Avec un art consommĂ© de la nĂ©gociation, Angela Merkel est en train de transformer l’avantage tactique donnĂ© par l’arrĂŞt de la cour de Karlsruhe la semaine dernière en avantage stratĂ©gique pour l’Allemagne dans l’organisation d’une future Europe. Avec beaucoup de talent, la chancelière devrait Ă©changer une intĂ©gration renforcĂ©e de la zone euro (incluant une modification des traitĂ©s) contre une exonĂ©ration de son industrie vis-Ă -vis des futures contraintes Ă©cologiques imposĂ©es par l’Union. Autrement dit, l’Allemagne accepterait de payer pour le Sud, en Ă©change d’un renforcement de son potentiel industriel. Un calcul astucieux qui risque de prendre tout le monde au dĂ©pourvu.
Angela Merkel devrait riposter habilement Ă la menace d’une procĂ©dure de sanction contre l’Allemagne lancĂ©e par la Commission EuropĂ©enne après l’arrĂŞt de la Cour de Karlsruhe contestant la primautĂ© de la cour de Luxembourg. Dans la pratique, elle accepterait une relance europĂ©enne avec une mutualisation des dettes, en Ă©change d’un assouplissement fort des contraintes Ă©cologiques Ă venir. Cet arbitrage permettrait Ă l’Allemagne de sauvegarder sa suprĂ©matie industrielle dans l’Union tout en calmant politiquement la grogne des pays du Sud.Â
La fâcherie avec la BCE, une opportunité
On ne rappellera pas ici l’arrĂŞt rendu par la cour de Karlsruhe contestant la dĂ©cision de la Cour de Luxembourg sur la conformitĂ© des programmes de la BCE aux traitĂ©s, si ce n’est pour dire que la rĂ©action de la Commission EuropĂ©enne risque d’envenimer le dĂ©bat. Il est en effet question qu’Ursula von der Leyen ouvre une procĂ©dure d’infraction contre l’Allemagne.Â
Avec beaucoup d’astuce, Angela Merkel devrait retourner la situation en sa faveur. Elle vient d’ailleurs de dĂ©clarer au Bundestag que la dĂ©cision de Karlsruhe Ă©tait une opportunitĂ© pour relancer l’intĂ©gration budgĂ©taire de la zone euro, sujet qu’elle bloque avec obstination depuis de nombreuses annĂ©es.Â
Autrement dit, l’Allemagne devrait dĂ©sormais ouvrir la voie Ă une renĂ©gociation des traitĂ©s pour favoriser une plus grande intĂ©gration budgĂ©taire dans l’Union. La stratĂ©gie suivie ici consiste Ă dire que les politiques budgĂ©taires doivent prendre le relais de la politique monĂ©taire pour relancer l’activitĂ© après la crise.Â
Merkel voit la décision de Karlsruhe comme une opportunité pour une plus grande intégration politique dans la zone euro. C'est l'objectif de l'union monétaire depuis le début, 'mais nous n'avons pas fait suffisamment de progrès', a-t-elle déclaré. Il s'agit maintenant de répondre au jugement des juges de Karlsruhe avec une «boussole politique claire». Les modifications des traités européens ne doivent pas être taboues.
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Merkel fait même campagne pour une solidarité avec les pays du Sud
Les adeptes de l’Union europĂ©enne seront ravis d’entendre, dans la bouche de la Chancelière, des paroles aussi favorables Ă leurs aspirations profondes, insatisfaites depuis si longtemps. Angela Merkel va mĂŞme plus loin. Elle prĂ´ne dĂ©sormais ouvertement une aide sans compter aux pays du Sud de l’Europe. Elle s’est clairement exprimĂ©e sur ce point au sein du groupe CDU/CSU au Bundestag, oĂą elle a annoncĂ© que l’Allemagne devait aider plus gĂ©nĂ©reusement et de façon totalement ouverte les pays en difficultĂ©.Â
Pour le justifier, elle a expliquĂ© que les États Membres de l’Union Ă©taient les clients de l’Allemagne, et donc que les Allemands avaient tout intĂ©rĂŞt Ă les aider pour continuer Ă vendre leurs produits…
Une aide massive Ă l’industrie allemande
On aurait Ă©videmment bien tort de croire que cette stratĂ©gie d’Angela Merkel est complètement dĂ©nuĂ©e d’arrière-pensĂ©es. La chancelière sait que ses partenaires ne grognent pas seulement contre la rĂ©ticence de l’Allemagne Ă aider les pays du Sud, mais aussi contre les subventions colossales que le gouvernement alloue Ă ses grandes entreprises grâce au tas d’or qu’il a accumulĂ© depuis plusieurs annĂ©es. En l’Ă©tat, parmi les aides directes validĂ©es par la Commission EuropĂ©enne, 50% des montants bĂ©nĂ©ficient Ă des entreprises allemandes, et 17% seulement Ă des entreprises françaises.Â
Cette disparitĂ© des chiffres souligne l’ampleur de l’intervention publique en Allemagne, et le dĂ©sarroi de ses partenaires europĂ©ens. Il souligne aussi la capacitĂ© financière dĂ©gagĂ©e par vingt ans d’ordo-libĂ©ralisme, face Ă la misère des dĂ©pensiers. En tout cas, pour la paix des mĂ©nages, l’Allemagne a intĂ©rĂŞt Ă faire profil bas sur la solidaritĂ© avec ses voisins Ă la peine…
"L'Allemagne a plein d'argent pour financer ses compagnies dans le besoin. Et comme elle injecte des millions dans celles-ci, le moins que l'on puisse faire c'est de lui demander de se montrer solidaire avec nous".
Responsable espagnol Tweet
La charge Ă©cologique de l’Allemagne allĂ©gĂ©e ?
Mais la contrepartie principale qu’Angela Merkel devrait nĂ©gocier dans la rĂ©forme des traitĂ©s tient au traitement particulier dont elle aimerait que l’industrie allemande bĂ©nĂ©ficie dans les prochaines annĂ©es. Selon toute vraisemblance, la Commission d’Ursula von der Leyen proposera, pour relancer les Ă©conomies europĂ©ennes, d’accĂ©lĂ©rer la transition Ă©nergĂ©tique en durcissant les objectifs de rĂ©duction de CO2 Ă 50 ou 55% d’ici Ă 2030, au lieu des 40% prĂ©vus en 1990.Â
Cet objectif impacte fortement l’Ă©conomie allemande, qui est fortement industrialisĂ©e. En contrepartie d’une plus grande solidaritĂ© allemande avec les pays du Sud, l’Allemagne voudrait obtenir un allègement de ses contraintes Ă©cologiques, et donc un effort plus important dans les autres pays.
Autrement dit, la stratĂ©gie allemande va essentiellement consister Ă demander l’appauvrissement futur de ses concurrents en Ă©change de l’aide qu’elle accepte de leur fournir aujourd’hui.Â
La domination économique allemande en échange de la solidarité
On voit bien la logique qui prend forme dĂ©sormais. L’Allemagne a bien compris que, dans une coopĂ©ration intelligente, tout le monde doit gagner. Comme les pays du Sud commencent Ă crier famine et regardent avec envie les Ă©conomies amassĂ©es par les Ă©pargnants allemands, elle sent bien qu’elle devra cĂ©der pour Ă©viter leur dĂ©route. Contre mauvaise fortune, elle fera bon coeur. Mais, en Ă©change, elle va obtenir le droit pour l’industrie allemande de polluer, donc de produire, bien plus que ses concurrentes.
Et selon toute vraisemblance, elle concèdera Ă Emmanuel Macron la renĂ©gociation des traitĂ©s qu’il demande depuis trois ans pour inscrire ce droit de l’Allemagne dans le marbre. Cela s’appelle une “plus grande intĂ©gration de la zone euro”. Ou un cadeau empoisonnĂ©, selon les points de vue.Â
Bravo, Mme Merkel est toujours la dirigeante la plus intelligente et personne ne lui arrive Ă la cheville !!
L’integration de la Zone euro implique la mutualisation des dettes dont les Allemands ne veulent pas. Merkel est sur le dĂ©part et veut jusqu’au bout rester euro-mondialiste. Attendons la suite, car le parti de Merkel est très divisĂ© sur le sujet. La fin de l’euro n’est plus très loin
Est-il raisonnable, moral de permettre Ă un pays de l’UE de payer pour avoir le droit de polluer plus ? Et demain, qui paiera pour produire l’oxygène dont nous aurons tous besoin ?
On consacre 52% du PIB aux dĂ©penses sociales en France (12 points de plus qu’en Allemagne) contre 4,8% aux entreprises seulement…
Pourtant, Ă entendre syndicalistes et leaders de gauche, les entreprises se goinfrent !
Le rĂ©cent plan d’aide aux entreprises dans le la pandĂ©mie de COVID donne le vertige: 1 200 milliards en Allemagne contre 45 Ă 110 seulement en France qui ne dispose certes pas des mĂŞmes marges budgĂ©taires… mais oĂą en mĂŞme temps, le chĂ´mage partiel est indemnisĂ© Ă hauteur de 84% du salaire net contre 60% en Allemagne.
Dans le contexte actuel, le souverainisme est certes un tentation lĂ©gitime, mais si c’est avec plus d’Etat socialiste, faudra accepter de rĂ©partir non pas les richesses mais la pauvretĂ©.