Le couple franco-allemand fait partie des grandes légendes urbaines qui structurent les élites françaises. Au lendemain des élections européennes, il devrait vivre un moment difficile, et de fortes tensions risquent bien d’interroger son sens et sa légitimité. Jusqu’où la France doit-elle pousser l’amitié avec l’Allemagne? Ce sujet tabou de ce côté-ci du Rhin ne pourra plus guère donner lieu à des dérobades. Rien n’exclut que, très vite, l’opinion française ne conclue à la nécessité d’une rupture claire avec l’Allemagne en Europe.
Selon un scénario vraisemblable, Angela Merkel abandonnera son poste de Chancelière, où l’exercice de son pouvoir est de plus en plus usé et pénible. Elle devrait glisser vers la présidence du Conseil, à la place du polonais Donald Tusk. Rien n’exclut qu’elle ouvre une nouvelle ère en Europe, en siégeant aux côtés de Christine Lagarde qui succéderait à Jean-Claude Juncker. Le couple franco-allemand n’existerait alors plus en tant que couple bilatéral, mais il prendrait une dimension supra-nationale.
Le couple franco-allemand mis à l’épreuve des faits
On pense connaître déjà le nom de la « dauphine » d’Angela Merkel, celle qui lui succéderait à la chancellerie. Il s’agit d’Annegret Kramp-Karrenbauer, surnommée AKK. On sait déjà quelles seront ses probables revendications internationales: le siège de la France au conseil permanent de sécurité, et la fin du siège strasbourgeois du Parlement européen.
Ces revendications sont celles d’une nouvelle génération de politiciens allemands qui souhaitent tourner la page de la Guerre. Pour les élites françaises, la demande sera difficile à manier: le vrai visage de la coopération franco-allemande apparaîtra enfin. Il faudra bien avouer que l’Allemagne a profité du parapluie français – voire de la coupable naïveté des élites françaises – pour faire oublier ses fautes et pour revenir dans le jeu, tout en nous laissant assumer les dépenses militaires qui vont bien.
Une relation déjà très tendue
En l’état, nous pouvons encore, avec un peu d’habileté, dissimuler le mauvais état de nos relations avec l’Allemagne. Quel Français sait par exemple que l’Allemagne a le droit de bloquer toute exportation de matériel militaire comportant des composants fabriqués sur son sol? Elle ne se prive pas de le faire aujourd’hui avec des armements européens qui doivent partir en Arabie Saoudite.
Le brillant couple franco-allemand et ses accords de coopération autorisent donc l’Allemagne à bloquer les exportations françaises dans le domaine de l’armement. Voici ce qu’en dit l’ambassadrice de France en Allemagne:
« Cette insécurité juridique conduit de plus en plus [d’entreprises] à développer des stratégies ‘German-free’ – permettant de produire des équipements sans composants allemands. Si cette évolution se confirme, elle aura des conséquences graves et durables sur notre capacité à procéder à des rapprochements industriels et à conduire des programmes communs »
Autrement dit, la coopération industrielle avec l’Allemagne (vantée comme une nécessité pour peser dans l’Union) devient un handicap majeur dans certains domaines.
L’incapacité structurelle de l’Allemagne à coopérer
D’une manière générale, c’est la question de la coopération avec l’Allemagne réunifiée qui est posée depuis les années 90. Les élites françaises refusent obstinément qu’elle soit posée et s’accrochent au monde obsolète de la République Fédérale Allemande (RFA), c’est-à-dire à l’Allemagne de la Confédération du Rhin créée par Bonaparte, qui était une alliée naturelle de la France.
Depuis la réunification de cet Etat moderne né à Versailles en 1870 après un long cycle d’Union douanière, et mort le 8 mai 1945, la coopération franco-allemande a progressivement changé de visage et d’esprit, même si les Français ont refusé de le voir et de l’admettre. La réintroduction de la composante prussienne dans l’entité politique germanique a réactivé de vieux réflexes outre-Rhin, notamment celui d’une organisation internationale du travail tournée vers l’est de l’Europe et destinée à enrichir l’Allemagne elle-même.
Cette conception des relations régionales a conduit à déséquilibrer en profondeur la construction européenne, à la rendre de moins en moins coopérative et de plus en plus germano-centrée. La fin du parlement à Strasbourg, la demande de cession du siège français au conseil permanent en montreront tout le vice et tous les risques.
L’euro, ce cheval de Troie dont plus personne ne se départit
L’euro a joué un rôle-clé dans cette logique non-coopérative qui creuse la tombe de l’Union Européenne.
La monnaie unique, qui envoûte les élites françaises depuis plusieurs décennies, a été, pour l’Allemagne, un moyen de continuer la politique d’expansion territoriale commencée par la Prusse dans les années 1830 avec le mark. Les Français, qui n’apprennent pas l’histoire de l’Allemagne, ne savent pas que ce que nous appelons l’Allemagne par commodité est née d’une union monétaire et douanière appelée le Zollverein, qui s’est « propagée » dans la constellation des petits Etats rhénans à partir de la Prusse au cours du dix-neuvième siècle.
La zone euro n’a pas fonctionné autrement que le Zollverein. La monnaie unique est à la fois est un outil économique et politique qui sert à unifier les marchés et les espaces politiques. L’ironie de l’histoire est que l’Allemagne a eu besoin de fermer sa parenthèse d’expansion politique agressive commencée dans les années 1870 (avec la défaite française qui débouche sur la création du Reich) pour reprendre son expansion par la voie monétaire.
D’où cette situation de subordination du sud de l’Europe par une monnaie unique qui a enrichi l’Allemagne et appauvri ses voisins.
L’incompréhension fondamentale de l’euro en France
Lorsque les élites françaises se sont lancées dans l’aventure de l’euro, elle n’ont pas compris, ou pas voulu comprendre, qu’une zone monétaire commune avec l’Allemagne était une gageure politique et économique. Et elles n’ont pas clairement expliqué aux Français qu’avoir la même monnaie que l’Allemagne, impliquait aussi d’avoir la même politique budgétaire qu’elle.
Cet oubli, ce manque de pédagogie, cette facilité, n’ont pas seulement concerné la France. Les Grecs, les Italiens, les Espagnols, peuvent formuler les mêmes reproches à leurs dirigeants respectifs. Toujours est-il que nos brillantes élites qui n’ont que les mots « Europe » et « couple franco-allemand » à la bouche, n’ont pas eu le courage de comprendre que les lois Hartz des années 2000 adoptées en Allemagne pour assainir les finances publiques, nous obligeraient à suivre la même politique. Ou alors à perdre de la compétitivité, donc des emplois.
Cette explication simple: on ne peut pas vendre de la camelote avec une monnaie forte, n’a jamais été donnée. Beaucoup de Français pensent qu’ils peuvent conserver la monnaie unique avec une économie peu compétitive et surendettée, pendant que l’Allemagne accumule les excédents budgétaires. C’est évidemment faux.
Le couple franco-allemand à l’épreuve de l’euro
Sans surprise, la divergence croissante des politiques économiques entre la France et l’Allemagne depuis 2008 enrichit l’Allemagne et appauvrit la France. Une étude allemande l’a clairement montré, même si on peut pinailler sur d’éventuels ajustements des chiffres.
Sur ce point, il faut prendre des options claires. Soit les élites françaises aiment l’Allemagne et l’union économique qui nous lie à elle et… dans ce cas, nous devons harmoniser nos politiques budgétaires. C’est-à-dire, pour parler clair, rentrer dans l’ordo-libéralisme fondé sur la baisse de la dépense publique. Soit les élites françaises ne se sentent pas de purger nos finances publiques, et elles doivent assumer d’abandonner l’euro pour dévaluer et retrouver ainsi une salutaire compétitivité.
Cette question très simple suppose un choix auquel les élites françaises se soustraient depuis de nombreuses années. Jusqu’ici, les Allemands avaient eu l’intelligence de ne pas nous sommer de le faire. Mais la successeuse d’Angela Merkel risque bien de vouloir rompre cet équilibre en poussant trop loin l’avantage de l’Allemagne.
L’alternative à ce choix
Pour notre part, nous préférerions enrichir cette hypothèse avec un autre scénario. Dans tous les cas, il nous paraît indispensable de retrouver la voie de la compétitivité en purgeant les dépenses publiques de leurs innombrables rentes de situation et en diminuant de dix points de PIB les prélèvements publics. Mais cette remise en ordre ne doit pas servir à étayer un couple franco-allemand qui n’a plus de sens depuis la réunification. Elle doit plutôt servir à forger une nouvelle vision européenne de la France, fondée sur une polarisation des fondateurs de l’Union (les signataires du traité de Rome), au besoin sans l’Allemagne.
Une France réformée en profondeur en aurait la capacité.
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L’adoption de l’euro supposait très clairement un budget tendant vers l’équilibre et une dette limitée. C’est ce que signifiait l’acceptation des critères de convergence. L’euro, c’était LA chance pour la France de devenir enfin sérieuse. Si nos brillantes élites ont signé sans lire et donc sans comprendre, ou pire sans vouloir comprendre, on ne peut plus rien pour elles.
Si vous voulez sauver la France, ne massacrez pas sa langue : successeuse ! Le féminin respectueux de l’étymologie serait successoresse (nous avons déjà, sur le même modèle, doctoresse).
La purge budgétaire c’est aussi un effondrement du PIB, un appauvrissement brutal de la grande majorité de la population comme en Grèce, la fuite des cerveaux massive comme en Bulgarie, en Roumanie… Le tropisme libéral est bien mauvais conseiller en l’espèce!
Vous ne faites nulle part référence à un « rapport »-clé : l’Allemagne d’aujourd’hui pèse économiquement plus de 3 fois la France !
C’est un tabou que d’évoquer ce simple ratio, n’est-ce pas ? Quant au ratio de surplus commerciaux on n’ose même pas l’évoquer, car comment comparer 260 milliards d’euros d’excédents allemands avec les 70 milliards de déficit français ?
Il ne faut pas non plus comme vous le faites faire remonter l’Allemagne au Zollverein de la Confédération du Rhin !
Il faut expliquer et faire comprendre ce qu’a été l’horrible traité de Westphalie au beau milieu du 17e sècle : tout est parti de là, cette volonté d’écrabouiller l’Allemagne, de la piller de toutes manières possibles, de corrompre et d’acheter les parties maintenues émiettées
pour plus de deux siècles…
Non ! Nous ne nous en sortirons qu’en reconstruisant patiemment le Saint-Empire romain germanique qui est au fond la vieile Europe éternelle !
Mais il est évident que l’adjectif « germanique » vous dérange…
Vive la victoire !
GT