Dans l'affaire Matzneff, l'omerta en vigueur dans les élites parisiennes est la principale accusée. Tout le monde ou presque savait à quoi s'en tenir. Mais il était interdit d'en parler, sous peine d'être blacklisté dans le milieu de l'édition… et dans les milieux littéraires en général. Cette menace de bannissement, si puissante dans les élites parisiennes, a garanti à l'impétrant une quais-impunité pendant plusieurs décennies.
Qui ne savait pas à Paris que Matzneff aimait la fréquentation de très jeunes femmes ? En réalité, tout le monde savait, et tout le monde se taisait par peur d’être banni des milieux littéraires. Il suffit de lire quelques réactions parmi les “ténors” du milieu pour comprendre à quoi s’exposait toutes celles qui auraient osé s’inquiéter ouvertement de ce recours à une sexualité “hors normes” que certains assimilent à de la pédophilie ou de la pédérastie (lorsqu’il s’agissait de jeunes garçons puisque, de l’aveu même de Matzneff, jeunes garçons il y eut).
Matzneff et le cas Bombardier
On se souvient que, dans les années 90, l’auteure québécoise Denis Bombardier avait dénoncé la pédophilie de Gabriel Matzneff. Ce coup d’éclat lui valut un bannissement immédiat, dont elle témoigne aujourd’hui.
C’est un petit milieu qui se protège, où on est prêt à admettre n’importe quoi, dit l'écrivaine au sujet de l’omerta qui régnait dans le monde littéraire en France à l'époque. (...) Dans les maisons d’édition, ils permettaient aux gens d’être publiés. Dans les jurys littéraires, ils pouvaient se donner des prix et se renvoyaient la balle, estime-t-elle. C’est une sorte de mafia qui existait, mais pas seulement autour de la pédophilie.
Un petit univers de l’entre-soi où l’on se protège et où les portes se ferment dès qu’on n’aboie pas avec la meute ? Non… il n’est pas possible que cela existe à Paris.
En réalité, le mal est probablement beaucoup plus ancré qu’on ne le dit aujourd’hui. L’inclination pour les jeunes femmes, et parfois pour les jeunes garçons, est une pratique répandue dans les milieux littéraires et artistiques parisiens. Il est de bon ton de ne pas s’en offusquer sous peine de s’exposer à des représailles.
La vigueur avec laquelle Josyane Savigneau, ancienne rédactrice en chef du service Culture du Monde, a réagi aux attaques contre Matzneff donne une bonne image de la violence à laquelle tout opposant avait droit. Pour mémoire, Josyane Savigneau fut en son temps épinglée pour son esprit de connivence et sa capacité à faire ou défaire les réputations selon ses amitiés. Le livre La face cachée du Monde en fit ses gorges chaudes.
Concernant l’attribution du prix Renaudot à Matzneff en 2013, les membres du jury n’ont pas dit autre chose : ” Dans ce qu’il a pu écrire sur sa vie amoureuse, il y a des choses ahurissantes et inacceptables, mais c’est un vieux monsieur blacklisté et dans le besoin : on a fait la part des choses “, dit de lui Patrick Besson. Soutenir l’un des nôtres dans le besoin…
On notera qu’à l’époque Frédéric Beigbeder était président du jury. Il est aujourd’hui l’un des premiers à lâcher Matzneff. C’est la deuxième caractéristique des milieux parisiens : courageux à plusieurs, mais pas téméraires tout seuls.