La fraude sociale, objet de fantasmes réguliers sur son cout réel, était au cœur d’une mission confiée au mois de mai à la Cour des Comptes. Celle-ci a livré son rapport sur la question lundi dernier. Problème : elle botte en touche en lançant des affirmations péremptoires qui contredisent ses propres affirmations antérieures. On reste donc en suspens, dans l’attente d’une information sûre, qui n’est pas prête de venir, semble-t-il.
Le rapport de la Cour des Comptes sur la fraude sociale (et fiscale) en décevra plus d’un. En réponse à une commande du Premier Ministre, après une violente campagne sur une hypothétique fraude à plusieurs dizaines de milliards, la Cour des Comptes s’est une nouvelle fois penchée sur l’Arlésienne. Et les résultats, c’est le moins que l’on puisse dire, nous laisse sur notre faim.
Le chiffrage de la fraude aux cotisations sociales a fait l’objet de plusieurs travaux depuis le début des années 2010 . Une première estimation, publiée à l’occasion du rapport de la Cour sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale (Ralfss) de septembre 2014, reposait sur la méthode « ascendante » et une correction des biais de sélection . Elle aboutissait à une estimation des cotisations et contributions sociales éludées évaluée entre 20 et 25 Md€ au titre de l’année 2012 . Une autre estimation, faite par l’Acoss à partir de contrôles aléatoires, aboutissait de son côté à un montant compris, pour 2018, entre 6,8 et 8,4 Md€ . Des biais essentiellement à la hausse affectent la première méthode tandis que la seconde est affectée de biais qui sont tous à la baisse, notamment le fait qu’elle ne couvre pas l’intégralité du champ des activités soumis à cotisations sociales. En tout état de cause, la Cour estime que le montant estimé par l’Acoss en 2018 est inférieur à la fraude aux cotisations sociales, qui ne peut donc être que supérieur à 8,4 Md€ . Des travaux complémentaires visant à compléter et enrichir la démarche sont indispensables pour aboutir à une évaluation robuste du phénomène .
De leur côté, les travaux de chiffrage de la fraude fiscale restent à construire.
La dernière phrase est soulignée par nos soins.
Dans la pratique, la Cour des Comptes soutient sans élément probant que la fraude sociale est supérieure à 8,4 milliards. De notre point de vue, cette affirmation sans preuve vise à légitimer une transformation progressive de l’URSSAF en Grande Inquisition.
La fraude fiscale comme la fraude sociale témoignent avant tout du fait que les personnes ne considèrent pas que l’argent public serait un argent commun; c’est l’argent d’un “État abstrait”, sorte d’ectoplasme lointain et non pas de l’argent mis en commun, mutualisé. C’est cela même l’aporie de la solidarité de l’Etat social, n’en déplaise aux fans du programme du CNR ! c’est cela aussi qui à mon avis explique en partie le mouvement de rejet sans motif rationnellement exposé de la réforme des retraites. Car celle-ci n’est autre chose qu’une construction technocratique et abstraite qui tend à éliminer les derniers restes de corporatismes ancestraux : avocats, mineurs, cheminots, professeurs etc. De la même façon que les artisans n’hésitent pas à gruger le monstre RSI en sous facturant leurs travaux et se faisant payer une partie au noir, les assurés sociaux ne songent jamais à “économiser l’argent de la sécu, en ne prenant qu’une partie des médicaments prescrits mais inutiles, quand les allocataires des minima sociaux peinent à prouver qu’ils ne gagnent pas plus que le minimum ! tout cela est bien loin de la solidarité des monastères, des confréries, des mutuelles et des communes ! pas étonnant que personne n’hésite à frauder !