Le critère de transparence financière est un principe incontournable pour permettre Ă un syndicat de salariĂ©s d’ĂŞtre reprĂ©sentatif. Mais certains syndicats non reprĂ©sentatifs aimeraient bien ne pas avoir Ă rĂ©pondre de cette obligation… un comble. La question est tellement Ă©pineuse qu’elle fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalitĂ© (QPC) qui vient d’ĂŞtre tranchĂ©e dans une certaine indiffĂ©rence. La faute au coronavirus diront certains.

par Léo Guittet
Docteur en droit à Tripalio et spécialiste des conventions collectives
La QPC Ă©mane d’un syndicat de salariĂ©s non reprĂ©sentatif (l’Union des syndicats anti-prĂ©caritĂ© ou USAP) qui souhaite nommer un reprĂ©sentant de section syndicale dans une entreprise. L’entreprise en question a refusĂ© d’accepter cette nomination au motif que le syndicat ne respecte pas le critère de transparence financière. HĂ©las pour lui, cette interprĂ©tation de la loi est bien conforme Ă la Constitution d’après le Conseil constitutionnel. Pourtant cela ne va pas de soi Ă la lecture des textes en vigueur qui ne fixent pas d’obligation de transparence financière pour les syndicats de salariĂ©s non reprĂ©sentatifs.
C’est en cela que la dĂ©cision rendue le 30 avril 2020 est incontournable. Le Conseil y valide l’interprĂ©tation constante, depuis 2017, de l’article L. 2121-1 du code du travail par la Cour de cassation selon laquelle tout syndicat doit, pour pouvoir exercer des prĂ©rogatives dans l’entreprise, satisfaire au critère de transparence financière.
Au-delĂ du simple point de droit, il est intĂ©ressant de voir comment un syndicat de salariĂ©s, souvent prompt Ă exiger des entreprises de faire preuve de transparence, rĂ©clamer ouvertement un droit Ă l’opacitĂ© financière.
Les arguments du syndicats pour refuser la transparence financière
Pour le syndicat de salariĂ©s USAP Ă l’origine de la QPC, l’interprĂ©tation constante de la Cour de cassation est nĂ©cessairement contraire Ă la loi. Selon lui, le juge a ajoutĂ© une condition Ă l’exercice de prĂ©rogatives au sein de l’entreprise qui n’est pas prĂ©vue par le code du travail. (nous devons reconnaĂ®tre que ce constat est bien rĂ©el). L’application de cette jurisprudence serait alors contraire au principe de libertĂ© syndicale, au principe de participation des travailleurs Ă la dĂ©termination collective des conditions de travail, au principe d’Ă©galitĂ© devant la loi et au principe de sĂ©paration des pouvoirs.
Le syndicat USAP a donc toute lĂ©gitimitĂ© Ă demander au Conseil constitutionnel de clarifier cette interprĂ©tation jurisprudentielle qui impose aux syndicats non reprĂ©sentatifs une condition non prĂ©vue par la loi. Mais l’on perçoit aussi cette QPC comme une tentative des reprĂ©sentants de salariĂ©s de conserver un droit Ă l’opacitĂ© financière issu de l’ancien monde auquel ils Ă©taient confortablement habituĂ©s. Une telle attitude est plutĂ´t mauvaise pour l’image des syndicats et loin d’ĂŞtre flatteuse.
Face Ă l’argumentaire juridique en apparence imparable du syndicat, les Sages admettent qu’il y a un risque d’atteinte Ă la libertĂ© syndicale et au principe de participation des travailleurs Ă la dĂ©termination collective des conditions de travail. Mais ils prĂ©fèrent se ranger derrière la vision de la Cour de cassation et l’assurance de l’indĂ©pendance des organisations syndicales par l’exigence de transparence financière.
le Conseil a implicitement admis que les dispositions contestées étaient susceptibles deheurter la liberté syndicale et le principe de participationdes travailleurs à la détermination collective des conditions de travail.
Commentaire de la décision par le Conseil constitutionnel Tweet
La transparence financière : condition sine qua non d'exercice de tous les syndicats
D'une part, en imposant aux syndicats une obligation de transparence financière, le législateur a entendu permettre aux salariés de s'assurer de l'indépendance, notamment financière, des organisations susceptibles de porter leurs intérêts. D'autre part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'un syndicat non représentatif peut rapporter la preuve de sa transparence financière soit par la production des documents comptables requis en application des articles L. 2135-1, L. 2135-4 et L. 2135-5 du code du travail, soit par la production de tout autre document équivalent. Dès lors, en imposant à l'ensemble des syndicats, y compris non représentatifs, de satisfaire à l'exigence de transparence financière, les dispositions contestées ne méconnaissent ni la liberté syndicale ni le principe de participation des travailleurs.
Conseil constitutionnel, décision n° 2020-835 QPC du 30 avril 2020 Tweet
La dĂ©cision du Conseil constitutionnel est courte et efficace. MĂŞme si la loi ne prĂ©voit pas d’obligation de transparence financière pour les syndicats de salariĂ©s non reprĂ©sentatifs, il s’agit d’une condition permettant de veiller Ă leur indĂ©pendance.
De plus, la transparence financière peut ĂŞtre prouvĂ©e simplement par la production de documents comptables tels que les comptes annuels obligatoires. Etant donnĂ© que cette preuve est simple Ă apporter, les Sages considèrent que l’interprĂ©tation de la Cour de cassation n’est pas contraire aux principes de la libertĂ© syndicale ou au principe de participation des travailleurs Ă la dĂ©termination collective des conditions de travail. Les principes d’Ă©galitĂ© devant la loi et de sĂ©paration des pouvoirs ne sont pas non plus violĂ©s.Â
MĂŞme si la dĂ©cision est logique, la lecture de la QPC laisse entendre que l’argument soulevĂ© par le syndicat USAP relatif Ă une interprĂ©tation contra legem de la Cour de cassation a bien failli faire mouche.
En pratique, la dĂ©cision signifie que tous les syndicats de salariĂ©s qui souhaitent dĂ©signer un reprĂ©sentant dans une entreprise ou un Ă©tablissement doivent rĂ©pondre Ă cette obligation de transparence financière. Les organisations non reprĂ©sentatives ne peuvent donc plus revendiquer une sorte de droit Ă l’opacitĂ© financière. Le dĂ©bat est donc clos.