exigence bruxelloise Ă l’approche du conseil europĂ©en du 17 juillet oĂą Merkel, nouvelle prĂ©sidente de l’Union pour 6 mois, doit faire valider le plan franco-allemand Ă 500 milliards de dettes mutualisĂ©es. Il n’y a Ă©videmment qu’en France oĂą des esprits naĂŻfs croient que nos partenaires septentrionaux qui combattent farouchement depuis plus de dix ans toute mutualisation des dettes se seraient ralliĂ©s Ă des positions contraires sans aucune contrepartie.Â
La rĂ©alitĂ© de l’Europe est un peu diffĂ©rente, et mĂŞme si, en France, il est de bon ton de vanter l’Europe sans comprendre nos voisins, les faits sont tĂŞtus. Pour l’instant, seuls les Pays-Bas ont entrouvert la porte Ă une solution sur les 500 milliards du plan franco-allemand. Mais Mark Rutte, le Premier batave qui a fait tomber la dette publique nĂ©erlandaise autour de 40% du PIB après un effort budgĂ©taire important, demandera des contreparties.Â
Et parmi celles-ci, la rĂ©forme des retraites est la plus visible et la plus immĂ©diate. La France bat en effet des records mondiaux avec 14% de son PIB consacrĂ©s Ă ses retraitĂ©s, quand la moyenne flirte plutĂ´t avec les 10%. Il n’est donc pas envisageable que les EuropĂ©ens avancent sur la question des coronabonds si la France ne se met pas en ordre de bataille pour diminuer ses dĂ©penses publiques.Â
“Ma responsabilité, c’est de rouvrir le dialogue”, a dit le nouveau Premier ministre, ajoutant qu’il voulait séparer ce qui sera le futur régime universel avec en toile de fond “le devenir des régimes sociaux” - “c’est un travail de long terme où il faut sans doute rouvrir les concertations”, a-t-il dit - et un “sujet de plus court terme”, le financement du système actuel mis à mal par la crise économique provoquée par la pandémie de coronavirus.
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Les Français sont hors sol sur la question des dépenses publiques
Au demeurant, les exigences de nos partenaires sur nos dĂ©penses publiques et nos dĂ©ficits abyssaux n’ont rien de choquant. Nous sollicitons leur solidaritĂ©, et ils nous demandent un effort en Ă©change. Il n’y a qu’en France oĂą la notion d’Ă©quilibre des comptes publics est perçue comme un gros mot ou une pensĂ©e vulgaire, et on peut reprocher Ă nos Ă©lites de partager cette insouciance bien commode, qui leur permet de conserver leur pouvoir sans susciter de vague dans l’opinion. Il est vrai que la “pĂ©dagogie du changement” et l’art de la rĂ©forme ne font guère partie des compĂ©tences dĂ©ployĂ©es par la technostructure qui nous dirige. Il est plus facile de recourir Ă la dette pour maintenir un statu quo ruineux qui profite aux fonctionnaires et se justifie au nom du “ce pays n’est pas rĂ©formable”.Â
Les frugaux vont nous imposer une cure d’austĂ©ritĂ©
Pour nos voisins septentrionaux ou germaniques qui sont attachĂ©s Ă la maĂ®trise de leurs dĂ©penses publiques, ce laxisme français, et singulièrement ce laxisme des Ă©lites françaises n’est guère soutenable. Pour obtenir un financement gĂ©nĂ©reux de son probable plan de relance et de ses dettes inextinguibles destinĂ©es Ă assurer sa rĂ©Ă©lection, Emmanuel Macron devra montrer, la semaine prochaine, Ă ses partenaires europĂ©ens, sa dĂ©termination Ă prĂ©server de grands Ă©quilibres par des rĂ©formes structurelles.Â
Pour l’exĂ©cutif français, la situation est assez simple : pas de dettes mutualisĂ©es sans rĂ©forme systĂ©mique des retraites. Sans rĂ©forme systĂ©mique des retraites, pas de dettes mutualisĂ©es.Â
La grande naĂŻvetĂ© des EuropĂ©ens est de croire que la rĂ©forme engagĂ©e par Emmanuel Macron permettra de rĂ©duire les dĂ©penses et de rĂ©tablir l’Ă©quilibre des comptes. Elle n’a jamais Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e sous ce jour jusqu’ici, et il va falloir opĂ©rer un sĂ©rieux retour en arrière, condamnĂ© par avance par la CFDT, pour y parvenir.Â
Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a repoussé toute reprise immédiate des discussions sur la réforme des retraites, à l'issue d'une rencontre avec le Premier ministre Jean Castex, en soulignant que "clairement, la priorité aujourd'hui, c'est l'emploi" #AFP
— Agence France-Presse (@afpfr) July 9, 2020
NĂ©gocier pendant l’Ă©tĂ©, la grosse ficelle du monde d’avant
Pour parvenir Ă ce revirement drastique très orthogonal avec la promesse macronienne du “quoiqu’il en coĂ»te” et du “je n’augmenterai pas les impĂ´ts”, Castex recourt Ă une grosse ficelle de l’ancien monde : nĂ©gocier entre le 14 juillet et le 31 aoĂ»t, au moment oĂą les Français sont sur la plage et ne peuvent plus battre le pavĂ©.Â
En soi, ce choix est toujours perçu comme une forfaiture. Il y a des règles dans ce pays. En aoĂ»t, on se baigne, on ne nĂ©gocie pas d’accord dans le dos des absents. Pour les raisons que nous venons d’exposer, Castex n’a guère le choix du calendrier, mais il a un intĂ©rĂŞt objectif Ă faire vite dĂ©sormais, quitte Ă laisser des traces durables dans ses relations avec l’opinion.Â
Mais il est vrai que la pĂ©riode est tragique, mĂŞme si les Français ne s’en rendent pas compte. Il faudra faire des choix impopulaires. Et après tout, Castex est recrutĂ© pour ça : faire le sale boulot sans demander son dĂ».Â
Macron prend le problème par le mauvais bout
Il n’en reste pas moins que l’infantilisation des Français par Emmanuel Macron va cette fois-ci très loin et risque de lui jouer un très mauvais tour. Au lieu d’expliquer clairement aux Français que nous ne pourrons pas perdre 250 milliards de richesses nationale cette annĂ©e sans faire d’effort, il les berce d’illusions sur la possibilitĂ© quasi magique de traverser la crise sans effort. Ce discours de la protection relève Ă©videmment d’une forme de populisme et de dĂ©magogie qui ne crĂ©dibilise pas le PrĂ©sident sur la scène internationale.Â
Toute la difficultĂ© est de faire rentrer le carrĂ© dans le cercle. Ce casse-tĂŞte est Ă haut risque. Il permet de maintenir vivante une lĂ©gende macronienne Ă laquelle collaborent des medias complaisants. La rĂ©alitĂ© est tout autre. Il faudra rapidement diminuer nos dĂ©penses sociales si nous voulons que nos partenaires nous aident. Et les Français finiront bien par s’apercevoir que Macron leur ment sur ce sujet dans les grandes largeurs et en les prenant pour de sombres idiots.Â