On croit souvent qu’un CDD ne peut pas ĂŞtre rompu avant la fin. Des exceptions existent pourtant et obĂ©issent Ă des règles strictes en apparence. Le juge de cassation vient cependant de valider le dĂ©part brutal d’un salariĂ© en CDD aux dĂ©pens de l’employeur !

par Léo Guittet
Docteur en droit à Tripalio et spécialiste des conventions collectives
Dans le cas examinĂ© par la Cour de cassation, l’association Nancy Volley Ball conteste une dĂ©cision de la cour d’appel qui valide le dĂ©part de l’un de ses joueurs qui Ă©tait en CDD tout en la condamnant Ă payer des indemnitĂ©s au salariĂ©. Reprenons les faits dans l’ordre. Le salariĂ© sait qu’il veut partir et reproche des fautes Ă son club. Il engage d’abord une procĂ©dure en rĂ©siliation de son CDD devant les prud’hommes le 21 mars 2013. Puis, 2 mois plus tard, il signe dans son nouveau club le 17 mai 2013. Ce n’est que 10 jours après, le 27 mai 2013 qu’il envoie officiellement son courrier de rupture de CDD Ă son employeur.
D’après l’association, le calendrier des Ă©vènements suffit Ă disqualifier la rupture du CDD Ă ses dĂ©pens. Le courrier de rupture aurait dĂ» arriver plus tĂ´t Ă l’employeur. Mais le vent juridique tourne plutĂ´t en faveur du salariĂ©.
Une tolérance favorable au salarié dans le calendrier de rupture anticipée du CDD
En principe un CDD ne peut ĂŞtre arrĂŞtĂ© avant la fin que si l’entreprise et le salariĂ© se mettent d’accord. Mais la loi prĂ©voit un autre cas, si aucun accord n’est possible. La seule façon de rompre un CDD avant son terme est alors de prouver une faute grave, un cas de force majeure ou l’inaptitude du salariĂ© constatĂ©e par le mĂ©decin du travail. C’est le premier alinĂ©a de l’article L. 1243-1 du code du travail qui prĂ©cise cela.
Dans le cas impliquant l’association Nancy Volley Ball, le salariĂ© semble apporter la preuve suffisante que les manquements de son employeur constituent une faute grave lors de sa rupture anticipĂ©e de contrat. Or, l’association reproche justement Ă la cour d’appel de valider la rupture alors mĂŞme que le salariĂ© a envoyĂ© son courrier de rupture de CDD 10 jours après avoir signĂ© un contrat auprès d’un autre employeur ! Mais le juge ne veut rien entendre…
Pour prendre sa dĂ©cision, la Cour de cassation rappelle la volontĂ© initiale du salariĂ© de quitter l’entreprise. Il a fait appel aux prud’hommes pour rĂ©silier son contrat par anticipation aux torts exclusifs de l’employeur et a finalement dĂ©cidĂ© de rompre vĂ©ritablement le contrat 2 mois plus tard. Selon le juge, la signature d’un autre contrat de travail entre-temps ne peut pas ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme “la manifestation par le salariĂ© d’une volontĂ© claire et non Ă©quivoque de rompre le contrat de travail“.
Cette interprĂ©tation des faits est clairement favorable au salariĂ© qui rompt son CDD tout en disant que c’est la faute de son employeur. La signature “innocente” d’un contrat avec un autre club alors qu’il Ă©tait toujours en CDD est aussi difficile Ă avaler. En règle gĂ©nĂ©rale, le salariĂ© n’est pas autorisĂ© Ă cumuler 2 activitĂ©s salariales. Effectivement les contrats sont souvent assortis d’une clause d’exclusivitĂ© qui peut elle-mĂŞme dĂ©couler de la simple application de la convention collective. Dans le cas prĂ©sent, la Cour de cassation considère que la signature d’un autre contrat par le salariĂ©, alors que son CDD est encore en cours, ne constitue pas une faute qui annulerait sa prise d’acte transmise 10 jours après Ă son employeur.
Mais attendu, d’abord, qu’ayant constaté que l’engagement du salarié par un autre club sportif avait été précédé de la saisine, par l’intéressé, de la juridiction prud’homale en vue de la résiliation du contrat de travail en raison des manquements qu’il imputait à l’employeur, la cour d’appel a fait ressortir que cet engagement ne pouvait être considéré comme la manifestation par le salarié d’une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail ;
Attendu, ensuite, que sans se déterminer par des motifs inopérants, la cour d’appel qui, prenant en considération les manquements invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée et analysant cette rupture anticipée à l’initiative du salarié au regard des dispositions de l’article L. 1243-1 du code du travail, a pu décider, peu important qu’elle l’ait improprement qualifiée de prise d’acte, qu’elle était justifiée par les manquements de l’employeur dont elle a fait ressortir qu’ils constituaient une faute graveCour de cassation, Chambre sociale, arrêt n°427, 03/06/2020 (18-13.628) Tweet
Un salarié en CDD peut vraiment vous abandonner
Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.
Article L. 1243-1 alinéa 1 du code du travail Tweet
S’il y a bien une leçon Ă retenir de cette affaire, c’est que le CDD n’est pas du tout sĂ©curisant pour l’employeur, loin de lĂ . Le salariĂ© n’est pas “pieds et poings liĂ©s” Ă l’entreprise jusqu’Ă la fin de son contrat comme on serait tentĂ©s de le croire. En vĂ©ritĂ©, il peut tout plaquer si les circonstances le permettent.
Il faut quand mĂŞme que le salariĂ© dĂ©montre une faute grave de son employeur. S’il y arrive, il peut le quitter du jour au lendemain et obtenir en justice des indemnitĂ©s compensatoires.
Mais ce qui frappe dans cette affaire, c’est la brutalitĂ© avec laquelle le salariĂ© peut partir. Dans ce cas, l’employeur n’a pas le temps de se retourner. Il doit alors combler un poste vacant tout en faisant face Ă un conflit juridique avec son ex-salariĂ©. Chaque chef d’entreprise doit donc ĂŞtre bien conscient que mĂŞme un salariĂ© en CDD peut le quitter sans crier gare…