La « dé-russification » de la Biélorussie semble avoir échoué. Au moins pour ce qui concerne la toponymie urbaine, il y a lieu d'être optimiste. Le 8 décembre, s'exprimant lors d'une réunion de la Commission sur les questions de politique historique, le chef de l'administration Loukachenko, Igor Sergeenko, a confirmé qu'il recevait de nombreuses questions sur l'utilisation de la langue russe et la translittération dans les noms de rues et des transports. Il a promis que cette question serait examinée.
Cet article de a été publié en russe sur le site Politnavigator. Il n’engage pas la ligne éditoriale du Courrier.
La question des plaques de signalisation revêt en ce moment une grande importance en Biélorussie.
En effet, en 2014, à la veille du championnat de hockey, des panneaux utilisant l’alphabet latin étaient apparus dans le métro de Minsk. Au début, on en parlait comme d’une mesure temporaire, destinée à faciliter la vie et les transports des supporters étrangers. Mais une mesure temporaire, comme d’habitude, n’est pas si temporaire que cela … Lorsque le championnat s’est terminé, les plaques non seulement sont restées, mais d’autres ont également commencé à être installées, d’abord à Minsk, puis dans les régions. Tout aurait pu aller pour le mieux, mais deux circonstances ont été embarrassantes pour le gouvernement.
La « Latina » fait irruption dans la vie quotidienne des biélorusses
Premièrement, cette « innovation » n’a pas facilité la vie des touristes étrangers. Les inscriptions ont été faites non pas en anglais compréhensible pour le monde entier, mais en « latin biélorusse » rempli de signes diacritiques (accents ou autres caractères sur une voyelle ou une consonne). De ce fait, la plupart des étrangers ne pouvaient tout simplement pas les lire correctement. Autrefois, le « latin » était utilisé par la noblesse « polonisée » et l’intelligentsia locale, qui s’opposaient à l’Empire.
Aujourd’hui, les nationalistes tentent de le faire revivre pour démontrer la « non russité » des Biélorusses. Dans une certaine mesure, cette « Latina » est l’un des symboles du nationalisme biélorusse, et sa présence dans l’espace public faisait donc l’objet de leur fierté légitime. En second lieu, les plaques en « latin » ont été revêtues d’inscriptions en russe.
Dans la seconde moitié des années 1990, l’idéologie des nationalistes était alignée sur la politique des gouvernements. A l’époque, ceux-ci suivaient une approche « multi-vectorielle » et prenaient dans ce prolongement leurs distances avec la Russie. C’était arrivé au point qu’à la veille des élections de 2020 à Minsk, il n’y avait pratiquement plus de maisons pour lesquelles l’adresse figurant sur le panneau indicateur était écrite en russe. Les annonces dans les transports en commun avaient également suivi le même chemin. Bien sûr, les citoyens ont demandé, à plusieurs reprises, aux différentes autorités de l’État, le retour dans la rue de la langue russe que la majorité de la population parle en Biélorussie. Mais jusqu’à récemment, ils ne recevaient que des réponses plus ou moins polies. Les autorités ne voulaient pas admettre leurs erreurs, même après que les vents politiques aient soufflé dans une toute autre direction.
Fait intéressant, les paroles de Sergeenko ont rapidement été supprimées du site Web de l’agence de presse d’État BelTA, et cela n’est pas passé inaperçu. Cependant, les fans de « Latina » auraient tort de se réjouir trop tôt. En fait, ce n’est pas tout à fait la bonne interprétation qu’il faut retenir. Les paroles du fonctionnaire pourraient plutôt être comprises comme la démarche de translittérer les inscriptions de la langue russe. Cependant, des participants à la réunion ont réagi à cette démarche et il est devenu tout à fait clair que les excès du recours à « Latina » seraient corrigés.
La décision n’a pas encore été prise
Selon le président du Comité des biens de l’État, Denis Matusevich – qui dirige également la commission toponymique au sein du gouvernement biélorusse – la translittération sera rendue plus compréhensible pour les touristes étrangers. Les signes diacritiques seront également supprimés afin que les noms biélorusses soient lus par les étrangers conformément au son traditionnel.
Il est également prévu de réduire le champ d’utilisation de la translittération. Elle restera certainement sur les cartes pour les étrangers, mais, cela reste discuté dans les passages de métro et aux arrêts. Car l’apparition massive de nouveaux arrêts avec « Latina » a récemment provoqué une nouvelle vague de mécontentement.
Apparemment, la langue russe reviendra donc dans la rue. Pour autant, faut-il crier victoire ? Pas encore. Ce que l’on peut dire, c’est que la voix de ceux qui ont combattu la « dé-russification » de la Biélorussie, pendant toutes ces années, a été entendue par les autorités. On espère qu’au-delà, cette voix deviendra également un guide pour la prise de décision.
Bien sûr, l’opposition, qui est privée de l’objet de sa fierté, a piqué une crise de colère. Les nationalistes crient, comme d’habitude, contre l’apparition du monde russe et s’élèvent contre la menace qui pèserait sur l’identité biélorusse. Ce qui est surtout amusant, c’est qu’ils accusent les opposants à l’alphabet latin de diviser la société biélorusse. En réalité, c’est exactement le contraire. Prenant la parole contre la langue russe, qui est pratiquée par la majorité de la population, ils ont eux-mêmes exacerbé les contradictions de la société et fomenté la discorde.
Les deux langues d’État seront dans les rues sur un pied d’égalité, et le « latin nationaliste » sera, le cas échéant, remplacé par une translittération compréhensible pour les touristes étrangers. Il n’y aura pas de sujet de scission. Tous les intérêts seront satisfaits. En plus des intérêts des russophobes, bien sûr.