Le gouvernement a dévoilé son intention de récupérer l’argent des complémentaires santé non utilisé pendant le confinement par le biais d’une taxe qui sera adoptée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Nous avons expliqué comment cette taxe sera finalement payée par les assurés (toute taxe étant toujours payée par le consommateur final). Face à ce piège, Olivier Véran tente une manoeuvre bien connue. Pas sûr qu’elle fonctionne. Voici pourquoi.
Mettre les complémentaires santé à l’amende pour avoir gagné trop d’argent. La rengaine est bien connue. Ah… si tout pouvait être aussi mal géré que la sécurité sociale et être systématiquement déficitaire… Quel bonheur ce serait. Toujours est-il que l’AFP a rendu public hier ce que nous avions annoncé dans les grandes lignes il y a plusieurs semaines, à savoir la création d’une taxe sur les complémentaires santé, au demeurant annoncée chaque année.
Mais l’AFP n’a pas tout dit, hier, sur les coulisses de cette taxe de circonstance.
Les complémentaires santé taxées d’au moins 1,5 milliards €
Selon l’AFP, donc, les complémentaires santé écoperaient d’une taxe de 1 milliard € au titre de 2021, et de 500 millions € au titre de 2022. Au total, le montant à payer serait donc de 1,5 milliard sur deux ans. on est très au-dessous des 2,5 milliards évoqués un temps comme “bénéfice” décroché par les assureurs santé à la faveur du confinement.
Les estimations, il est vrai, ont varié avec le temps et restent encore à affiner. Beaucoup craignaient, après l’interruption quasi-totale des soins pendant le confinement, un rattrapage massif dans les mois suivants, et le maintien d’un “bénéfice” n’était pas garanti.
Finalement, l’arbitrage rendu aurait pu être bien pire. De ce point de vue, les assureurs santé peuvent s’estimer heureux.
Il en ressort que le gouvernement a arbitré en faveur de l’inscription en LFSS 2021 d’une « contribution de solidarité exceptionnelle » à hauteur d’1Md€. Cette taxe sera, selon toute vraisemblance, reconduite l’an prochain pour un montant de 500 M€ en échange « d’un engagement de notre part à la modération tarifaire en 2021 », sans quoi elle pourrait être majorée.
Thierry Beaudet Tweet
Menace de majoration de la taxe en 2022
Cette modération, comme l’a précisé Thierry Beaudet dans un message que nous citons ci-dessus, n’est toutefois pas sans contrepartie. Olivier Véran étant entouré de fidèles lecteurs du Courrier des Stratèges a parfaitement compris que les assureurs santé n’hésiteraient pas à répercuter la taxe sur leurs tarifs. En réunion, le ministre a donc annoncé que la taxe serait majorée en 2022 si les assureurs augmentaient trop leurs tarifs d’ici là.
Toute la question est évidemment de savoir en quoi consiste la “modération tarifaire” que les assureurs doivent respecter pour éviter un nouveau coup de bambou en 2022. La question est d’autant plus floue que, avec un peu d’astuce, les assureurs santé pourraient massivement augmenter leurs tarifs au premier trimestre 2022… ce qui empêcherait la majorité actuelle de prendre des mesures de rétorsion avant les élections présidentielles.
Clé de bras pour la FNMF
Pour Thierry Beaudet, président de la FNMF qui mise de toute éternité sur le “dialogue” avec les pouvoirs publics, cette décision autoritaire prise par le gouvernement, et d’abord par Olivier Véran, est une défaite en rase campagne. Nous avions déjà évoqué la tribune qu’il avait signée avec Martin Hirsch pour formuler des propositions dont la conclusion était que les complémentaires santé devaient être déchargées de tout remboursement en matière d’hospitalisation. À force de trop jouer avec le feu, on finit par se brûler !
Dans son compte-rendu, Thierry Beaudet affirme qu’il s’est opposé au ministre sur le principe de cette taxe, et surtout le principe de la “modération tarifaire” que le ministre demandait de respecter. On s’amusera de lire sous sa plume une référence explicite au droit de la concurrence. Ben alors ! il y aurait des suppôts du capitalisme libéral dans l’économie solidaire ? Non, on n’y croit pas.
J’ai évidemment refusé le principe de tout engagement sur les tarifs 2021 : en premier lieu, parce que les fédérations ne peuvent pour des motifs liés au droit de la concurrence prendre un quelconque engagement de cet ordre et en second lieu, parce que les mutuelles sont des organismes de droit privé, soumis à des obligations prudentielles et d’équilibre financier.
Thierry Beaudet, FNMF Tweet
La position de Véran est-elle légale ?
Sur le fond, c’est plus le principe du caractère non-confiscatoire de l’impôt qui pose problème ici, beaucoup plus que celui de la libre concurrence qui interdirait à un organisme professionnel de réclamer des engagements tarifaires à ses membres. Olivier Véran, grand admirateur du déficit public, adoreraient que les organismes complémentaires soient aussi mal gérés que la sécurité sociale. Le fait qu’ils ne soient pas en difficulté financière semble le déranger.
Poser comme principe que l’impôt sera majoré au rythme des bénéfices dégagés par un organisme privé pose quand même une sérieuse question sur la légalité dudit impôt. Et affirmer que l’impôt est adopté en représailles d’une politique tarifaire ou d’un libre exercice de l’entreprise montre bien la dérive illibérale du gouvernement actuel.
Il est très probable qu’en cas de contentieux devant le Conseil Constitutionnel, la position du gouvernement ne tienne pas longtemps.
Le désastre de la garantie d’exploitation se paie cher
Il n’en reste pas moins que les assureurs sont désormais en mauvaise posture sur l’ensemble des dossiers qu’ils traitent. Les gaffes à peine imaginables de la présidente de la FFA, Florence Lustman, ont définitivement affaibli une profession mise à contribution sur tous les fronts : l’assurance-vie est désormais sur la sellette, les contentieux contre les assureurs n’en finissent plus sur la perte d’exploitation, et l’assurance santé devrait être méchamment étrillée cet automne.
Bref, c’est un sale temps pour l’assurance qui commence, et nul ne sait où il s’arrêtera.