Great Reset, chapitre 4 : nous abordons aujourd'hui, dans la suite de nos chapitres de la semaine dernière, la question qui nous semble la plus cruciale de l'ensemble du livre de Schwab et Malleret, celle du profit et des rendements décroissants du capital, non seulement du fait de la pandémie, mais surtout du fait de changement de paradigme. Le "sauvetage de la planète" impose une remise en cause durable du modèle consumériste qui a fait la fortune (ou certaines fortunes) de l'Occident. Voici comment le Great Reset repositionne son modèle de profit dans le monde de demain.
However, beware of the pursuit of degrowth proving as directionless as the pursuit of growth! The most forward-looking countries and their governments will instead prioritize a more inclusive and sustainable approach to managing and measuring their economies, one that also drives job growth, improvements in living standards and safeguards the planet. The technology to do more with less already exists.
Schwab and Malleret, the Great Reset Tweet
L’une des révélations les plus étranges du Great Reset de Schwab et Malleret est livrée par le deuxième chapitre du livre, consacré à l’économie. Fidèle au style des deux auteurs, il est écrit en langage aseptisé et appelle donc une double lecture : l’une qui se cantonne à la surface des mots, et l’autre qui cherche à en percer l’intention finale.
À la surface des mots, on trouve un chapitre organisé en trois grandes parties dont la cohérence ne saute pas aux yeux. Dans une première partie, les auteurs livrent une sorte de prêt-à-penser sur la crise économique et sur les perspectives de croissance à court terme dans le monde. L’ensemble relève du commentaire d’actualité relativement passe-partout et conclut sur la conviction que la reprise n’interviendra pas avant l’arrivée d’un vaccin. Et même une fois celui-ci développé, il faudra plusieurs années pour retrouver le niveau d’activité antérieur à la crise. Dans une deuxième partie, l’ouvrage s’appesantit sur le modèle économique de demain et sur la place que les thèmes écologiques y tiendront comme source de profit. C’est ce point que nous approfondirons dans le présent chapitre. Nous décortiquerons la troisième partie de l’analyse économique de Schwab et Malleret, centrée sur le rôle de l’Etat dans l’économie de demain, dans notre chapitre suivant.
Davos se convertit à l’écologie
Pour résumer l’essentiel de l’analyse “macro” du Great Reset, on peut dire qu’elle consacre le ralliement des éminences grises du capitalisme mondialisé aux grandes thématiques écologiques. C’est un fait suffisamment important pour qu’il soit souligné et signalé de façon marquée.
En apparence, en effet, la logique du capitalisme est de produire toujours plus pour dégager toujours plus de profit. Cette logique de productivisme explique très largement l’essor de la société de consommation et de son idéologie matérialiste. Elle explique aussi le développement à outrance de ce qu’on a appelé l’obsolescence programmée : pour obliger le consommateur à acheter, les producteurs rendent leurs biens éphémères et poussent à les remplacer rapidement par d’autres biens tout aussi éphémères.
Ce système consumériste est à la base de la réussite foudroyante qui a transformé les GAFAM en champions mondiaux quasi-monopolistiques. Apple a bâti sa stratégie dans le domaine du téléphone mobile sur cette obsolescence régulière des I-Phone, appelant à acquérir à court terme un nouvel appareil toujours un peu plus (mais pas beaucoup plus…) perfectionné. Amazon a fondé sa prospérité en se transformant en véritable caverne d’Ali-Baba capable de livrer en quelques heures n’importe quel bien à des tarifs défiant toute concurrence. Google et Facebook sont devenus les propulseurs mondialisés de ces ventes en série fondées sur un principe simple : il faut consommer plus que la terre ne peut donner.
Ce modèle de profit repose sur quelques principes simples : une consommation déraisonnable, une émission grandissante de gaz à effets de serre, notamment par la noria incessante de biens entre la Chine, qui est devenue la zone industrielle du monde, et le reste de la planète, qui est devenu la réserve indienne des consommateurs. D’un côté, une production massive à petits prix, amenée par bateaux ou par avions extrêmement polluants sur les lieux de consommation. De l’autre, une consommation massive à petits prix, de produits de faible qualité qui se renouvellent régulièrement. Tout ce que déteste l’écologie et la préservation de la planète…
De façon spectaculaire, Schwab entraîne le Forum de Davos dans un modèle en apparence (mais en apparence seulement…) radicalement contraire à ces principes. Il faut ici être particulièrement attentif aux formulations sinueuses du Great Reset, qui, par leur finesse, recèlent de nombreuses surprises. Le fondateur de Davos dénonce d’une part ce qu’il appelle la “tyrannie du PIB”, et promeut d’autre part, un modèle économique respectueux de la “nature”. En particulier, on lira sous sa plume cette phrase qui consacre son ralliement à un modèle proche de ce que Greta Thunberg peut admettre : “L’économie verte couvre un spectre de possibilités depuis une énergie plus verte jusqu’à l’écotourisme en passant par l’économie circulaire.”8
Pour Schwab, la croissance de demain, qui devra dépasser le simple calcul actuel de PIB et intégrer des critères de bien-être comme prétend le faire la Nouvelle-Zélande, reposera sur l’économie écologique. En particulier, il imagine que le modèle dit du “take–make-dispose” pourrait constituer la clé des profits de demain. Ce jargon angliciste consiste essentiellement à décrire l’économie de la réparation des biens une fois usagés.
Toutes ces considérations sont entourées d’une nébuleuse de termes anglo-saxons savants dont les salons des élites raffolent d’autant plus qu’il fonctionne avec des mots creux mais ostentatoires. On retiendra par exemple : “L’innovation dans la production, la distribution et les modèles économiques peut générer des gains d’efficience et de nouveaux ou des meilleurs produits qui créent une valeur ajoutée plus importante, conduisant à de nouveaux emplois et à la prospérité économique.”9 Ces phrases tournent comme des hamsters dans une roue, mais les répéter donne l’air intelligent dans les dîners en ville, surtout quand on n’a aucune idée sur rien.
L’angoisse de Davos face aux rendements décroissants
Faut-il adhérer avec naïveté à la croyance selon laquelle l’écologie serait devenue le nouveau totem du capitalisme ? En lisant entre les lignes du texte du Schwab, on s’aperçoit que le raisonnement est sensiblement différent.
Tout d’abord, Schwab et Malleret consacrent un long développement au chômage de masse qui nous guette. “Le marché du travail sera de plus en plus polarisé entre les tâches très bien payées et une myriade de jobs disparus ou mal payés et peu intéressants”.10 On pourrait croire à une pensée altruiste touchante de la part des auteurs, mais un mal plus profond les effraie, en réalité : dans les années à venir, le pouvoir d’achat de la population mondiale devrait beaucoup souffrir de la crise, dans des proportions inconnues jusqu’ici. Et ceux qui arrivent à épargner auront tendance à restreindre leur consommation par précaution, par crainte de jours difficiles. Ces tendances condamnent le modèle consumériste et obligent à repenser ce qu’on appelle la croissance.
D’où cette phrase qui en dit long sur la menace qui pèse sur le capitalisme : “Après la pandémie, selon les projections actuelles, la nouvelle “norme” économique pourrait se caractérisé par une croissance beaucoup plus basse que durant les dernières décennies”11 Et voilà bien le problème dans toute son ampleur et sa cruauté : comment dégager du profit dans les années à venir ? Schwab a auparavant rappelé que les précédentes pandémies (notamment celle de la Peste Noire de 1348) se sont soldées par de massives augmentations de salaires pour les survivants. Alors il faut poser la question de la façon suivante : si la consommation diminue fortement du fait des changements de comportements induits par la pandémie, si les salariés demandent des augmentations de salaires, quels profits resteront pour les actionnaires, et surtout pour les patrons qui managent les entreprises ?
Même si cette question n’est pas clairement posée dans le livre de Schwab, elle en constitue pourtant la clé de voûte, l’explication secrète de son questionnement et de ses curieux ralliements. D’une certaine façon, on peut même dire que le Great Reset n’est rien d’autre qu’une tentative pour sauver un modèle de profit capitalistique dans un monde dont le paradigme d’après-guerre est en train de s’effondrer.
Great Reset et décroissance
Du caractère fondamental de cette question très capitaliste du profit dans l’ensemble du Great Reset, on en trouve confirmation dans les propos lapidaires que les auteurs tiennent sur la décroissance, et que nous citons en exergue de ce livre. Schwab et Malleret “exécutent” la question de la décroissance en quelques lignes très rhétoriques qui développent deux arguments.
Premier argument : la décroissance n’est qu’une idéologie de la croissance à l’envers. De même que la volonté d’augmenter le PIB sans tenir compte de l’utilisation qui est faite des richesses n’a pas de sens, l’obsession inverse de le diminuer ne règle pas la question du bonheur dans la société.
Deuxième argument : les technologies existent déjà pour faire mieux avec moins. Alors pourquoi s’interdire de profiter d’une croissance “soutenable” ?
Pour être franc, l’argument ne paraît pas décisif, et trahit un certain embarras sous la plume des rédacteurs. Mais leur conclusion en dit long sur la question qui les agite, la seule, la vraie : comment sauver ce qui peut encore être sauvé du productivisme ? Qu’il faille, pour éviter un naufrage complet, parler d’écologie, de croissance verte, d’économie sociale, importe peu. Cela vaut toujours mieux que d’assister au triomphe de la décroissance et à l’implosion du modèle de production dominant jusqu’ici.
Triomphe de l’écologie superficielle
Si l’on “retourne” le Great Reset, on comprend donc, en creux, qu’il vise à sauver la répartition actuelle des richesses en enrobant le vieux capitalisme d’habits écologiques et sociaux. Pour caricaturer ce pari, on pourrait dire que Schwab et Malleret le rocardien sont intimement convaincus que la bouée de sauvetage du capitalisme se trouve dans le prêt-à-penser de centre gauche à tendance écologiste qui domine la mentalité des bourgeoisies métropolitaines d’Europe.
La grande alliance est là aujourd’hui : pour éviter la déroute complète de notre système économique, nous devrions tous en cœur accepter une société reposant sur deux piliers socio-professionnels : les vainqueurs de la mondialisation qui détiendront les emplois les plus gratifiants… et le reste de la population qui bénéficiera d’aides en tous genres pour continuer à consommer et ainsi dégager du profit pour la minorité qui les dirige. Au contraire de la féodalité où la société reposait (de façon mythique) sur la crainte que le seigneur imposait à ses sujets, le capitalisme vert devrait reposer sur la satisfaction des plus pauvres d’avoir accès à des biens de consommation qui rendent la vie plus douce.
Dans ce système, les classes moyennes disparaissent, peu ou prou, au nom d’une écologie superficielle dont l’invocation permet de préserver des positions sociales acquises par les plus forts.
Un grand merci pour ce “débunkage” 🙂
Bonjour,
Rien à voir avec le sujet mais je me demande bien quel est le rapport entre vos articles et les photos de jeunes femmes picolant des cocktails???
Cdt
Moi aussi…
????????????
“Les technologies existent déjà pour faire mieux avec moins. Alors pourquoi s’interdire de profiter d’une croissance “soutenable” ? “.
Ma réponse: c’est parce que les compagnies pétrolières veulent encore plus de “profits” et exister encore et encore.
Tant que la bagnole aura besoin de pétrole, alors, ils “tiendront” les gouvernements à leur merci. Et quand la bagnole électrique aura supplantée la thermique, alors les écolos feront encore plus pression pour arrêter des centrales nucléaires “vieillissantes”.
Une partie de la solution à l’arrêt de centrales, pourrait être dans la production de piles à combustible individuelle par logement pour le chauffage et l’éclairage. Et garder les bagnoles avec des batteries qui deviendront de plus en plus performantes et légères et moins couteuses.
Quant ” au triomphe de la décroissance et à l’implosion du modèle de production dominant jusqu’ici “, je n’y crois pas trop. L’économie “circulaire”, en gros recycler les vieux “objets” pour leur donner une nouvelle vie, se fracassera sur la volonté inextinguible de certains à l’innovation technique perpétuelle et à moindre coût de chacun d’entre nous.
Le “Grand Reset” est une énorme arnaque montée par les influents oligarques de Davos (numérisation de l’économie au profit des géants US du secteur, effacement des dettes avec le patrimoine des citoyens, contrôle “orwellien” des populations, gouvernance mondiale).
Il est profondément regrettable que cet article se soit arrêté à la couche superficielle, de couleur verte, destinée à habiller le dossier façon “greenwashing”…