L'assurance-vie échappera-t-elle, en 2022, à un alignement de son régime fiscal sur celui des successions ? Annoncé depuis plusieurs années, cet alignement constitue l'une des propositions du rapport Tirole-Blanchard, très "keynésien", remis au Président de la République la semaine dernière. Présentée comme une mesure de justice sociale incontournable, cet alignement paraît désormais inévitable.
L’assurance-vie n’Ă©chappera probablement pas Ă la curĂ©e en 2022. Le rapport Tirole-Blanchard vient en effet d’Ă©crire tout le mal qu’il fallait penser des avantages fiscaux de l’assurance-vie en matière de succession, et plus spĂ©cialement des avantages accordĂ©s aux gros contrats. VoilĂ qui prĂ©sage une mesure forte en loi de finances pour 2022, qui risque de faire très très mal Ă des produits dont l’intĂ©rĂŞt risque de fortement s’affaiblir.
Ce que le rapport Tirole-Blanchard dit de l’assurance-vie
On retiendra deux passages majeurs du rapport pour mesurer l’ampleur de la critique qui est portĂ©e contre ce produit d’Ă©pargne.
Nous ne voyons pas comment le fait d’encourager des ménages bien informés à pratiquer l’optimisation fiscale peut rendre le système plus juste. Un exemple en est donné dans le Chapitre II : celui du traitement réservé aux polices d’assurance-vie, avec un abattement de 150 000 euros par
bénéficiaire et des taux préférentiels au-delà de ce seuil.Page 82
Encourager les mĂ©nages bien informĂ©s Ă pratiquer l’optimisation fiscale… La critique est rude, et donne une image assez fidèle de ce qui attend les Ă©pargnants lorsque le rapport Tirole sera traduit en actes par Bercy.
Un autre passage lui aussi en dit long sur l’avenir :
Un autre exemple est l’exonération des plans d’épargne en actions (PEA), qui permet aux dividendes et plus-values des PEA (conservés pendant cinq ans et pour des versements plafonnés à 150 000 euros) d’échapper à l’impôt. Cette exonération compense en partie la préférence marquée des Français pour les fonds d’assurance-vie en euros au détriment des investissements dans l’appareil productif qui
permettent de contribuer Ă la croissance.Page 86
LĂ encore, on comprend rapidement le fond de la critique : l’assurance-vie en euros est l’ennemie de l’appareil productif qui contribue Ă la croissance. La critique est bien connue : le placement monĂ©taire est stĂ©rile pour l’Ă©conomie, donc toxique. Le dĂ©bat avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© ouvert par Pierre Moscovici dès l’arrivĂ©e de François Hollande au pouvoir en 2012. Toute la difficultĂ© reste et restera d’orienter l’Ă©pargne vers des placements risquĂ©s oĂą l’Ă©pargnant risque de perdre son patrimoine.
Les solutions proposées par Tirole et Blanchard
Les solutions Ă cette situation d’injustice et de “privation de croissance” sont bien connues et sans surprise. Elles se limitent Ă supprimer les avantages fiscaux :
Tout d’abord, les possibilités d’échapper à l’impôt sur les successions sont trop nombreuses dans le système actuel. L’exonération des assurances-vie, plafonnée à 150 000 euros, et les taux généralement préférentiels qui s’appliquent au-delà de ce seuil, en sont un des exemples les plus flagrants. Le taux préférentiel devient particulièrement attractif pour les héritages importants et lorsque ceux-ci ne sont pas en ligne directe (voir annexe 2). Cette exonération et le raisonnement qui justifie que l’on favorise ce type d’actifs par rapport à d’autres (en particulier d’autres investissements à long terme, plus sûrs) devraient être réexaminés. Les estimations actuelles suggèrent que les recettes seraient de 20 % plus élevées sans cette exonération (France Stratégie, 2017b).
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On ne peut ĂŞtre plus clair : la discipline fiscale en matière de successions doit ĂŞtre reprise en main et le gouvernement doit supprimer les exonĂ©rations ou les taux prĂ©fĂ©rentiels pour l’assurance-vie. Cette mesure est d’autant plus tentante que les droits de succession pourraient rapporter 20% grâce Ă cette seule dĂ©cision. Les assureurs-vie apprĂ©cieront.
Au demeurant, le rapport propose d’affecter ces recettes Ă des dĂ©penses nouvelles :
Enfin, l’utilisation des recettes provenant des droits de succession pour améliorer l’égalité des chances entre enfants de différentes origines sociales pourrait être une piste à explorer. Ce but pourrait être atteint de deux manières au moins. Ces recettes pourraient servir à financer des investissements accrus dans la petite enfance et l’éducation. Elles pourraient aussi servir à financer une dotation universelle de capital à chaque individu (par exemple à son dix-huitième anniversaire), une suggestion faite par Atkinson (2016) et reprise par France Stratégie (2017b). Cette proposition vise à améliorer la répartition des richesses, non seulement en imposant les grosses transmissions, mais aussi en aidant directement les enfants issus de familles à faible revenu à commencer à se constituer un patrimoine.
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Cette argumentation prend les assureurs en tenaille. Comment s’opposer Ă une augmentation des dĂ©penses pour les familles dĂ©favorisĂ©es ? Comment s’opposer Ă l’Ă©galitĂ© des chances ? Moralement, la cause est implaidable et devrait causer pas mal de dĂ©gâts dans l’opinion.
On peut notamment penser que la promesse d’offrir Ă chaque jeune de dix-huit ans un capital de dĂ©part avec les recettes fiscales tirĂ©es des droits de succession risque de constituer un puissant moteur pour lĂ©gitimer une “redistribution des richesses” Ă©tant entendu que, pour l’instant, nos jeunes ne reçoivent que de la dette publique en partage Ă rembourser Ă leurs dix-huit ans.
Quelle probabilité politique de mettre en place le rapport Tirole ?
La difficulté est de savoir dans quelle mesure ce rapport Tirole-Blanchard pourrait se traduire en actes, dès 2022. Il y a là deux questions essentielles.
S’agissant de l’insertion de ces mesures dans le projet de loi de finances pour 2022, on ne peut qu’ĂŞtre intriguĂ© par le calendrier de remise du rapport. Le projet de loi de finances sera en effet tranchĂ© cet Ă©tĂ© pour ĂŞtre bouclĂ© en septembre. En rendant leur rapport fin juin, Tirole et Blanchard ouvrent donc la voie Ă la reprise de certaines mesures dès le texte qui sera dĂ©posĂ© Ă l’automne.
Politiquement, Emmanuel Macron peut ĂŞtre tentĂ© de les reprendre pour apparaĂ®tre comme un rĂ©formateur soucieux de justice sociale, après s’ĂŞtre constituĂ© une solide rĂ©putation de “PrĂ©sident des riches”. Il ne peut toutefois ignorer qu’il franchirait alors un Rubicon fâcheux pour son Ă©lectorat Ă©litiste, celui qui financera sa campagne.
Au-delĂ de 2022, en revanche, il est Ă peu près acquis que les avantages successoraux de l’assurance-vie disparaĂ®tront. La question du remboursement de la dette devient en effet trop aiguĂ« pour ne pas justifier une “redistribution des richesses” qui imposera de sĂ©vères remises en cause dans l’assurance-vie.
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