Réformer l'ENA ou forger une contre-élite ? La réforme (prétendument suppression, qui n'en est pas une) de l'ENA annoncée par Emmanuel Macron la semaine dernière, a fait couler beaucoup d'encre de journaliste, à défaut de réellement passionner les foules. Tout l'establishment énarchique s'est dressé comme un seul homme contre son projet pourtant très prévisible (cela ne fait que 20 ans qu'on en parle !). Mais s'incrit-il ou non dans le seul sujet qui vaille, au-delà des querelles politiciennes : servira-t-il ou non l'intérêt de la France ? C'est-à-dire : participera-t-il à l'érection d'une contre-élite indispensable au relèvement national ?
Réformer l’ENA ou forger une contre-élite ? Les questions ne sont pas exactement les mêmes.
Paradoxalement, forger une contre-élite tombe assez facilement sous le sens (quoi qu’elle soit politiquement incorrecte), et chacun comprend intuitivement ce que cela signifie (même si la façon de “remplir” le sens de cette expression change beaucoup selon les personnes). En revanche, “réformer l’ENA” est une expression beaucoup plus douteuse, floue, incertaine, opaque et, de ce point de vue, beaucoup moins opérationnelle politiquement. Réformer pour quoi ? dans quel sens ? dans quel objectif ?
Pour réformer l’ENA, il faut dépasser les petites polémiques
Après l’annonce de Macron, on a lu partout des commentaires dénonçant ses calculs politiques et bradant au “populisme” une école créée par Saint-Charles-de-Gaulle. Que Macron ait des visées politiques, c’est très plausible, probable et même quasi-certain ! On ne les ignore pas. Mais la question de la réforme d’une école qui forme le couvercle de la technostructure dépasse largement la polémique de circonstance.
L’auteur de ces lignes en fut le témoin et l’acteur : la question d’une réforme radicale, systémique, de l’ENA, se pose depuis bien plus de 20 ans et une seule question devrait ici retenir l’attention : pourquoi faut-il dans ce pays, vingt ans et même plus pour mettre en forme et en action des réformes nécessaires à l’intérêt général ? Nous ne sommes pas ici dans le temps de la polémique politicienne, mais dans le temps indésirablement long de la réforme systémique vitale pour notre pays.
Est-il encore temps de réformer les élites ?
Avant même de savoir s’il faut ou non supprimer ou réformer l’ENA, une question première porte sur son utilité. Est-il encore temps de réforme cette école ?
Il nous semble que non, car le mal est désormais aussi profond qu’urgent, et il nécessite sans doute une thérapie bien plus vigoureuse que la tisane du docteur Macron. Depuis la crise de 2008, la haute fonction publique a montré son incapacité à gérer correctement les finances de l’Etat. Au nom d’une culture paresseuse et populiste du “pas de vague”, les dépenses augmentent sans cesse pour une qualité de service public toujours moindre.
Cette incompérence se traduit par une double dégradation : celle des comptes publics et celle de l’efficacité du service public. Plus le temps passe, plus l’Etat coûte cher et moins il fonctionne. La crise du COVID en a donné de multiples exemples.
Face à ce naufrage, essayer de redresser la barre est illusoire. Ce sera coûteux, long, et inefficace.
Mieux vaut reformater l’Etat et constituer une contre-élite pour le diriger.
Macron fait un premier pas vers la taille d’une contre-élite
Dans cette optique, la réforme d’Emmanuel Macron se tient. On passera sur l’insignifiant changement de nom de l’institution, et sur l’insignifiante mise en place d’un tronc commun de formation entre toutes les écoles. Plus intéressante est la fin de l’accès direct aux grands corps : inspection des finances et conseil d’Etat, principalement, qu’il promet.
On verra si la promesse est réellement tenue.
En attendant, elle met fin à cette technique de la pouponnière avec une cuillère d’argent dans la bouche, qui réserve les postes de “direction” aux élèves très majoritairement sortis de Sciences-Po et des meilleurs lycées parisiens, des plus bourgeois, où la reproduction sociale élitaire est un art du quotidien. Ce système délétère explique que notre haute administration ne s’occupe ni d’efficacité, ni de service au public, mais seulement de plaire au politique et de respect d’une étiquette aristocratique complètement décadente.
Ces gens-là étaient de merveilleux produits il y a soixante-dix ans, mais leur culture est totalement inadaptée au monde contemporain.
Pourquoi il nous faut une contre-élite ?
Après la débâcle du service public que nous avons connue en 2020, avec une administration incapable de commander des masques, des tests, des vaccins, incapable de structurer une réponse sanitaire durable autre qu’un grand enfermement, incapable d’anticiper le besoin en lits de soins critiques, un constat s’impose : il ne faut pas réformer, mais il faut “reengineerer”, c’est-à-dire écarter ceux qui sont en place et promouvoir une nouvelle élite dont la formation doit commencer maintenant.
Cette élite doit savoir répondre aux défis qui sidèrent la génération actuelle de hauts fonctionnaires : la numérisation avec son cortège d’horizontalité et de déconcentration des pouvoirs, la décentralisation des décisions, l’amélioration continue de la qualité dans les services. Pour parvenir à ces objectifs vitaux pour les Français, notamment dans l’école publique, mais aussi dans les hôpitaux, les services sociaux, les services d’accueil en tous genres, seule une remise à plat complète peut être efficace.
Une condition indispensable au relèvement national
Sans cette ordalie, douloureuse sans doute mais salutaire, on voit mal comment l’effondrement dont nous sommes proches pourrait être suivi par un relèvement. Il faut, pour que la France rayonne à nouveau, la nettoyer par le haut. Et la culture de l’ENA, avec son goût pour l’excuse, pour le “pas de vague”, pour la procrastination administrative, pour l’impunité, pour la “bienveillance”, n’est absolument pas équipée pour faire face aux lendemains qui déchantent.
Nos hauts fonctionnaires sont des capitaines de tranchée, et nous aurons besoin de colonels de hussards pour remporter les innombrables batailles qui s’annoncent. C’est pour cette raison qu’il nous faut un ambitieux plan de reconstruction des élites.
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Quand vas-t’on les sanctionner réellement, qu’ils ne recommencent jamais, bref ces planqués semblent intouchables, le système protège les tordus.
Le système ne peut que protéger les tordus, ils en sont la clé et le verrou . Elitisme décontracté qui auto-alimente les causes de leur échec et permet au Moloch de s’engraisser sans efforts ni mérite . Tout le monde semble avoir oublié que la création de l’ENA avait pour principale raison la difficulté, après la guerre, de trouver des gens compétents, en partie aussi parce que les finances étaient lessivées . Les communistes que De Gaulle ménageait car il représentaient une force importante ne pouvaient qu’être pour, on voit le résultat aujourd’hui . Quand à celui (ou celle) qui s’attaquera au problèmes de ce pays, je doute fort que ce puisse être Macron . La gestion en dépit du bon sens du covid ne plaide pas en sa faveur et laisse même à penser que la remise en etat de la France est très loin de ses priorités . La com ne suffira pas et, à part ça, que sait il faire? de plus il sera beaucoup plus difficile pour quelqu’un qui a déjà participé au festin de se battre contre ceux qui sont en partie responsables du déclin actuel . Un hussard ne suffira pas, seule une équipe pourra réussir, il ne faut pas croire que la caste se laissera virer sans tout tenter pour éviter des perdre les privilèges indus dont elle vie et quelle considère comme normaux . Aucun politicien déjà en place n’aura suffisamment l’esprit kamikaze pour détruire le Léviathan . Autant dire que ce n’est pas gagné d’avance .
@ Normandie, bonsoir et merci pour votre commentaire d’il y a quelques jours, ça fait toujours plaisir d’être compris .
Il faudrait en profiter si ce n’est pas déjà le cas pour interdire aux élèves issus de cette toute nouvelle institution toute forme de détachement ou de mise disponibilité pendant au moins 5 ans sinon rien d’une les empêchera de se faire détacher sans délai en CDD dans les grands corps tout en bénéficiant de salaires négociés
Cher bloguiste,
Dans votre papier qui une fois de plus associe information, analyse et proposition, un point me dérange quand je lis les “défis qui sidèrent la génération actuelle de hauts fonctionnaires : la numérisation avec son cortège d’horizontalité et de déconcentration des pouvoirs, la décentralisation des décisions, l’amélioration continue de la qualité dans les services.” En effet, je ne peux pas mettre la numérisation -un moyen- au rang des deux objectifs qui suivent.
Si vous pensez ma réaction exagérée, pensez que je vous ai trouvé en mauvaise compagnie : j’ai lu votre texte juste après avoir entendu, sur le même sujet, ce matin 12 avril, l’intervention sur Radio Classique d’Amélie de Montchalin, “ministre de la Transformation et de la Fonction publiques”, qui a énoncé trois axes qui doivent structurer la formation des futurs hauts-fonctionnaires: “le numérique (pour elle aussi!), l’écologie et la laïcité”.
Certes je lui sais gré d’avoir évité “digitalisation” pour “numérisation”, aussi lui suggère-je, quand l’éducation nationale sera effectivement rattachée à son département ministériel, d’adopter un programme unique de la maternelle au doctorat : l’apprentissage du vivre-ensemble sur tablette alimenté par une dynamo mue par manivelle.
Bien à vous.
Tant que le statut de fonctionnaire, au sens emploi à vie après un recrutement plus qu’obscur, responsabilité inexistante et mobilité nulle ne sera pas abrogé, tous ces débats autour de l’ENA ou autre Sciences Po, X, etc… n’aura aucun intérêt. Juste un crachat dans le vent. Ce qui tue notre pays, actuellement et à venir, est cette poche purulente, qui s’accroit sans cesse et qui embolise absolument tout. Mais on arrive bientôt au bout de l’argent des autres.