Les révélations se succèdent sur le passé politiquement “engagé” du très médiatique Yann Moix. Son roman “Orléans”, où il présente sa famille sous un jour défavorable, ne semble pas lui porter chance. Charles Weizmann s’interroge sur les raisons pour lesquelles un passé bien connu de quelques initiés refait aujourd’hui surface.
Venu présenter son livre « La meute » en défense de Polanski sur le plateau de l’émission « On n’est pas couchés », Yann Moix tenta un bon mot face à Eric Zemmour, à l’époque chroniqueur chez Ruquier : « Tu sais, un philosémite, c’est un antisémite qui aime les juifs. » Il se vit aussitôt répondre par un Zemmour sarcastique : « Je te le fais pas dire ! » Bref, tout le monde savait !
Que Yann Moix ait été dans sa jeunesse quelques coupables activités est de toute évidence le secret le moins bien gardé des dîners parisiens. Rappeler que l’enfant chéri des Editions Grasset, protégé de Bernard-Henri Lévy, panégyriste d’Edith Stein, lévinassien bruyant, avait plus de casseroles qu’un couple de jeunes mariés faisait toujours son petit effet.
Depuis dix ans, on a assisté à nombre de moments de télévision un peu bizarres où un invité décidément mal élevé évoquait de manière plus ou moins voilée le scandaleux passé du philosémite opportuniste et curieusement tout le monde changeait rapidement de sujet. Bref, tout le monde savait et faisait semblant de ne pas savoir… jusqu’à aujourd’hui.
Qu’est-ce qui a changé ? Un conflit familial qui finit par sortir dans la presse ? Non. La vérité c’est que Yann Moix ne sert plus à rien et que la main invisible qui le protégeait jusqu’ici n’a pas agi. Le consensus journalistique, c’est un banc de poisson : quelques vedettes influentes donnent le rythme sur lequel les autres se calent, d’abord par paresse et par conformisme. Toujours est il que le consensus est aujourd’hui que Yann Moix va pouvoir être mis à mort. Disons que par reconnaissance, on a fait ça en plein été, comme pour les animaux abandonnés au bord des routes.
L’affaire est pourtant un terrible révélateur. Pour le commun des mortels, un simple soupçon d’antisémitisme vaut mort social. Etienne Chouard pourrait en témoigner. Pour d’autres, la loi est différente. Disons que, pour reprendre une sinistre expression, il y a des parrains qui décident de qui est antisémite et de qui ne l’est pas. Yann Moix était tenu. Son passé gênant et ses ambitions mondaines le rendaient contrôlable. En cas de foucades, il risquait d’être lâché. Pourtant, ce n’est pas une velléité d’indépendance qui l’a perdu. Simplement, vieille bête devenue inutile, ses propriétaires l’ont vendu à l’équarrisseur pour un coup à boire.
Et maintenant ? Il va disparaître des photos. Le choeur des hypocrites va finalement se rendre à l’évidence : que ce pauvre garçon n’avait aucun talent. On se demandera comment le jury du prix Renaudot a pu s’y laisser prendre. D’accord – me direz-vous – il suffisait de lire son livre pour le savoir mais la journée d’un éditeur n’a que vingt-quatre heures…
L’affaire n’est que le symptôme de plus d’un milieu médiatico-littéraire complètement vérolé et aux pratiques mafieuses. Ce n’est pas le procès du petit voyou Moix qu’il faut faire, c’est celui de son parrain.
On remarquera souvent, dans ce Landerneau littéraire auprès duquel la criée de Concarneau après la vente fait figure de salon d’élégance, que les premiers matamores sont de fougueux prétendants à la place du guillotiné, homicide d’autant plus acharné qu’ils auront désiré cet emploi ardemment.
Quant au « talent », cher Eric Verhaeghe, pourquoi maniez-vous ainsi l’insulte à l’endroit de ce microcosme où la naissance, l’argent et la courtisanerie, lieux d’aisance, sont les premiers critères de sélection ?
Depuis quelques siècles en France, on sait que le tampon artistique s’obtient presque exclusivement par l’entregent, comme dans une machine à sous car il faut en être. A cette fin, on cultivera la sympathie des Princes et le carnet – de rendez-vous, d’adresses. Les gens très talentueux, êtres souvent mal dégrossis amer constat, crèvent de faim avec pour seul réconfort d’offrir leur poussière à l’engraissement de la postérité. « Ah quel Grand Homme ! Quel Grand Artiste ! Quand on pense qu’il n’a vendu aucune toile de sa vie ! » entend-on sur le parvis des funérailles… Quand la dépouille n’a pas été jetée à la fosse commune tant le fait semble ordinaire chez les génies. Les fils de bourgeois lui auront jeté des cailloux, les femmes craché des quolibets infâmes, les hommes donné les coups de poignard et croche-pieds opportuns alors qu’un maigre espoir de gloire se présentait à lui. « Vanitas, vanitatis, pourquoi recherchais-tu la vanité, bougre, tu avais déjà reçu le talent, non ? » Plus que de raison on l’aura entendu.
Et c’est d’ailleurs parce qu’ils sont bourrés de talent qu’ils crèvent de faim, qu’on les brocarde et qu’on les pousse rapière…
Talent de France, il faut incessamment quitter le milieu parisien, qui est d’abord, formule signifiante, un milieu. Une minuscule famille, un entre-soi… Une pègre ? Puis s’élargir vers la périphérie la plus éloignée de la basse-cour bruyante, ne s’exprimant en fait que depuis quelques arrondissements, voire de quelques rues d’où l’on prétend assister au miracle permanent… parce qu’ils sont habillés. On devient célèbre par l’accoutrement, qui devient une marque. Certains avaient compris l’obligatoire originalité et se sont quelquefois présentés sales. Cela ne dura pas. Dans sa dernière, solitaire et lumineuse ligne droite, la pouilleuse défroque de Beethoven comme évidente corrélation. Dans la Grosse Pomme, si vous êtes nul, nul besoin d’être habillé, cela ne passera pas. Là l’on donne évidemment crédit au soi-disant universalisme parisien trop souvent absent des quelques rues référencées : il faut porter beau pour en être. Mal leur en prend, le germanopratisme vestimentaire n’a jamais été la voie royale vers la gloire des siècles. « La gloire, astre tardif, lune sereine et sombre – Qui se lève sur les tombeaux » cingla Victor Hugo. A Hauteville House, la mode n’était pas de saison. Si le costume était l’attraction des cimetières, cela se saurait.
Après avoir beaucoup lu, parcouru d’innombrables musées et discographies mondiales dans une orgie de curiosité, on s’enquiert ensuite de connaître leurs lieux d’inspiration. Dans cet inventaire à la Prévert, Paris fait figure de parent pauvre.
Il faut le dire, puis en tirer profit.
Le talent n’éclôt pas sur les trottoirs du Boulevard Saint-Germain.
Les poules ont besoin de tranquillité pour couver leurs meilleurs œufs.
Paris, temple mondial de la vanité, refuse les gemmes non nettoyées.
Après l’usage, on est jeté.
Nulle plainte, ce que l’on perd en cour, on le gagne en œuvre et en beauté.