Les entrepreneurs soumis Ă l’imposition des bĂ©nĂ©fices industriels et commerciaux pourront racheter leur contrat Madelin pour surmonter la crise du coronavirus, selon Bruno Le Maire. Ce nouveau cas du rachat social du contrat appelle toutefois de nombreuses prĂ©cautions. On peut mĂŞme penser qu’il n’est pas Ă conseiller.Â
Les entrepreneurs ont-ils intĂ©rĂŞt Ă racheter leur contrat Madelin pour faire face aux mauvais jours ? La question est Ă©videmment sur toutes les lèvres non-salariĂ©es depuis que le gouvernement a annoncĂ© le projet de crĂ©er un nouveau cas de rachat social pour les dĂ©tenteurs de ce type de contrat retraite. Il apparaĂ®t aujourd’hui, de l’aveu mĂŞme de Bruno Le Maire, bien dangereux de cĂ©der Ă ces sirènes, et sauf cas de force majeure, nous recommandons de ne pas suivre cette voie. Voici pourquoi….
La fiscalité du Madelin en cas de rachat
Premier point, il faut bien noter que, en cas de rachat (qui Ă©quivaut Ă une sortie en capital, en rĂ©alitĂ©), l’imposition tombe immĂ©diatement, Ă hauteur de 10,1% de prĂ©lèvements sociaux. Ce taux correspond aux prĂ©lèvements rĂ©glementaires en cas de versement de la rente, dans le cas d’une sortie normal du contrat.Â
Ceux qui ont donc Ă©conomisĂ© une somme de 300.000€ acquitteront immĂ©diatement des prĂ©lèvements de 33.000€. Ce petit point d’ordre n’est pas inutile Ă rappeler, car il risque de diminuer sensiblement l’intĂ©rĂŞt du placement. Disons mĂŞme que plus le contrat est ancien, moins son dĂ©tenteur a intĂ©rĂŞt Ă y renoncer…
Il faut avoir Ă l’esprit que ces 10,1% de prĂ©lèvements servent Ă financer les Ă©normes gaspillages de la sĂ©curitĂ© sociale, dont on a vu l’inefficacitĂ© durant la crise du coronavirus. Perdre plusieurs annĂ©es d’Ă©pargne pour nourrir la “bĂŞte” mĂ©rite quand mĂŞme rĂ©flexion.Â
« Nous allons donner l'autorisation à tous les indépendants qui le souhaitent de débloquer leurs réserves d'épargne-retraite sur les fonds Madelin pour pouvoir compléter leurs revenus, face à une circonstance exceptionnelle »
Bruno Le Maire Tweet
Les risques de l’aubaine
Une fois le contrat rachetĂ©, c’est lĂ que, de mon point de vue, les ennuis commencent. Sauf si vous ĂŞtes convaincus que, dans les trois mois, vous aurez consommĂ© la totalitĂ© de la somme que vous avez dĂ©bloquĂ©e, il y a Ă mon avis un vrai risque Ă laisser de l’argent dormir sur son compte au-delĂ du mois de septembre, mois bien connu de la moisson fiscale.Â
On peut en effet penser que la prĂ©paration du prochain budget, et mĂŞme que la prĂ©paration d’une loi de finances rectificative, vont poser des problèmes d’ingĂ©niositĂ© aux marquis de Bercy. Ceux-ci risquent de flairer la bonne affaire, s’ils voient des comptes garnis depuis le dĂ©but confinement. Nous avons dĂ©jĂ expliquĂ© comment l’esprit technocratique moyen sera tentĂ© de faire une Ă©quivalences entre les dizaines de milliards d’Ă©pargne forcĂ©e depuis le 13 mars et le besoin de financement de l’État depuis la mĂŞme date. Rejoindre les rangs des lapins de garenne prĂŞts Ă ĂŞtre tirĂ©s par les chasseurs de Bercy n’a guère de sens.
Le moment est venu de se poser les questions stratégiques
Dans tous les cas, l’entrepreneur qui est confrontĂ© Ă un problème passager de trĂ©sorerie a tout intĂ©rĂŞt Ă profiter de la rĂ©cession qui s’annonce pour se poser les bonnes questions. De deux choses l’une : soit son activitĂ© est structurellement dĂ©ficitaire ou Ă peine rentable, et la pĂ©riode qui s’annonce ne devrait pas amĂ©liorer sa situation. Dans cette hypothèse, tout plaide pour qu’il limite dès maintenant les dĂ©gâts en mettant la clĂ© sous la porte. Il faut en effet se souvenir qu’une affaire qui ne fonctionne qu’avec des remises au pot rĂ©gulières du chef d’entreprise est un zombie qui n’a pas d’avenir.Â
Pour les chefs d’entreprise dont l’activitĂ© Ă©tait rentable avant le confinement, la situation mĂ©rite un examen au calme. Soit les conditions de la reprise sont optimales, et, en cas de difficultĂ© de trĂ©sorerie passagère, le rachat social du Madelin peut avoir un sens (Ă condition, nous y reviendrons, que les montants rachetĂ©s ne soient pas trop importants). Soit la reprise risque de constituer une prise de risque (on pense ici aux restaurateurs qui se posent la question de leur rĂ©ouverture), et il faut alors bien peser le pour et le contre de la reprise. Je le redis, une TUP transfrontalière peut ĂŞtre un placement infiniment prĂ©fĂ©rable Ă une reprise chaotique.Â
« Cet argent (...) c'est de l'argent pour préparer votre retraite. Est-ce qu'il faut vraiment le dépenser aujourd'hui ? Pourquoi pas, mais cela veut dire moins de précaution aussi pour la retraite. Et par ailleurs, c'est de l'argent qui a été placé très massivement en actions et aujourd'hui les actions valent moins cher et ce ne serait pas forcément une bonne affaire »
Bruno Le Maire Tweet
Ă€ partir de quel montant le rachat social du Madelin est-il dangereux?
Au fil des rĂ©flexions, on mesure donc que la difficultĂ© de choix dans cette opĂ©ration tient largement au montant du contrat Ă racheter. SchĂ©matiquement, pour bien mettre les points sur les “i”, je suggère donc de distinguer deux cas très simples.
Soit votre en-cours sur votre contrat Madelin dĂ©passe les besoins en liquiditĂ© que vous estimez pour vos six prochains mois, et il paraĂ®t raisonnable de ne pas procĂ©der Ă son rachat. Les risques sont grands, en effet, que les “surplus” ne soient rapidement rĂ©cupĂ©rĂ©s par nos excellents services fiscaux. Dans cette hypothèse, la question stratĂ©gique du “est-ce que je continue ou pas?” est essentielle.Â
Soit votre en-cours est juste suffisante pour couvrir vos besoins dans les 6 mois Ă venir, et le rachat social du contrat mĂ©rite d’ĂŞtre pratiquĂ©. Mais posez-vous la question de votre viabilitĂ© Ă l’avenir.Â
Des impĂ´ts Ă prĂ©voir, de l’avis mĂŞme de Bruno Le Maire
La citation que nous rapportons ci-dessus de Bruno Le Maire en dit long sur le dĂ©sarroi qui s’est emparĂ© du ministre lui-mĂŞme face Ă la prĂ©dation qui s’annonce. Pour qu’un ministre de l’Économie annonce une mesure en apparence favorable aux chefs d’entreprise, tout en les conjurant de ne pas en profiter, c’est bien qu’il y a anguille sous roche.Â
En rĂ©alitĂ©, les chefs d’entreprise ou les travailleurs non salariĂ©s qui vont commettre la folie de racheter leur contrat Madelin se feront ratiboiser avant la fin de l’annĂ©e sur les sommes qu’ils n’auront pas dĂ©pensĂ©es. Et mĂŞme peut-ĂŞtre sur celles qu’ils ont dĂ©pensĂ©es !
Pensez donc soigneusement Ă toutes les alternatives avant de procĂ©der Ă ce rachat.Â