Il faut dire la vérité : un génocide est en cours en Palestine. Des enfants innocents voient leur courte vie brutalement interrompue, des femmes en pleurs sont massacrées les larmes aux yeux. Des vies déjà démunies sont détruites par les bombes. Il n’y a actuellement ni paix ni espoir pour le peuple palestinien.
Pourtant, en Occident, nous vivons comme si cette réalité n’existait pas. On nous a appris « Plus jamais Ça », mais « Plus jamais ça, c’est maintenant ». Était-ce juste un slogan, quelque chose que nous apprenions par cœur mais que nous ne prenions jamais au sérieux ? Nous nous sommes dit que nous aurions agi, que nous aurions protesté – contre nos gouvernements immoraux – si nous avions vécu lorsque ces heures sombres de l’Histoire eurent lieu. Nous étions convaincus que nous ne serions jamais aussi passifs que ces gens que nous voyions sur les vieilles pellicules en noir et blanc.
Et pourtant, nous voilà face au génocide des Palestiniens et aux crimes de guerre contre les Libanais. Nous comprenons peut-être au plus profond de nous-mêmes que nous devrions crier et protester, mais nous ne le faisons pas.La majorité – certainement pas tous, il faut le dire -nous détournons notre attention et continuons à vivre nos vies et nos amours.
Le paradoxe de l’indifférence occidentale
« Génocide » sonne étranger – oui, cela doit être la raison, nous disons-nous. Cet étrange mot de racine grecque étouffe-t-il nos sentiments de compassion envers ses victimes ? Mais alors, pourquoi la plupart des Allemands ne condamnent-ils pas passionnément leur gouvernement pour leur soutien honteux d’Israël, quand le mot allemand pour génocide est ce mot puissant et déchirant :« Völkermord». Le meurtre d’un peuple.
Au moins pouvons-nous nous consoler en pensant que ce manque d’empathie n’est pas propre à l’Occident. En tant qu’êtres humains, nous ne nous soucions pas vraiment de ce qui ne touche pas notre propre petit monde. Notre empathie pour les événements diminue à mesure que nous nous éloignons d’eux, géographiquement, temporellement et culturellement. Santayana écrivit :
« Nous n’aimons pas piétiner une fleur, car sa forme produit une sorte d’épanouissement dans notre imagination que nous appelons beauté ; mais nous rions des douleurs que nous avons endurées dans notre enfance et nous ne ressentons aucun tremblement face aux souffrances incalculables de toute l’humanité au-delà de notre horizon, car aucune image imitable n’est impliquée pour déclencher un frisson de contrition dans notre propre cœur. »
C’est là une vérité essentielle de l’humanité. Notre manque d’empathie pour la souffrance au-delà de notre horizonest naturel et humain. Une telle empathie ne peut naître que de l’intérieur de nous-mêmes par un effort conscient.
Cette indifférence à la douleur et à la souffrance que l’homme inflige à l’homme devrait nous choquer, ou du moins nous amener à l’introspection. Mais nous sommes indifférents même à notre indifférence. Nous pouvons justifier cela de plusieurs manières, par exemple en disant que nous ne pouvons pas imaginer ce qui se passe réellement là-bas. Nietzsche disait, « le grand manque d’imagination dont nous souffrons nous empêche de pouvoir sympathiser avec d’autres êtres ».
Nous justifions également notre indifférence en nous disant que nous avons transféré à la fois notre pouvoir d’agir et notre sens de responsabilité à nos représentants politiques, simplement en glissant un bulletin dans une urne. Et nous disons que notre manque de compassion envers la souffrance du peuple palestinien est dû au fait que nous n’avons pas vu les images atroces. Si nous voulons éviter d’être exposés à cela, les grands médias nous aident certainement. Nous évitons parfois de regarder les images pour éviter d’être confrontés à notre nature humaine.
L’apprentissage par la désensibilisation
En psychologie, en thérapie cognitivo-comportementale, les phobies ou les angoisses sont parfois traitées par l’exposition. Plus nous nous exposons à nos peurs, par exemple notre peur des araignées ou notre peur de parler en public, plus on s’y désensibilise. En regardant des photos et des films de nos peurs irrationnelles, nous pouvons les surmonter. Après le choc initial, nous nous habituer aux impressions choquantes et nous devenons plus fort. Ce processus de désensibilisation par l’exposition doit se faire en douceur, par étapes.
En Palestine et au Liban, Israël semble utiliser un processus similaire. Elle expose le monde à des petites quantités de violence, afin de rendre cette violence, même un génocide, acceptable au fil du temps. La population israélienne est depuis longtemps désensibilisée ; la majorité n’éprouve aucune compassion pour les Palestiniens. Le régime sioniste désensibilise désormais le monde entier à son génocide en le dévoilant lentement.
Au début, il y a eu quelques morts palestiniens, puis un immeuble détruit, puis un quartier entier. Et puis, seulement après avoir été suffisamment désensibilisés, ils ont bombardé des camps de réfugiés, et nous n’avons pas à peine réagi. Au Liban, au début, ce n’était qu’une frappe « chirurgicale » dans un quartier pauvre de Beyrouth où ils nous ont dit que les gens avaient été évacués pour leur sécurité. Nous nous sommes dit qu’au moins des vies humaines avaient été épargnées. Puis il y a eu une frappe moins chirurgicale, quelques explosions violentes, mais dans un immeuble abandonné, ont-ils dit. Nous nous sommes dit que c’était nécessaire, après tout. Puis, après avoir été suffisamment désensibilisés, des villages entiers avec leurs églises ont été anéantis, et nous n’avons guère bronché.
Nous pouvons améliorer notre manière de vivre, mais nous ne pouvons pas changer notre nature humaine. Cette nature nous permet de ressentir un amour et une beauté relatifs jusque dans les plus petites choses, mais elle affirme aussi une relative indifférence à la plus grande souffrance de l’humanité. Dans ce contexte, les violations du droit international commises non seulement cette année mais depuis des décennies par l’État israélien au Levant et par d’autres gouvernements ailleurs, devraient nous rappeler une fois de plus que pour améliorer le monde et résoudre les problèmes de manière pacifique, il est vain d’espérer un changement de la nature humaine. Il est au contraire nécessaire de réduire le pouvoir des états et d’avancer la liberté dans le monde.
Le Courrier des Stratèges
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La complicité de nos politiques et médias me dépasse…