Yves-Marie Aderline continue pour nous son exploration de la révolte en Iran et de ses chances d'aboutir à un reversement du régime khomeiniste.
Couronnement de la shabanou Farah Diba par son époux le roi Mohamed Reza en 1967 : aux yeux des mollahs, un sacrilège commis sur une terre appartenant à l’islam depuis le VIIe siècle
Nous avons vu dans notre dernier article que des slogans fusent parmi les manifestations iraniennes, rendant hommage à la dynastie des Palhavi et appelant au retour du prince Reza, 61 ans, autrefois héritier du Trône du Paon[1], contraint de suivre son père en exil, et représentant aujourd’hui une alternative au régime des mollahs. La question est de savoir quelles sont ses forces et ses faiblesses.
L’héritier du Shah
Ce qu’il incarne est évidemment le contraire du régime actuel : sa mère Farah Diba avait été couronnée reine en 1967, au grand scandale du clergé chiite, pour lequel une femme n’aurait jamais dû être ainsi honorée. Or, la révolte actuelle a commencé par les femmes, il serait logique que les valeurs – celles-ci authentiquement féministes… – portées par le règne du roi[2] renversé en 1979, Mohamed Reza, soient remises à l’honneur.
Dans un même ordre d’idée, le prince actuel n’a que des filles, ce qui, en principe, devrait heurter à angle droit les règles successorales en vigueur au temps de la monarchie : primogéniture masculine, excluant de surcroît les princes issus des mariages noués par le fondateur de l’Iran moderne, Reza le Grand, avec des princesses kadjares : on avait voulu prendre ses distances avec la dynastie précédente[3], accusée d’avoir laissé la Perse dans un état pitoyable, déchirée entre les influences britannique au sud, et russe au nord. C’était une imprudence, on le voit bien : en France nos Capétiens ont pu s’allier à des carolingiennes sans remettre en cause leur légitimité.
En Perse, cette légitimité n’est d’ailleurs pas exclusivement liée à la succession dynastique, mais au concept de la faré-padishah, la bénédiction divine qui descend sur le roi : quand les choses vont très mal dans le royaume, c’est que son roi a perdu cette bénédiction, un nouveau roi peut être appelé, c’est dans cet esprit que l’on est passé des Kadjars aux Pahlavi.
Autre difficulté, si l’on s’en tient aux règles du régime renversé en 1979 : les princes ne doivent pas épouser une étrangère.
Toutes ces règles sont aujourd’hui caduques, ne serait-ce que parce que les lois sont faites pour les hommes, et non pas les hommes pour les lois : si le Trône du paon est remis à sa place, il est probable que la princesse Noor, née en 1992, fille aînée du prince Reza, serait considérée comme dynaste.
La princesse Noor, fille aînée de Reza
Forces et faiblesses d’un prétendant en exil
Maintenant, passons à l’essentiel : quelles sont les forces et les faiblesses de Reza ? Tout d’abord, il est très difficile de connaître son niveau de popularité en Iran, tout au plus peut-on s’étonner de ce que des jeunes nés bien après la Révolution puissent nourrir aujourd’hui une nostalgie du règne des Pahlavi.
Le souvenir de ce règne joue cependant en sa faveur : non seulement Mohamed Reza, aidé de sa femme[4], a voulu faire progresser la société iranienne, héritière d’une civilisation multimillénaire qui n’a pas attendu l’islam – au contraire – pour exister, mais en outre il a considérablement enrichi son pays. Certes, l’Iran regorgeait de pétrole, ce qui a facilité les choses, mais il a fallu lutter contre les féodalités locales, en plus du clergé chiite. Sa tâche n’a pas été facilitée par les deux milles kilomètres de frontière qu’il partageait avec la Russie bolchévique[5], laquelle a pu y nourrir un parti communiste puissant, le Tudeh, dont l’alliance avec les islamistes de Khomeiny permit son renversement en 1979.
C’est toujours cet islamo-gauchisme qui dresse une barrière entre Reza et l’hypothèse de son retour dans son pays selon sa qualité politique : les personnalités que les gouvernements occidentaux présentent comme des opposants au régime des mollahs sont d’une manière ou d’une autre les successeurs du parti communiste compromis dans cette alliance, dont ils ont certes été les dupes quand ils ont été dispersés et interdits en 1982[6], voire les rejetons de ceux parmi les islamistes qui au fil du temps sont entrés en dissidence. Aujourd’hui, l’occident allume des contre-feux destinés à bloquer la marche de Reza en suscitant de nouvelles figures de résistance qui ont été naguère suffisamment compromises avec le régime des mollahs pour ne pas pouvoir ni même vouloir proposer une alternative radicale. Le cas de la journaliste Masih Alinejad, récemment reçue à l’Elysée, est révélateur[7]
Réception de la journaliste irano-américaine Masih Alinejad à l’Elysée
Evidemment Macron fait le mauvais choix
Masih Alinejad est soupçonnée d’avoir appartenu à la milice des Bassidji – équivalent des Hitler Jungend – qui aident les Pasdaran (Gardiens de la Révolution) à réprimer les manifestations. Elle fut à partir de 2001 une proche collaboratrice du président Rafsanjani[8], lui-même cousin de Khomeiny :
Parenté entre Khomeiny et le président Rafsanjani
Dans un pays en pleine explosion démographique, le régime des mollahs souhaitait mettre en avant des gens jeunes pour convaincre l’opinion sur sa capacité à se réformer. Devenue collaboratrice du président Mohamed Khatami[9] – favorable à une « révolution verte » destinée à maintenir la société dans un islamisme réformé, un peu comme Gorbatchev avait voulu sauver le communisme en le restructurant – Mahsi Alinejad se range à ses côtés dans le contexte de sa rivalité avec Ahmadinejad pour accéder au pouvoir – étant bien entendu que la présidence demeure sous la surveillance du Guide suprême, comme nous l’avons expliqué dans un article précédent[10]. Prise dans l’étau des rivalités entre islamistes, après quatre ans de critiques de la politique d’Ahmadinejad sans être inquiétée, c’est en 2009 seulement que Masih Alinejad quitte l’Iran. Depuis, elle se donne des allures occidentales, voire féministes, qui trompent l’occident mais évidemment pas la résistance iranienne laïque, qui n’hésite pas à voir dans sa promotion le même coup bas que celui de la complicité entre la France giscardienne et Khomeiny :
Photomontage réalisé par l’opposition iranienne laïque : la promotion d’une opposante factice en 2022 et le transport par Air France de Khomeiny à Téhéran en 1979
Cet islamogauchisme qui empêche l’Occident de faire de la géopolitique
La barrière islamo-gauchiste qui retient l’occident de venir en aide à l’opposition iranienne authentique est une donnée nouvelle. En 1979, seule la gauche avait le monopole intellectuel et culturel en occident, parce que l’Europe n’était pas encore exposée aux mouvements migratoires massifs et ininterrompus de populations musulmanes : le soutien aux mollahs était l’affaire des philosophes Sartre, Foucault, etc., motivé par leur attachement au communisme. Aujourd’hui, elle partage ce pouvoir avec les islamistes, les deux factions ayant investi les institutions européennes :
Affiche des jeunes communistes français
Campagne de la Commission européenne en faveur du port du hijab
En dehors de l’hostilité idéologique qu’il peut rencontrer, au moins aussi forte que celle qui a triomphé de son père en 1979, Reza est en 2022 dans une situation difficile, parce qu’il est hébergé aux Etats-Unis et n’a aucun allié de taille dans le monde : son isolement l’expose aux turpitudes du régime démocrate autant qu’aux calculs imprévisibles de M. Trump – quand bien même il est juste de relever que Trump a été le premier chef d’Etat américain à pratiquer un véritable embargo de l’Iran, accentuant l’affaiblissement de ce pays.
Il faut compter également sur la crainte arabe de voir renaître la puissance – et pour tout dire le leadership régional – de l’Iran aux dépens de l’Arabie ; d’autant plus qu’un Iran revenu à ses fondamentaux d’avant 1979 renouerait avec Israël, ce qui affaiblirait d’autant plus la position du monde arabe.
Autrement dit, quasiment personne ne souhaiterait voir revenir Reza. C’est pourquoi il ne dispose que de deux cartes à jouer.
Reza a deux cartes maîtresses
La première, c’est qu’en dépit des manœuvres de ses adversaires qui voudraient orienter le peuple iranien vers une voie de garage, il est la seule personnalité dont l’existence soit susceptible d’éveiller l’imagination populaire. Encore une fois, il est impossible de connaître aujourd’hui son degré de popularité – les selfies que nous avons publiés dans notre dernier article[11] montrent cependant qu’elle n’est pas inexistante, fût-elle occultée volontairement ou non par nos médias subventionnés – mais le fait est qu’on ne pourrait citer aucun autre personnalité capable d’incarner l’alternative. C’est la raison pour laquelle, prudemment, Reza invite à la constitution d’une coalition politique dans laquelle il jouerait un rôle, dont voit mal comment il serait autre que celui d’une présidence.
La deuxième carte est en fait entre les mains du peuple : on sait qu’il prévoit de grandes actions pour la semaine prochaine, mais qu’en résultera-t-il ? Quelle sera l’attitude de l’armée ? Les Pasdaran eux-mêmes continueront-ils à défendre un régime qui ne les nourrit plus – quand bien même sa disparition entraînerait la leur ?
En tout état de cause, Reza est placé devant une perspective qui, à vrai dire, par-delà son propre avenir, concerne, sinon le monde entier, du moins l’Europe, voisine immédiate de ce monde islamique devenu mobile et vindicatif depuis maintenant des décennies. Autant l’Iran aura été le fer de lance de l’islamisme en 1979 – quand bien même était-il chiite et non sunnite, mais nous avons vu les liens entre les Frères musulmans et les théoriciens de l’islamisme iranien[12] – autant la réussite de la révolution à laquelle nous assistons, qui renverserait les bases du régime religieux, rencontrerait certainement un écho assourdissant. Imagine-t-on par exemple les conséquences sociétales sur les différentes Etats de la péninsule arabique ? Sans être aussi tempétueux, ce raz-de-marée politique, voire civilisationnel, atteindrait également les côtes de notre Europe consumée par son autodestruction.
Notes
[1] A l’origine, le trône du grand moghol aux Indes, emporté depuis Delhi en Iran par roi de perse afcharide Nadir shah en 1738.
[2] La tradition persane veut que l’on parle plutôt du « Roi des rois », shah in shah, que l’on traduit souvent en occident par le mot « empereur ».
[3] D’origine turkmène, elle a régné de 1789 à 1925.
4] Parfaitement francophone comme le reste de sa famille, elle réside souvent à Paris.
[5] Aujourd’hui ces frontières sont avec le Turkménistan, l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et, par les eaux de la Capsienne, le Kazakhstan.
[6] On se souvient du film d’animation Persépolis (2007) repris de la BD autobiographique de Marjane Satrapi, appartenant à une famille communiste qui participe à la Révolution puis occulte les raisons du basculement du pays dans l’islamisme.
[7] On pourrait citer d’autres personnalités donnant le change, comme Azadeh Kian, professeure à Paris VIII, occupée à réconcilier les Iraniennes avec un islamisme compatible dans le cadre d’une « révolution verte ».
8] De 1989 à 1997.
[9] Président de la République islamique de 1997 à 2005.
[10] 23 novembre 2022 : Le Système politique iranien vacille sur ses bases.
[11] 28 novembre : Les forces et faiblesses du régime des mollahs.
[12] Cf notre article du 23 novembre : Le Système politique iranien vacille sur ses bases, déjà cité.
Une fausse dynastie comme celle de Napoléon . Son grand père était un petit officier qui par les hasards de l’histoire est devenu empereur.
Je suis étonné de ne pas voir l’auteur des articles parler de la dimension eschatologique et religieuse qui augure une toute autre possibilité que la fin du régime des mollah pour une « occidentalisation » de la société iranienne. En effet, la situation actuelle qui considère la possibilité d’une attaque « intérieure » semble être le prémice annoncé (artificiel ou non) au retour de l’Imam caché, l’unificateur de l’Islam qui doit apparaître à la « Fin des Temps ». Bien que notre rationnalité puisse écarter toute dimension eschatologique et « spirituelle », le contexte mondial actuel renferme une autre dimension qui défie la raison. De par la dimension prophétique de celle-ci et le contexte de la société iranienne actuelle, la dimension prohétique du retour de l’imam caché et le contexte pour que celle-ci soit possible semble posé, la structure , le cadre et le scénario semble se déroulé comme la prophétie la suggérait. Et en effet, la société et le pouvoir théologique chiite d’Iran semble faire face à de multiples menaces aussi bien intérieures qu’extérieures.
Il ne s’agit pas ici de prendre parti, et de dénoncer les forces en présence comme bien ou mal mais de rapporter la situation à une autre dimension, plus vaste que la dimension rationnelle qui met en avant les enjeux sociétaux, géopolitiques qui concernent l’Iran et le Moyen-Orient.
Ce qui nous est demandé, d’ailleurs, dans cette période si difficile pour notre psyché, est de comprendre que certaines dimensions de la réalité n’appartiennent pas à la « Raison » et ne peuvent donc pas être appréhender par ce moyen. La dimension spirituelle reprend sa vraie place car par Essence, elle transcende la Raison et notre Connaissance par « Autre chose ».
Nous ne tarderons pas à savoir si les attaques provoquées contre la société Iranienne ont une autre dimension que celles que nous pouvons expliquer car doit apparaître en Iran, le « Madhi ». L’Imam caché, à la dimension d’un Salahdin moderne, le seul musulman ayant uni les bannières noires et vertes de l’Islam. Ce personnage serait une « répétition » de l’Histoire dans un contexte de préparation à la grande guerre qui doit démarrer au Moyen-Orient. L’Iran, défaisant certains pays ennemis « sunnites » avant de les fédérer sous une bannière qui désignera l’Occident comme Ennemi, et donc l’Europe et Israel. Aujourd’hui, cela paraît risible, abstrait, impossible mais l’Histoire est un Cycle, et nous sommes dans une accélération de l’Histoire, la fin de quelaue chose que la dimension Intuitive ressent sans pouvoir l’expliquer. Cette dimension est la chose même qui échappe à la Raison car elle « Est ». La Raison n’est pas notre forme de conscience la plus évoluée, et nous allons devoir l’expérimenter par un retour à une autre dimension qui ne peut que s’expérimenter, pas s’expliquer.