Les Block Friday sont aux bobos ce que les Black Blocs sont à la CGT : une variante radicale, décidée à en découdre, de la pensée ambiante qui inspire la majorité bien-pensante. Ces manifestants ont un peu partout protesté contre la surconsommation et la débauche de jouissances matérielles que le “Black Friday” permet. Certains ont même bloqué des dépôts d’Amazon, devenue le symbole d’un capitalisme débridé ennemi de la planète. Car les Block Friday luttent contre la consommation de masse au nom d’une écologie superficielle qui dénonce le réchauffement climatique comme expression ultime du capitalisme. Peu à peu se dessine un élitisme consumériste, où tout ce qui est grand public est perçu comme polluant.
Pour bien comprendre le “Block Friday”, il faut lire Libération, qui décrit quelques scènes prises sur le vif avec une candeur bobo dont on ne se lasse pas. Par exemple, on retiendra ce moment fort, illustration d’une réaction à chaud venue du tréfonds de ce que les consommateurs ordinaires, harassés par une paupérisation progressive du pays et contraints de tirer chaque mois le diable par la queue pour financer les fameux acquis sociaux que le monde entier nous envierait.
La scène se passe à l’entrée du centre commercial des Quatre Temps à la Défense. Des manifestants d’Extinction-Rébellion, mouvement financé comme on le sait par Georges Soros et quelques-uns de ses amis, tentent de bloquer l’accès au magasin. Une cliente réagit :
«C’est fatigant qu’on ne puisse pas accéder à tous les magasins un jour de soldes. Pour des gens comme moi qui n’ont pas beaucoup d’argent, c’est une occasion de faire mes courses, souffle-t-elle. Faire un blocage ici, ce n’est pas la meilleure idée, ils feraient mieux d’aller dans un autre quartier.»
D’un côté, les militants petits-bourgeois qui pensent combattre le capitalisme, d’un autre côté, les prolétaires qui subissent une action supposée les défendre.
Block Friday, ou l’éloge de la consommation élitaire
La scène n’est pas anecdotique. Elle est au cœur de la contradiction qui se noue entre une écologie superficielle portée par une bourgeoisie progressiste partisane de la raréfaction des biens pour les autres, et une majorité silencieuse épuisée par des prélèvements obligatoires en expansion permanente, et dont le niveau de vie ne cesse de s’éroder au fur et à mesure que l’exigence de performance économique qui pèse sur elle augmente.
Que le Block Friday soit porté par une bourgeoisie progressiste, qui se croit éclairée et qui revendique aujourd’hui, de façon déguisée, le privilège de rester la seule à avoir accès aux biens de consommation, est une évidence que la caste bobo ne veut pas avouer. Dans la pratique, le discours écologiste radical propose d’empêcher la masse de consommer, parce que la consommation de masse serait dangereuse pour la planète. Incidemment, l’objectif politique est de revenir à des biens rares et chers, à une indigence qui frapperait en priorité les plus pauvres et restaurerait la sélection sociale selon des procédés pratiqués en leur temps dans les pays communistes.
La génération qui arrive a perdu la mémoire de ce qu’était la consommation en Union Soviétique, en Pologne ou en Allemagne de l’Est. C’est pour quoi elle a peu de scrupules à proposer un retour en bonne et due forme à ce modèle : des Lada pour tous, chères et difficiles à obtenir, et, pour la nomenklatura, des limousines coûteuses à accès privilégié. Mais en lisant les banderoles et la littérature des écologistes radicaux, on y retrouve le même millénarisme élitaire que celui qui inspirait les bolcheviks en leur temps.
L’écologie radicale et son injonction paradoxale contre le capitalisme
On ne dira pas assez combien les critiques adressées au capitalisme et au “néo-libéralisme” aujourd’hui sont contradictoires et soumettent la société à une injonction paradoxale permanente.
D’un côté, le capitalisme est accusé d’accroître les inégalités, d’appauvrir les peuples du monde entier, de produire de la précarité et de l’injustice sociale. D’un autre côté, il est accusé de produire de la consommation de masse, et même de surproduire, de surabonder pourrait-on dire. Et souvent, dans la même envolée (typique du discours d’Attac), on trouve cette critique absurde selon laquelle le capitalisme appauvrirait le monde tout en détruisant la planète par une surconsommation de biens.
Dans les blocages de centres commerciaux organisés par Extinction Rébellion et Attac, on ne trouvera pas autre chose que cette injonction paradoxale. Le capitalisme occidental aurait produit et produirait encore de nombreuses inégalités, notamment raciales, qui iraient sans cesse en augmentant. Mais il permet aussi au plus grand nombre d’avoir accès aux biens de consommation et, en ce sens, met en danger les équilibres écologiques. On vient bien ici l’argumentation fallacieuse qui accuse à la fois d’appauvrir et d’enrichir.
Les Block Friday et le retour à la sélection par l’argent
L’alternative qui est portée par les écologistes radicaux ne se dévoile jamais vraiment, mais on comprend bien vers où elle nous guide.
Premier point : il s’agit de réduire drastiquement la consommation de masse. La critique portée contre la société de consommation est d’abord une critique contre la démocratisation de la consommation. Il faut que peu de gens consomment.
Deuxième point : l’accès à la consommation doit être contrôlé par une élite éclairée, qui comprend les enjeux écologiques et peut imposer des mesures au besoin liberticides pour imposer la transition énergétique. On n’avait pas, depuis Lénine, inventé de meilleur projet de domestication de la société, d’asservissement du plus grand nombre à une caste auto-proclamée légitime, que celui-là.
Pour convaincre du bien-fondé de ce projet totalitaire et ségrégatif, une rhétorique se met désormais en place : la consommation de masse, c’est polluant. On ne sait pas trop si la pollution, selon ce discours, n’est pas aussi le fait (ontologiquement, comme disent les philosophes) de la masse, qui est par nature vulgaire et informe. Mais on sait que le sauvetage de la planète passe par un combat acharné contre cette démocratisation des biens. Au nom de la protection de la planète, bien entendu.