Le rapport Libault sur la dépendance devrait décevoir tous ceux qui espéraient une ouverture vers un marché concurrentiel. L’ancien directeur de la sécurité sociale propose en effet de dégager un financement uniquement public. Il pose les bases d’un cinquième risque de sécurité sociale.
Face à l’aggravation des problèmes de vieillissement, et notamment face aux polémiques et aux conflits entourant les conditions d’accueil dans les établissements pour personnes dépendantes, Agnès Buzyn avait décidé de consulter Dominique Libault, ancien directeur de la sécurité sociale, tout en menant une grande concertation nationale. Le rapport, qui préfigure la réforme législative, vient d’être publié hier. Il est sans surprise.
La dépendance, une affaire à plus de 30 milliards
Premier point: Dominique Libault estime le besoin de financement pour prendre en charge la dépendance à 9 milliards, portant ainsi le montant total de cette intervention à plus de 30 milliards (soit 1,6% du PIB). Il propose d’affecter à terme le produit de la CRDS à ce nouveau risque. Rappelons que cette contribution inventée pour éteindre la dette sociale est supposée devenir inutile dans le courant des années 2020.
On remarquera ici la logique filoute des propos d’Agnès Buzyn qui a soutenu qu’aucun nouvel impôt ne serait levé pour financer la dépendance. Formellement, il n’y aurait en effet pas de nouvel impôt. Mais il y aurait bien une nouvelle dépense publique financée par un ancien impôt réaffecté.
Les amateurs de sophistique apprécieront.
Un pas décisif vers une cinquième branche de la sécurité sociale
Dans l’ensemble, le rapport confirme ce que nous avions déjà écrit sur le sujet, et qu’Agnès Buzyn avait laissé présager: Dominique Libault suggère de poser les bases d’une cinquième branche de sécurité sociale. Ses propositions ne s’en cachent pas, rangées sous le titre « UN RISQUE NATIONAL À PART ENTIÈRE AVEC UN PARTENARIAT TERRITORIAL RENOUVELÉ ».
Les termes du rapport sont explicites (page 123):
Si la notion de « cinquième risque » est largement présente dans le débat public, elle reste protéiforme. Il est par conséquent nécessaire de s’entendre sur la définition d’un risque de protection sociale.
Dans la définition de ce risque, Dominique Libault décrit ce qui ressemble à une branche de la sécurité sociale.
Des prestations publiques précisément définies au niveau national, couvrant très largement le risque avéré, et servies de manière uniforme sur le territoire national
Voilà qui clôt un débat que certains assureurs avaient tenté d’ouvrir. En réponse à tous ceux qui imaginaient partager le gâteau (comme la FNMF l’avait proposé), le pouvoir exécutif ferme gentiment la porte et propose de revenir à la logique purement publique de la sécurité sociale.
La dépendance dans le champ du financement de la sécurité sociale
Pour tous ceux qui n’auraient pas compris à quoi il fallait s’attendre, Dominique Libault formule la proposition suprême qui dessinera pour longtemps le financement de la dépendance (page 126, proposition 151):
L’intégration du risque perte d’autonomie des personnes âgées dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) instituera un débat annuel au niveau de la représentation nationale, sur les priorités, les résultats et les transformations nécessaires de la politique du grand âge. Elle apportera une vision annuelle, régulière, intégrée et complète de l’effort public, retraçant l’ensemble des dépenses publiques et donnera lieu à un vote annuel sur un objectif de dépenses sur l’ensemble du périmètre du grand âge. Elle sera un élément fort pour que le débat démocratique annuel au Parlement permette réellement de bâtir « une protection sociale du XXIème siècle ».
Cette citation illustre parfaitement la défaite idéologique de tous ceux qui, naïvement, soutenaient encore il y a peu que l’État n’avait pas les moyens de financer ce risque et qu’il serait forcé de faire appel au marché pour améliorer la prise en charge du vieillissement. D’un trait de plume, Dominique Libault vient de rayer les efforts consentis pendant de nombreuses années par une constellation de think tanks, de lobbies, de mouvements professionnels, pour obtenir l’inverse de ce qu’il prône.
Décidément, Macron n’est pas un libéral
Sur le fond, tous ceux qui connaissent Dominique Libault ne sont guère surpris par l’orientation de son rapport. On n’attend pas sous la plume d’un ancien directeur de la sécurité sociale un éloge du marché, surtout sous cette plume-là.
La question est évidemment de savoir pour quelle raison Emmanuel Macron a choisi de confier à Dominique Libault la mission de réfléchir à l’avenir de la dépendance, si ce n’est aux seules fins de fermer la porte à toute ouverture de la dépendance à la concurrence. Certains, notamment dans l’assurance, ont parié sur sa candidature en imaginant qu’elle romprait avec une tradition décennale d’étatisation.
Manifestement, ils se sont fourvoyés. Et grandement. On notera que ceux-là n’ont même pas obtenu d’indulgence sur la résiliation infra-annuelle des contrats.
Pas de chance.