Le marché de la dette américain commence à ressembler au marché russe des G.K.O. tel qu'il était en 1998, estime l'homme d'affaires russe Oleg Deripaska. De plus, il prédit le déclin du système financier en dollars dans trois ou quatre ans. Les États-Unis peuvent-ils faire face à un défaut similaire à celui de la Russie en 1998 ? Et quelle est la différence entre les États-Unis actuels et la Russie d'alors ?
Cet article initialement publié en russe sur politika-ru n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier
« Lentement mais sûrement, le marché de la dette américain commence déjà à ressembler au marché russe des G.K.O. en 1998 », a écrit l’homme d’affaires Oleg Deripaska sur sa chaîne Telegram. Rappelons qu’un tiers des titres de créances russes à court terme, ou G. K. O., (Gosudarstvennoe Kratkosrochnoe Obyazatelstvoétait) était détenu par des étrangers. « Probablement, il n’y aura pas de conséquences aussi graves sous la forme d’un défaut du Trésor américain (bien que je ne comprenne pas comment, avec un déficit budgétaire primaire américain de plus de 1,2 billion de dollars (dette – 31 billions de dollars), il peut continuer à augmenter sans faire grimper le rendement jusqu’à 5 %) », a-t-il poursuivi.
Deripaska en conclut que le système financier centré sur le dollar, ainsi que le système de règlement monétaire associé, vont radicalement changer au cours des trois à quatre prochaines années. « Les investisseurs, du moins ceux les plus intelligents, chercheront pour leurs investissements à court terme des alternatives plus fiables que les bons du Trésor américain, et les marchés et les commerçants retiendront d’autres systèmes de règlement, sans risques en dollars ». Parmi ces derniers, l’homme d’affaire retient le yuan ou les crypto-monnaies.
Difficile de comparer les G.K.O. russes de 1998 avec les Titres du Trésor Américain d’aujourd’hui
Pour autant, les experts n’ont pas trouvé beaucoup de similitude entre la dette publique américaine et les G.K.O. russes du modèle de 1998. « La seule chose en commun est que dans les deux cas, nous parlons d’obligations d’État. Sinon, ils ont des paramètres complètement différents », explique Valery Yemelyanov, expert en bourse chez BCS World of Investments. Il rappelle que les G.K.O. étaient émis par l’Etat russe dans le but de rembourser la dette de l’année précédente. L’émission portait pour plusieurs mois à un taux d’intérêt à trois chiffres (jusqu’à 140 %) et même parfois étaient libellés en devises étrangères. « Cela ressemblait plus aux conditions « prédatrices » des prêts d’un mois de salaire que l’on trouve dans les organisations de microfinance. Alors que les États-Unis empruntent à des taux microscopiques, entre 2 et 4 % sur une moyenne de 10 ans, mais souvent aussi sur 20 à 30 ans ». Yemelyanov poursuit sa comparaison : « L’Amérique consacre un peu plus de 10 % de son budget au service de sa dette, tandis que la Fédération de Russie en dépensait plus de 50 % ! En raison du faible fardeau du coût de la dette, les États-Unis peuvent désormais avoir une dette supérieure à la taille du PIB, alors que la Russie se voyait fixer une limite à environ 70 % » souligne l’expert.
Pour Natalya Milchakova, analyste de premier plan chez Freedom Finance Global, « Une comparaison frontale est inappropriée, ne serait-ce que parce que la dette publique américaine est libellée en dollars, tandis que les G.K.O. étaient libellés en roubles. Les risques d’investir dans des actifs en dollars, et plus encore dans des actifs émis par les autorités américaines, sont incomparablement moindres que les risques d’investir dans des actifs en roubles, même aujourd’hui. Et puis le taux de change du rouble était artificiel, et tout le monde avait compris qu’il s’effondrerait dès que les prix du pétrole chuteraient ». Selon elle, une autre différence entre la dette publique américaine et russe tient au fait que le budget russe dépend des prix des hydrocarbures. En 1998, les prix du pétrole étaient beaucoup plus bas, la base de revenus du budget russe était très limitée, le déficit budgétaire était chronique et la perception des impôts était très faible. Aux États-Unis, la dette publique n’est pas liée au prix des matières premières et n’en dépend pas, ce qui était par contre le cas pour les G.K.O. et O.F.Z. russes du modèle de 1998.
Dettes américaines à bas taux, inflation élevée et dépréciation : une autre forme de défaut ?
Pour Yemelyanov, il semble impossible d’imaginer le défaut des États-Unis en tant qu’État. « Dans un cas extrême, les États-Unis dévalueront le dollar et rendront théoriquement tout ce qu’ils ont pris les années précédentes. Mais même cela n’est pas nécessaire : la dette américaine est étalée sur les décennies à venir, et l’opposition bloque constamment les actions du gouvernement s’il estime que le fardeau de la dette peut augmenter considérablement dans les prochaines années ». Selon cet expert, les Etats-Unis auront toujours des dettes, sous certaines conditions, et d’autres pays aussi. Car le système financier moderne fonctionne ainsi : « Il prend l’argent gratuitement à ceux qui veulent l’investir, à ceux qui sont prêts à l’investir efficacement. Et les États-Unis sont encore aujourd’hui l’un des pays les plus efficaces en termes d’investissement financier ».
Fyodor Naumov, analyste chez PFl Advisors avance une autre explication. « Parmi les cas connus de défaut dans leur propre monnaie, seul celui de la Russie sur les G.K.O. me vient à l’esprit. Néanmoins, un défaut en termes réels aux États-Unis me semble probable, à cause d’une inflation élevée. En effet, la Réserve fédérale américaine n’a commencé à relever les taux d’intérêt que cette année. Mais pendant longtemps, le taux était proche de zéro, de sorte que beaucoup de dettes ont été levées à des taux bas. Or, actuellement, l’inflation aux États-Unis est d’environ 8 %. Grâce à une inflation élevée, les Etats-Unis peuvent donc « faire défaut » secrètement, sans reconnaissance officielle ».
Le processus d’abandon du dollar et de passage aux monnaies nationales dans le commerce est déjà en cours
Les trois quarts des détenteurs de la dette étrangère américaine sont des alliés des États-Unis, et Washington ne les laissera certainement pas renoncer au dollar. « Donc, en général, on croit plus à l’émergence d’un système qui concurrence le dollar qu’à la chute du dollar ou encore qu’à l’apparition d’une nouvelle monnaie hégémonique », dit Naumov.
Cependant, pour Vladimir Evstifeev, chef du département analytique de Zenit Bank, « on peut effectivement parler de brouiller l’influence du dollar dans l’économie mondiale. Dès à présent, nous constatons d’ailleurs qu’un certain nombre de pays, notamment en Asie, préfèrent passer aux paiements du commerce extérieur en monnaies nationales. Car cela réduit la dépendance de ces pays vis-à-vis de la valeur du dollar. Mais dans le même temps, la plupart des taux des différentes devises restent basés sur leur rapport au dollar. Par conséquent, le rôle de la devise américaine, en tant qu’unité de mesure des valeurs monétaires, ne disparaît pas ».
La Russie transfère activement les règlements du dollar et de l’euro vers d’autres devises, y compris le commerce de l’énergie, ce qui semblait impossible il y a un an. Cependant, les experts ne croient toujours pas que le système financier centré sur le dollar changera dans trois ou quatre ans, comme l’homme d’affaire Deripaska le pense. « La situation dans trois ou quatre ans ne changera certainement pas. Certes, le dollar perd lentement sa position de monnaie de réserve. Mais il domine toujours le reste des unités monétaires (55 % des réserves mondiales) et n’a perdu que 15 % en 20 ans», précise Valery Yemelyanov. Il rappelle qu’avant l’ère du dollar, c’est la livre britannique qui dominait, et cela a persisté pendant plus de 100 ans. Auparavant, la fonction de monnaie de réserve était remplie par le franc, encore plus tôt par le florin hollandais, et avant celui-ci par le real, la monnaie espagnole. « Il a donc fallu des décennies, et non quatre ans, pour changer la devise dominante dans le passé. Pour Deripaska, cela sonne plutôt différemment, car lui, en tant que propriétaire d’une entreprise qui dépend des importations en Chine, il essaie d’expliquer que son entreprise est dans une tendance mondiale, et qu’elle emprunte et négocie en yuan, car c’est prometteur », estime Yemelyanov. « En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. Oui, en Russie, de nombreuses entreprises sont complètement passées à la monnaie chinoise, abandonnant le dollar. Mais dans le monde, cela ne va pas aussi vite. Et cela n’arrivera peut-être jamais. Pour l’instant, il n’y a toujours pas de concurrents sérieux au dollar, à l’exception de l’euro. Et cette situation ne changera probablement pas avant plusieurs décennies ».
« Grâce à une inflation élevée, les Etats-Unis peuvent donc « faire défaut » secrètement, sans reconnaissance officielle »
« Pour l’instant, il n’y a toujours pas de concurrents sérieux au dollar, à l’exception de l’euro »
CQFD
Oui bien sûr, l’euro, avec des fondamentaux pourris, aggravés par la crise ukrainienne et une UE contrôlée par ceux qui contrôlent le dollar qui tient aussi aussi les banques européennes.