L’institut de sondage Viavoice a interrogé les Français, pour le compte de Communic’Art, sur ce qui les choque en art, la distinction entre l’œuvre et l’artiste, et le phénomène de la « cancel culture ». Faut-il faire abstraction des turpitudes d’un artiste pour évaluer son œuvre ? La nudité est-elle plus choquante que la critique de la religion ? La « cancel culture » menace-t-elle la démocratie ? L’étude Viavoice-Communic’Art dont Le Journal des Arts publie les résultats dans son numéro 560 du 5 février 2021 est le premier sondage exhaustif sur la provocation en art.
En France comme aux Etats-Unis, des musées, des universitaires, des artistes, sont entravés par des activistes qui se réclament de minorités et qui exigent le retrait d’œuvres et la mort professionnelle de tel ou tel, parce qu’il aurait offensé telle communauté ou telle sensibilité.
Il faut, entre autres, rappeler l’exigence de retirer la statue de Colbert, la demande de retrait d’une fresque de Di Rosa à l’assemblée nationale, les pressions anachroniques visant les Suppliantes d’Eschyle, la mise au ban de JK Rowling accusée de transphobie ou l’assimilation de Philip Guston au Ku Klux Klan. Des campagnes planétaires de dénonciation sur les réseaux sociaux, frappent ainsi au prétexte par exemple qu’il est interdit d’évoquer une communauté sans y appartenir.
Comment répondre et résister à l’argumentation biaisée de ces faux antiracistes, de ces faux féministes, de ces faux démocrates ?
Les Français du panel, dans leur majorité (55%), considèrent qu’il faut distinguer l’œuvre de l’artiste.
Pour autant, il ne faut pas minorer les 33 % de ceux qui pensent que le travail d’un artiste ne doit pas être soutenu si ses comportements privés sont critiquables.
Les Français, contrairement aux Américains, considèrent que les frasques sexuelles relèvent de l’intime et ne doivent pas être prises en compte (à l’exception bien sûr de ce qui relève du pénal, des actes de pédophilie, d’inceste ou de viol).
Ils ne sont plus que 39 % à considérer qu’il ne faut pas prendre en compte les comportements personnels pour évaluer une œuvre.
Plus on est connu, plus le travail est public, plus les Français considèrent qu’il faut prendre en compte les comportements personnels.
Ce qui obsède les Français, ce sont les privilèges (peut-être aussi la jalousie). Ils n’aiment pas que les hommes politiques, les chefs d’entreprise ou les artistes profitent de leur statut pour bénéficier de passe-droits.
La nudité, la critique de la religion ou du pouvoir politique ne sont plus des thèmes provocateurs en art.
Ces thèmes ne dépassent pas 34 % de « oui, c’est provocateur ».
Cela équivaut à la proportion de Français réfractaires à tout, outrés en permanence, que l’on retrouve sur de très nombreux sujets !
Si la nudité ne choque que 16 % des interrogés, ils sont 30 % (39% pour les 18-24 ans) à estimer que la nudité ne devrait pas être visible dans l’espace public. Ici, c’est moins la nudité que la représentation de la femme (machisme) qui choque.
14% connaissent l’expression “cancel culture“ mais 6% seulement savent la définir.
Normal, s’agissant d’un phénomène récent.
Plus étonnant, c’est que si l’expression est peu connue, la réalité qu’elle désigne l’est plus. Et lorsqu’on l’explique aux répondants, ils sont 65 % à considérer que c’est un risque réel pour la démocratie.
69 % estiment qu’il faut combattre, avec des arguments, une idée avec laquelle on est en désaccord.
Ils ne sont que 8 % à vouloir interdire son expression. En démocratie, l’opposition est institutionnalisée, ce n’est pas une option.
2 choses à retenir : d’une part cela minore l’effet loupe donné par les réseaux sociaux (une discussion n’est pas nécessairement un match de boxe) ; d’autre part il faut souhaiter que le législateur lise ce sondage et pose ses ciseaux à découper la liberté d’expression.
Pourtant, les artistes étant exposés à la vindicte des réseaux sociaux, il est à craindre que la censure et l’autocensure aient encore de beaux jours devant elles.
Pour l’anecdote, le tableau de Rubens (que je ne nommerai pas) illustrant l’article figurait au verso des anciens billets belges de 500 francs, le recto représentant un roi belge (que je ne nommerai pas non plus).