Le salaire des enseignants serait trop faible en France. Les syndicats enseignants ne cessent de le répéter. Au vu des comparaisons internationales, le point de vue peut se défendre sous certains aspects. Mais faut-il en conclure que l’Éducation Nationale manque de moyens ? Bien au contraire. Toute la difficulté tient à l’allocation de deux-ci, et sur ce point, les enseignants français en sont directement responsables. Voici une analyse détaillée des raisons pour lesquelles les enseignants français sont les artisans de leur propre malheur.
Le salaire des enseignants est un objet de commentaires et de murmures incessants, que ce soit pour les contribuables obligés de financer un corps d’un million de fonctionnaires d’une amabilité souvent douteuse et d’une appétence limitée pour l’intérêt général, ou que ce soit pour les enseignants eux-mêmes dont la bonne volonté individuelle est rapidement minée, durant la carrière, par la violence collective de la machine bureaucratique dont ils sont l’un des rouages. Disons même que le salaire des enseignants est l’un des révélateurs chimiques les plus purs de ce constat terrifiant pour l’espèce humaine selon lequel une somme d’intelligences individuelles peut produire une immense bêtise collective. Et, rendons-lui hommage, l’Éducation Nationale n’est pas dépourvue, loin s’en faut, d’intelligences individuelles brillantes.
Le salaire des enseignants, une approche en parité de pouvoir d’achat par l’OCDE
Par souci de simplicité, nous éliminerons ici des questions pourtant fondamentales, mais qui sont un peu en dehors de notre cible : celle du temps de travail annuel des enseignants, celle de leur engagement dans la vie de leur établissement, et aussi celle, beaucoup plus spécifique, du salaire dans l’enseignement supérieur qui est un problème à part. Nous nous centrerons sur la question seule du salaire, telle qu’elle est étudiée (avec beaucoup de pertinence, cela dit) par l’OCDE. Et par simplicité, nous ne retiendrons même pas l’originalité du « salaire » selon l’OCDE, qui se cantonne aux rémunérations purement statutaires et n’intègre pas les primes, dont le montant est variable selon les cas.
Grosso modo, on retiendra que l’OCDE, dans l’étude Education at a Glance de 2019 à laquelle nous nous référons pour rédiger cet article, minore d’environ 10% les rémunérations des enseignants français. Mais nous ne retenons pas ce biais dans notre analyse, car d’autres pays industrialisés ont aussi mis en place des primes pour leurs enseignants, qui constituent autant de biais pour ceux-ci.
Enfin, il faut noter que l’OCDE travaille en parité de pouvoir d’achat convertie à partir du dollar. Là aussi la méthode de calcul appelle de nombreux tempéraments, mais par commodité (la France n’ayant aucune raison objective de mégoter sur le salaire de ses enseignants), on retiendra le modèle sans le discuter, mais en gardant à l’esprit qu’il présente des biais.
Penser la dépense éducative
Pour bien traiter la question du salaire des enseignants, il est utile de replacer la question de la dépense éducative dans son contexte global. Quand on écoute les syndicats enseignants, et surtout les plus corporatistes et cléricaux d’entre eux comme le SNES-FSU, l’éducation se réduit pour l’essentiel au salaire des enseignants. Mieux les enseignants seront payés, meilleur sera le niveau éducatif. Le drame de beaucoup de politiques est de s’être laissés piéger par cette imposture syndicale, équivalente à l’idée selon laquelle la motivation de l’employé serait directement corrélée à son niveau de salaire. Or l’expérience montre que la motivation d’un employé, qu’il soit enseignant ou ouvrier à la chaîne ou cadre supérieur dans une entreprise, dépend d’abord de son niveau d’autonomie et d’implication dans l’organisation, et secondairement de son niveau de rémunération.
Les chiffres de l’OCDE le montrent clairement. Les pays qui décrochent les meilleurs résultats aux termes de l’enquête PISA sont des pays où la part des ressources éducatives consacrées au salaire des enseignants est inférieure à la stratégie éducative française. Ce tableau l’illustre très bien :
Comme on le voit clairement, la France est pratiquement à la moyenne de l’OCDE dans la part des dépenses accordées aux salaires. Celle-ci est supérieure à ce qui se pratique en Finlande ou en Corée, pays reconnus pour leur bon niveau d’éducation. Celle ne signifie pas, bien entendu, que baisser la part des salaires dans la dépense globale soit une garantie d’amélioration du niveau scolaire. En revanche, cela permet de vérifier une fois de plus que le salaire n’est pas tout, loin de là, dans la dépense éducative, et que ce serait une erreur de se laisser entraîner dans cette logique syndicale.
Mais ce qui semble le plus intéressant, dans cette étude, c’est le constat que l’OCDE dresse de façon transparente : dans la masse salariale consacrée à l’éducation, la part des salaires enseignants en faible, plus faible qu’ailleurs. Le personnel non-éducatif en draine une plus forte partie que chez nos voisins industrialisés. Il faut aller aux États-Unis pour trouver un pays qui fasse « moins bien » que la France sur ce point. Curieusement, la masse salariale des enseignants dans la dépense éducative totale est la même en France et en Corée, pour une part de dépense salariale non-enseignants très inférieure en Corée.
Démonstration est donc faite qu’un système éducatif peut beaucoup mieux fonctionner qu’en France avec beaucoup moins de technostructure pour l’encadrer…
Quand la sur-administration éducative pompe les ressources du contribuable
Progressivement, se dégage donc une évidence : l’école publique en France est plombée par sa sur-administration, cette armée de fonctionnaires occupée dans d’innombrables cascades de bureaux aux lugubres enfilades de portes. Ces cascades se comptent par dizaines : il y a celles de la rue de Grenelle et de ses satellites, puis celles des rectorats, puis celles des inspections académiques, sans compter les plus petites enfilades dans les agences comptables et les établissements eux-mêmes. Ils sont près de 30.000 à brasser ainsi de l’air dans une multitude de procédures mystérieuses. On ajoutera à ce chiffre, sur lequel l’Éducation Nationale reste très discrète, environ 250.000 personnels non-enseignants. En tout, ce sont près de 280.000 fonctionnaires qui aident les 870.000 enseignants officiels. Une paille !
Le tableau suivant, toujours tiré de l’étude OCDE, montre les dégâts de cette politique :
L’intérêt du tableau est de permettre de façon resserrée la comparaison entre la dépense salariale qui profite aux enseignants, et celle qui profite aux non-enseignants de la communauté éducative. Comme on le voit, la France consacre deux points de plus aux salaires que ses voisins dans la dépense éducative. Mais alors que le salaire des enseignants représente 63% de la dépense éducative dans l’OCDE, il n’en représente que 58% en France, soit un différentiel de 5 points. En matière de pourcentage de salaire accordé aux non-enseignants, la France est championne mondiale après les États-Unis et l’Estonie.
Ce chiffre devrait interroger fortement. En effet, 22% de la dépense éducative sont absorbés, pompés pourrait-on dire, par le salaire des non-enseignants. La moyenne de l’OCDE est à 15%. Autrement dit, la part que la France consacre à salarier ces mystérieuses personnes, qui coûtent tout de même plus de 10 milliards € par an, est supérieure de 50% à ce que font les autres pays industrialisés. Au pif, on pourrait se dire qu’il y a là un gisement intéressant d’économies à réaliser. On ne s’étonnera donc que pas la page « chiffre-clés » du site de l’Éducation Nationale (réalisée par quelques-uns de ces non-enseignants) en masque scrupuleusement l’existence.
En quoi les enseignants sont-ils responsables de cette situation ?
De ce poids excessif du non-enseignant dans la masse salariale éducative, qui représente bon an mal an une économie possible de 4 milliards qui pourrait apporter, si elle était redéployée sur les enseignants, une augmentation de salaire de 4.000 € euros bruts par an (soit un bon 200 € nets par mois qui feraient passer les enseignants français au-dessus de la moyenne de l’OCDE), on ne s’étonnera pas que les syndicats enseignants ne pipent mot. Ces personnels sont en effet chargés de ce que les enseignants refusent de faire, ou de ce qu’ils souhaitent conserver pour éviter toute bascule dans un système de mesure de la performance.
L’exemple le plus caricatural est celui du « mouvement enseignant », c’est-à-dire de la gestion des mutations d’un poste à un autre, qui occupe des armées d’administratifs au travail totalement inepte. Ce mouvement fonctionne à partir d’un système obsolète de points et confie à la co-gestion syndicale le soin de réaliser la gestion des ressources humaines qui devrait en principe appartenir aux chefs d’établissement. La Cour des Comptes pointe d’ailleurs régulièrement les difficultés que l’absence d’autonomie des établissements scolaires pose en termes d’intérêt général. Mais les syndicats enseignants veillent au grain!
L’enjeu, pour ceux-ci, est en effet de conserver la mainmise sur l’organisation de la machine éducative. Ils bénéficient de l’aide complice des enseignants, heureux d’avoir à travailleur avec des chefs d’établissement qui n’ont aucun pouvoir pédagogique sur eux, et sont donc incapables de leur demander des comptes sur leur manière d’enseigner. D’où un nombre incalculable de déviances enseignantes devant les élèves ou d’insuffisance qui débouchent de plus en plus souvent sur des conflits ouverts.
Pour préserver cette impunité, les enseignants payent le prix : ils maintiennent une sur-administration chargée de faire vivre des procédures qui les protègent.
L’autonomie des établissements pour augmenter le salaire des enseignants
On le voit, il existe une façon simple et rapide d’augmenter fortement les salaires des enseignants (d’au moins 10%) sans augmenter la dépense éducative française : elle consiste à supprimer au moins 90.000 emplois non-enseignants à l’Éducation Nationale.
Pour y parvenir, il faut casser la gestion nationale des corps, le mouvement co-géré avec les syndicats, donc donner une autonomie de gestion aux établissements scolaires, comme cela existe dans tous les pays industrialisés.
L’intérêt général s’y retrouvera…
Au vue de mon expérience de quelques mois dans un lycée professionnel, l’analyse macro faite ici est juste.
La philosophie du système est de laisser aux enseignants leur sacro-sainte « liberté pédagogique » dans un système qui , d’un côté, donne la priorité au volet « Vie scolaire » (avec l’objectif du « pas de vague ») et, d’un autre côté, vide peu à peu les programmes de toute ambition d’acquisition de connaissances.
Les enseignants sont donc à la fois orgueilleux, malheureux et mal payés et ils ne veulent rien changer ; les élèves méprisent les acteurs de la « communauté éducative » qu’ils sentent démoralisés et qui ne leur apprend que le catéchisme du « vivre ensemble » ; le personnel non-enseignant régit le tout en ayant pleinement conscience que c’est une farce explosive. La démoralisation est générale, d’où la fuite vers les quelques établissements qui peuvent maintenir le style « vieille école » parce que les cadres supérieurs et les enseignants y scolarisent leurs enfants.
Ok, mais quel est le rapport avec le salaire des enseignants.
Qu’il faille modifier et faire évoluer le système d’accord mais quel est le rapport avec les salaires?
Le titre de l’article n’a que peu de rapport avec son contenu.
Vous devriez le lire, avant de le critiquer, je pense.
Que des chiffres et des problèmes de fric et de ROI comme d’habitude.
L’article s’abaisse dans les statistiques ; on y comparatise des pays incompatibles.
Et la sainte OCDE est convoquée, comme Dieu nous convoquera au jour du jugement dernier.
Mais notre auteur en bon »maître queue » a trouvé pourquoi la soupe est pas bonne : c’est la faute au fameux »mammouth » – aux planqués des bureaux – aux ultra-vilains syndicats.
Quant à la bonne recette du chef – à consommer sans modération : il suffit de libéraliser tout ça une bonne fois pour toute.
Patience … bientôt, la bonne recette des accords de Bologne (1999) va marcher. Chaque gouvernement »français » a toujours été un bon gouvernements, mais juste un peu trop lent. Aujourd’hui, la bonne solution finale est enfin en vue. Faites confiance à la grandeur managériale et entrepreneuriale de la Commission Européenne qui est toujours gagnante : éclatement de la SNCF – capitalisation des retraites – vente à la découpe des grandes infrastructures et des grands équipements collectifs hexagonaux. Le sort de l’Éducation est lui aussi plié, même si elle reste le dernier grand et juteux MARCHÉ à privatiser. Chacun sait en effet que seul le »capital » est capable de gérer efficacement la demande et des besoins réels issus de la préservation du bien commun, dans une économie fondée sur la profitabilité des capitaux, et surtout des attentes de pseudos citoyens-consommateurs.
Avec le réchauffement climatique, l’Éducation va elle aussi disparaître – comme des milliers d’espèces condamnées – même s’il existe encore des enseignants qui, malgré toutes les contraintes de l’idéologie libérale, tentent encore de construire des citoyens Libres – Égaux- et non jetables.
Patience mes bons amis, le CAC veille sur nous, pour vous.
Pas compris le sens de l’article. Un établissement scolaire fonctionne avec peu de personnel non enseignant : deux personnels de Direction, un gestionnaire, deux conseillers d’éducation, une poignée de surveillants et deux ou trois secrétaires. On peut pas faire moins.
Que le Mammouth rectoral et ministériel soit géré comme l’as de pic, je le conçois parfaitement.
Mais aller suggérer que les enseignants soient responsables de cette gabegie et que leur salaire n’est finalement pas si minable, c’est se foutre du monde.
Avec les salaires et les conditions de travail actuelles, plus personne ne veut faire ce métier, les concours ne font pas le plein.