Hélène Strohl dénonce la forgerie d’un mythe politique, celui d’un combat contre une épidémie dont la létalité n’est aujourd’hui pas clairement ni statistiquement établie. Elle souligne les bénéfices politiques que l’aristocratie au pouvoir retire de cette mise en scène accréditée par les médias mainstream : l’étouffement des libertés individuelles qui sécurise un régime fragilisé par l’incompétence de ses dirigeants.
Hélène Strohl
Inspectrice générale des affaires sociales honoraire
A publié L’État social ne fonctionne plus, Albin Michel, 2008
Un couvre-feu décidé dictatorialement
C’est la dimension symbolique de cette décision de couvre-feu qui est sans doute la plus significative. Bien sûr les conséquences « économiques » en seront importantes, comme celles sanitaires d’ailleurs, notamment psychiatriques.
Couvre-feu : c’est à dessein que le président a employé ce mot, plutôt que celui de confinement sanitaire partiel ou nocturne. Car bien sûr le couvre-feu évoque la guerre, et donc le légitime lui comme chef de guerre. D’autant qu’il a pu, dans un pays dit démocratique, décider, tout seul, sans aucune opposition ni aucune délibération, ni aucune consultation obligatoire, de priver vingt millions de Français d’une large part de leur socialité de base. Le couvre-feu a pour objectif d’empêcher, pendant quatre semaines, six semaines, six mois, un an, sait-on jamais, le « manger et le boire ensemble ».
Les livreurs de pizza et les producteurs de télévision comme les plateformes de jeux et de films peuvent se réjouir, il n’y aura plus de repas conviviaux en Île-de-France et dans dix grandes villes. Exécution immédiate, pas même un samedi de répit !
Ni le Parlement, ni le Conseil d’État, ni le Conseil constitutionnel, ni le juge judiciaire, gardien des libertés publiques ne peuvent mais contre cette voie de fait.
Au nom de la santé !
Comme le dit un hebdomadaire mainstream, « les rassuristes sont à contre-courant », car la grande majorité des politiques, des hauts fonctionnaires, des médecins, des scientifiques, des journalistes applaudit à grands cris le choix « cornélien » qu’a fait notre Président.
Pourquoi y croit-on ?
Le mythe se construit lentement, mais sûrement. Il n’est même plus besoin de parler de la guerre explicitement, il suffit d’évoquer les scènes épouvantables auxquelles nous échappons : des réanimations saturées, et personne ne s’avise de dire qu’une toute petite partie des personnes en réanimation est intubée, que l’oxygène qu’on leur administre pourrait l’être à domicile de même que les corticoïdes dans grand nombre de cas, et qu’en tout état de cause ces malades en réanimation ne constituent qu’un petit pourcentage des malades hospitalisés qui eux-mêmes sont un petit pourcentage des malades symptomatiques, qui eux-mêmes ne sont qu’une petite part des testés positifs dont une large partie sont de faux positifs.
Ce sont là des faits, les personnes qui les établissent et les diffusent n’ont pas été poursuivies pour diffusion de fake news et, pour cause, n’ont pas été démenties.
C’est sans doute d’abord par peur que nombre de personnes ne mettent pas en cause le fondement du mythe macronien du Covid. Chacun connaît maintenant un proche qui soit a perdu un proche, soit a lui-même été malade et on n’ose pas infirmer la gravité de la maladie. Pourtant, même en Suède, pays qui du fait du refus de tout confinement a connu une forte mortalité au printemps, mais qui maintenant a surmonté l’épidémie (plus aucun mort depuis début octobre), on n’a assisté qu’à une surmortalité de 15% par rapport à celle de 2019. Il est d’ailleurs fort possible que cette surmortalité soit compensée en 2021 par une « sous-mortalité » presque équivalente, car il s’agit essentiellement de personnes qui sont mortes six mois à un an plus tôt qu’elles ne seraient mortes sans le virus. C’est ce qui s’est vu durant la canicule de 2005. Mais trop de gens ont entendu quelqu’un leur raconter combien cette maladie l’a fatigué (comme une grosse grippe effectivement), combien ils peinent à s’en remettre, etc. Sans doute aussi la manière dont les personnes sont mortes frappe-t-elle de sidération la majorité des gens qui sont dès lors incapables de relativiser le phénomène. Car il est vrai qu’il est scandaleux de se dire qu’à cause d’une épidémie qui a représenté moins de 10% des morts de l’année, on a été incapable d’accompagner les mourants et de les enterrer dignement. Ils sont morts seuls et souvent ont été mis en cercueil sans même que les proches puissent les voir ! Dès lors, il faut, pour accepter cela, comparer cette épidémie à un épisode guerrier, une sorte d’immense catastrophe (18 000 morts directs pour la catastrophe de Fukushima, 260 000 morts pour le Tsunami de l’Océan indien) sans commune mesure avec les causes de mortalité ordinaires.
Honte et peur, culpabilité d’être le survivant d’une catastrophe, on trouve là tous les ingrédients propres à expliquer une partie de la docilité des populations face aux manipulations par la caste au pouvoir, ceux qui comme le dit Michel Maffesoli ont le pouvoir de dire et de faire[1].
Il y a aussi de la bêtise et de la paresse chez nombre de commentateurs de la politique gouvernementale. Comme le disait naïvement une journaliste à qui on faisait remarquer que son analyse de la mortalité par pays était erronée, « on ne peut pas tous être devenus des épidémiologistes ». Mais alors, si vous ne faites pas l’effort de comprendre ces chiffres et ce à quoi ils renvoient, pourquoi donc les reprenez-vous comme de petits perroquets ? Il y a assez actuellement de littérature critique des conceptions diffusées par les autorités pour pouvoir être au courant. Toussaint, Péronne, l’IHU, l’université John Hopkins, Jean-Dominique Michel, etc. Il n’est pas besoin de faire Polytechnique pour comprendre que ces faits sont probants. Il faut juste considérer les chiffres sans fascination ni sidération. Ce sont de simples mesures. Qui les a établis, comment ? Que recouvrent-ils ? Comment les comprendre ? Ce ne sont pas les épidémiologistes qui choisissent ce qu’on va mesurer, ce sont plutôt les cliniciens. Ce ne sont pas non plus les épidémiologistes qui savent quels médicaments pourraient être efficaces, tout au plus peuvent-ils à priori (essai randomisé) ou à posteriori (données observationnelles) comparer des traitements entre eux ou l’absence de traitement et un traitement. Ce sont les médecins au lit des malades qui ont « l’idée » du traitement. Ce sont les réanimateurs qui en observant les malades et en échangeant entre eux ont changé le protocole conseillé au départ. Ces médecins, ces réanimateurs[2], ces épidémiologistes parlent, écrivent, il suffit de les écouter de manière attentive plutôt que de perdre son temps à écouter en boucle le chœur des pleureuses patentées. Car sauf de très rares exceptions ̶ il faut citer l’émission d’André Berkoff sur Sud Radio ̶, et les informations de grande qualité diffusées par le collectif France Soir actualités, dans les médias traditionnels, on n’entend que répéter à l’envi les mêmes versions de l’épopée guerrière de notre président.
Le mythe se construit lentement, mais sûrement. Il n’est même plus besoin de parler de la guerre explicitement, il suffit d’évoquer les scènes épouvantables auxquelles nous échappons : des réanimations saturées, et personne ne s’avise de dire qu’une toute petite partie des personnes en réanimation est intubée, que l’oxygène qu’on leur administre pourrait l’être à domicile de même que les corticoïdes dans grand nombre de cas, et qu’en tout état de cause ces malades en réanimation ne constituent qu’un petit pourcentage des malades hospitalisés qui eux-mêmes sont un petit pourcentage des malades symptomatiques, qui eux-mêmes ne sont qu’une petite part des testés positifs dont une large partie sont de faux positifs.
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La construction d’une épopée
Les visées sont-elles bassement politiques ? S’agit-il de reculer l’échéance électorale des régionales (perdues d’avance pour LREM) ? S’agit-il même de mener l’épopée jusqu’à quelques mois de la campagne présidentielle pour apparaître comme Moïse sauvant son peuple ? Les vagues de l’épidémie sont-elles à comparer aux douze plaies d’Égypte ou bien aux eaux qui se retirent pour laisser passer le cortège présidentiel vainqueur ?
Il y a en tout cas, depuis le début, une adhésion au mythe de ceux qui « font l’information » tout à fait extraordinaire. Certes aucun des auteurs ou des conteurs de cette épopée ne sont véritablement touchés par les décisions de confinement ou de couvre-feu.
Ce sont les sans grade, les prostitués, les mendiants, les travailleurs au noir, les déviants de toutes sortes, les chauffeurs d’Uber, les auto-entrepreneurs, les intérimaires et les saisonniers, bref tout ce grouillement de gens qui se débrouillent dans les interstices du système, qui sont malades et surtout qui se retrouvent sans ressources. Et que, pour part, on s’emploie depuis quelques années à virer ou en tout cas à désinciter[3]. En ce sens la « gestion » du Covid aura été un formidable instrument de rationalisation de l’économie et d’accroissement de la productivité. Activités et travailleurs inutiles peuvent mourir de leur belle mort. Ils n’apparaissent même pas dans les statistiques, sinon dans celles larmoyantes de la pauvreté : comme si c’était un scoop que de découvrir que les personnes pauvres vont plus facilement tomber malades et mourir dans une épidémie, elles qui ont déjà une espérance de vie bien amoindrie et souffrent plus que les riches de toutes les pathologies qui rendent le Covid mortel.
Cette épopée avec ses coups de force laissant béats les vieilles institutions, les parlementaires, les juridictions, les universités, empêchant les rassemblements rituels traditionnels, quotidiens ou festifs, mettant à mal les rites collectifs de toutes les religions se fait au nom des plus vieilles valeurs de la modernité dix-neuviémiste : hygiénisme, puritanisme, individualisme.
Elle s’inscrit parfaitement dans l’idéologie construite par notre système public. Car ce combat contre « l’obscurantisme, les croyances irrationnelles, l’absence de scientificité » est celui qui sous-tend pour une large part l’action publique ; c’est en tout cas ce à quoi s’est réduit le service public.
Les acteurs ne sont pas tant les ministres, qui passent, mais les hauts fonctionnaires qui eux jouent, jour après jour, à cette bataille navale.
L’épopée covidienne de Macron s’inscrit parfaitement dans ce petit monde. Choisir la santé contre l’économie, quel beau slogan pour enfin moderniser, rationaliser l’économie, en faisant le bien des gens, contre leur gré. Quel bel outil d’asservissement des esprits et des comportements.
Et tout ceci pendant qu’applaudissent comme les moutons bêlants qu’ils sont tous ces beaux messieurs et ces belles dames que reconduiront à leur domicile leur chauffeur, après 20 h bien sûr.
Cette prétention à devenir une légende vivante (le sauveur), à écrire une épopée morbide, la tentative de jouer et faire jouer un « Puy du fou du Covid » n’est cependant pas sans risque. Car le « bas peuple », privé de ce qui fait l’essence même de la vie, les amours, les amitiés, les solidarités proches, peut sombrer dans la désespérance, se suicider collectivement, mais aussi se révolter.
Le conte de l’apprenti sorcier est à relire d’urgence.
[1] Michel Maffesoli et Hélène Strohl, La Faillite des élites, éditions du Cerf, 2019.
[2] Il faut écouter par exemple la très belle vidéo de Louis Fouchet, médecin réanimateur à l’hôpital de la Conception à Marseille sur le site de l’IHU.
[3] On peut renvoyer aux travaux de Sarah-Marie Maffesoli dans sa thèse, La Déviance en droit : analyse d’un processus implicite de normalisation, thèse soutenue à Paris X en 2013, qui montre bien l’ensemble des instruments juridiques désincitatifs employés pour « empêcher » des comportements qui ne sont pas interdits, mais que tout simplement la morale et l’opinion majoritaire réprouvent.
Nous sommes condamnés par ce gvt à vivre dans un goulot d’étranglement vers les abimes. Qu’en est il des “visiteurs du soir” à l’Elysée? c’est la diète? Destitution.