La réforme des retraites commence à prendre l’eau de toutes parts. Alors que les syndicats contestataires (CGT, SUD et FO) annoncent une grève retentissante des transports en décembre pour bloquer la disparition de leur régime spécial, Emmanuel Macron cherche une parade “intelligente”. La ficelle qu’il compte utiliser est celle d’une réforme… qui ne s’appliquerait que pour les nouveaux cotisants. En réalité, cette solution n’a aucune chance de voir le jour. Voici pourquoi.
Au fur et à mesure que les journées de grève de début décembre approchent, la fébrilité du gouvernement, et singulièrement d’Emmanuel Macron, se fait jour. La grande réforme des retraites, préparée par Jean-Paul Delevoye depuis le début du quinquennat, pourra-t-elle voir le jour?
Comme nos lecteurs le savent, le manque de légitimité politique d’un président élu avec 20% des voix au premier tour condamne par avance, selon nous, une réforme de cette ampleur.
Les cheminots vont-ils torpiller la réforme des retraites ?
Les cheminots semblent décidés à bloquer coûte-que-coûte cette réforme, qui prend des allures de revanche symbolique après la transformation de la SNCF en entreprise publique imposée l’an dernier par Macron, malgré plusieurs semaines de grève. Pour le gouvernement, la configuration est assez mauvaise, dans la mesure où les militants syndicaux n’hésitent plus à dire que le respect des préavis de grève conduit à l’échec et que seuls des blocages illégaux permettent de se faire entendre.
Pour le Président, cette situation est très mauvaise. Les blocages sauvages, tels qu’on a commencé à les voir au nom du “droit de retrait”, et tels qu’ils continuent à la gare Montparnasse, sont un risque de voir une allumette craquer au-dessus d’un baril de poudre. Nul ne peut préjuger de la réaction des Français, et singulièrement des franciliens, face à une capitale bloquée pendant plusieurs jours avant les fêtes de Noël, alors même que le commerce est sorti rincé de la crise des Gilets Jaunes l’an dernier.
La mauvaise solution proposée par Emmanuel Macron
Pour tenter de conjurer cette promesse d’un blocage, Emmanuel Macron a proposé hier, dans une interview donnée pour RTL, que la réforme ne s’applique qu’aux nouveaux entrants, et que les cheminots (et traminots) actuels, soient épargnés par la mesure.
Cette idée a déjà guidé la réforme du statut des cheminots en 2018. Seuls les nouveaux recrutés sont rentrés dans le droit commun défini par la convention collective du transport ferroviaire. Les anciens de la SNCF ont conservé leur statut.
S’agissant des retraites, la proposition similaire faite par Emmanuel Macron semble beaucoup plus compliquée à justifier moralement. Elle revient en effet à stipuler pour autrui les termes futurs de leur solidarité.
Voici pourquoi cette solution est impraticable dans la durée.
L’imposture de la répartition démasquée
La difficulté fondamentale de la solution macronienne consistant à ne réformer les retraites que pour les futurs entrants tient au déséquilibre qu’elle crée dans la solidarité intergénérationnelle. Ce que propose le Président revient en effet à demander aux jeunes embauchés, payés comme des débutants, d’amputer leurs salaires de cotisations plus élevées que celles des anciens, pour financer les avantages sociaux de ces anciens, qui bénéficieront des salaires les plus importants.
Autrement dit, Emmanuel Macron est en train de proposer de sacrifier les plus pauvres pour finances les avantages des plus riches.
Dans la durée, cette solution, qui préserve les avantages immédiats des plus syndiqués, n’est pas tenable. Certes, elle n’est pas différente de toutes les impostures précédentes qui ont consisté à augmenter sans cesse les cotisations des actifs tout en diminuant sans cesse les prestations auxquels ils avaient droit. Cette astuce infirme la théorie de la “solidarité intergénérationnelle”, puisque les retraités actuels ont majoritairement acquis leurs droits en cotisant beaucoup moins que les actifs d’aujourd’hui, qui auront eux-mêmes droit à une retraite moins élevée que les retraités d’aujourd’hui.
Une proposition intenable dans la durée
Dans la pratique, la solution d’Emmanuel Macron est la plus injuste et la plus intenable socialement qui soit. Elle consiste à préserver les avantages acquis aujourd’hui en les faisant payer par les générations futures qui en seront elles-mêmes privées. En apparence, c’est la solution la plus facile à réaliser aujourd’hui pour affirmer que la réforme passe.
Dans 10 ans, cette solution se traduira par une coexistence, à la SNCF ou à la RATP, entre les seigneurs de la retraite, aux salaires élevés et aux droits acquis importants, et les esclaves sociaux, les nouveaux venus, assommés de cotisations ouvrant droit à des retraites minimes et contraignant à travailler beaucoup plus longtemps que les anciens.
Surtout, et dans l’immédiat, la réforme créera un déséquilibre profond entre les salariés du privé qui basculeront immédiatement dans le nouveau système où leurs droits à retraite seront réduits, et les salariés qui auront bénéficié de la protection due aux grévistes du monopole public. On sera donc parti d’une réforme qui devait assurer l’équité, à une réforme qui grave dans le marbre des inégalités plus importantes que jamais.
Si les Français ont pu se laisser abuser pendant plusieurs mois par la novlangue macronienne, il n’est pas sûr que la proposition qui vient les convainque totalement. On peut même penser que cette idée d’éviter le blocage de Paris par la CGT et par FO, au nom de la solidarité, se traduise par une rupture inouïe de solidarité.
Car il ne s’agira de rien d’autre que la préservation de la rente des uns, par un effort accru des autres.
Dans le contexte actuel, où les clivages de la société française, où les ruptures d’égalité, sont plus marqués et plus urticants que jamais, Emmanuel Macron ferait un pari bien risqué en s’aventurant sur ce terrain. Un pari qui pourrait avoir des conséquences désastreuses.
“Comme nos lecteurs le savent, le manque de légitimité politique d’un président élu avec 20% des voix au premier tour condamne par avance, selon nous, une réforme de cette ampleur.”
Je sais je vais radoter, mais la vérité c’est que Macron a été élu par à peine 15% des français en âge de voter.
Excellent papier ! La réforme ne sera pas appliquée aux seuls nouveaux entrants. Seuls les nouveaux entrants du privé la subiront, pas ceux du public. Et pour cause nos politiciens sont tous fonctionnaires…
Et puis il faut rappeler que dans le passé les réformes des retraites ont essentiellement été appliquées au privé, n’est-ce pas Mr Balladur ?! (Annoncé en aout par le courageux Mr Balladur et ne concernant que le privé : un comble qu’un politicien fonctionnaire se permette de réformer exclusivement le secteur privé sans toucher au public !)
Navré mais ceci est faux : “Cette astuce infirme la théorie de la « solidarité intergénérationnelle », puisque les retraités actuels ont majoritairement acquis leurs droits en cotisant beaucoup moins que les actifs d’aujourd’hui…/…”.
Ne pas perdre de vue que les retraités actuels et ce partant sous peu, étaient aux 39h, la réforme des 35h ayant été effective à partir de 2002. Et encore, les retraités qui ont aujourd’hui 70/80 ans étaient aux 50h.
4h par semaine (39h – 35h), ça fait du ~20h/mois x 30/40 ans… autant de cotisé en plus comparativement aux actifs depuis 2002. Les retraités et futur retraités ont donc cotisé d’avantage.
Après, une vraie réforme, aurait été de libéraliser les retraites, laissant le choix à chacun de s’organiser comme il l’entend. Mais venant de Macron, ministre des finances de Hollande, successeur de Sarkozy lui même de Chirac et Mitterrand, faut pas rêver non plus.
“ceux”
Le raisonnement est solide. Il manque semble-t-il un argument. L’astuce consistant à n’appliquer la réforme qu’aux futurs cheminots ne tient pas, puisque le rêve de tout cheminot est que ses enfants entrent à la SNCF, et profitent de tous ces avantages historiques, « gagnés de haute lutte ». En conséquence, ils n’accepteront jamais la réforme, même pour le futur.