Je poursuis ici le travail, commencé hier, de traduction partielle – mais commentée – de ce document capital de l’actualité russe récente (et que l’Histoire versera probablement au dossier des « pièces importantes sur le conflit russo-ukrainien »).
« 7) Comment se fait-il que le plan de l’Opération Militaire Spéciale [ci-après : SMO] ait été – comme on s’en est rendu compte entre temps – basé sur des données qui n’avaient rien à voir avec la réalité ? Comment se fait-il que ce plan ait spéculé sur des forces armées ennemies censées ne pas être le moins du monde préparées à une résistance efficace ? Comment expliquer l’absence de la moindre information concernant le haut niveau d’entraînement opératif, et le moral encore plus élevé qui étaient ceux de l’armée régulière [ukrainienne] ? Pourquoi les autorités [russes] s’attendaient-elles à une parfaite loyauté [vis-à-vis de Moscou] dans le meilleur des cas et, dans le pire, à une réaction de « neutralité » de la part des populations des territoires occupés pendant l’OMS, alors qu’en réalité, sur le terrain, on a observé une situation diamétralement opposée ? Quel traître a osé désinformer à ce point le Président ? A qui incombe la responsabilité pénale de ces actes ? Qui devrait maintenant en répondre – pour le moins aux termes des lois du temps de paix ? »
Cette question est, du point de vue des russes partisans de l’Opération Spéciale, celle qui, en réalité, engage le plus la responsabilité personnelle de V. Poutine. Car, que les auteurs du texte en aient conscience ou non, la réponse à toutes ces (sous-)questions est, de mon point de vue, assez claire : elle se trouve dans les écrits publiés par V. Poutine lui-même au cours des années et des mois qui ont précédé février 2022. Ces textes exposent en effet une vision du monde – et plus particulièrement de l’Ukraine – informée par l’idéologie d’un nationalisme essentialiste, qui fait de l’attitude politique des populations une conséquence mécanique de leur identité ethnique.
Or, même sans entrer dans la problématique méandreuse des rapports entre langue et ethnie dans l’espace post-soviétique, il est difficile de s’en tenir à une telle vision des choses tout en reconnaissant par ailleurs – comme le camp pro-russe le fait assez souvent – que le conflit en cours est avant tout une guerre civile du monde de langue russe. Du moment qu’on parle surtout russe des deux côtés de la ligne de front – à moins de supposer que chaque soldat fidèle à Kiev soit tenu en joue par un activiste néo-nazi ou un mercenaire de l’OTAN –, il faut bien se résigner à l’idée qu’il existe des russophones favorables au régime de Kiev, ou tout du moins plus hostiles à celui de Moscou qu’à celui de Kiev. Et déclarer que ces derniers se trompent, ou sont trompés par la propagande occidentale, permet peut-être de se donner bonne conscience, mais ne change rien à la réalité de leur existence.
Soutien populaire à Poutine : insuffisant, ou excessif ?
Il est donc facile de voir comment les théories de Poutine sur l’Ukraine (historiquement bien étayées, au demeurant) pouvaient, il y a 14 mois, facilement conduire – même sans la moindre « désinformation » – à s’illusionner sur la réalité présente des loyautés politiques de la population ukrainienne.
Et pourtant, le ou les auteur(s) de ce texte signé par Strelkov et son Club des Patriotes en Colère semblent non seulement ignorer ce lien de cause à conséquence assez évident entre l’idéologie personnelle de Poutine et le fiasco de la doctrine politico-militaire appliquée au cours des premières semaines de l’Opération, mais même en rajouter dans la réitération du mythe du « bon Tsar victime de mauvais conseillers » (caractéristique, comme je l’ai déjà relevé ailleurs, de la culture politique russe).
Faut-il y voir une précaution oratoire, destinée à minimiser un risque de répression ? C’est une explication envisageable, mais qui me semble, sinon improbable, du moins insuffisante : il me semble plus facile d’imaginer que le ou les auteur(s) partagent trop, sur ce point, l’idéologie de V. Poutine pour réussir à la percevoir consciemment comme une source d’erreurs stratégiques. Idéalistes engagés dans un combat idéologique, ces auteurs méconnaissent facilement le fait que la grande majorité de leurs frères slaves, des deux côtés de la frontière, mènent une vie dominée par des intérêts bien plus terre-à-terre : en Europe post-communiste, c’est souvent l’opportunité d’une migration économique périodique ou définitive (vers l’Amérique, l’Europe de l’Ouest… ou vers Moscou) qui conditionne les options politiques et pseudo-idéologiques des uns et des autres, bien plus que les discours ronflants sur « la Terre russe » ou « la Nation ukrainienne », etc..
Si cette interprétation est correcte, elle permet de se faire une idée de la complication de la situation dans laquelle se trouve peut-être actuellement le pouvoir russe, à la fois
- assis sur une large approbation populaire de ce combat qu’il présente (par bien des aspects : à raison) comme une lutte défensive du peuple russe et
- menacé de débordement sur sa droite par ceux qui soupçonnent (là aussi, probablement à raison) une partie au moins de la nomenklatura poutinienne de ne pas être extrêmement sincère dans sa volonté d’en découdre avec « l’Occident collectif ».
Je pencherais pour une large défection des « relais » recrutés et payés par le FSB : ces relais ont singulièrement fait défaut lors du déclenchement de l’opération.
oui, par ailleurs, il est probable que l’opération militaire spéciale ait eu comme premier objectif de protéger la Crimée (faire de Sébastopol une base OTAN et couper la Russie de la mer Noire) et forcer Kiev à négocier, et non de prendre le Donbass.
Le premier objectif a été largement atteint (les russes ont repoussé la frontière de la Crimée au Dniepr), le deuxième a failli réussir (Z voulait négocier au deuxième jour).
Du coup, plan B : demilitarisation de l’Ukraine : c’est en cours, mais le coût est élevé.
Je n’oublie pas que Poutine comme Trump avaient dans des discours à quelques jours sinon semaines d’intervalle juste avant la paranoïa cocotruc fait allusion à leurs états profonds respectifs.
Ne serait-il pas logique de penser qu’il y a AUSSI en Russie, tout comme en Chine et en occident, un état profond « pro anglo-saxon » qui mettrait des bâtons dans les roues de Poutine ???
Poutine est le seul qui a réussi à virer au moins la partie apparente de l’iceberg de l’OSF de Georges Soros…
Virer les « autres » semble beaucoup plus difficile…
Cet article est l’expression de ce que les sciences cognitives appellent la « théorie de l’esprit », c’est-à-dire le flot de cogitations qui viennent remplir un vide quand on ne parvient pas à décrypter les intentions d’autrui, en l’occurrence le pouvoir russe. Peut-être parce que ce pouvoir russe applique la « maskirovka » et parvient à camoufler certaines de ses intentions? Pourtant, la feuille de route pour l’Ukraine et l’OTAN a déjà été ouvertement divulguée dans l’article de Timofeï Sergueïtsev « Ce que la Russie devrait faire de l’Ukraine » et s’étale sur une génération. On en trouve des commentaires occidentaux pratiquant l’inversion accusatoire et prêtant à la Russie des intentions génocidaires envers l’Ukraine. En lien ci-dessous, l’article traduit en français (précédé d’un commentaire très orienté par un site qui se veut objectif).
« Le concept de dénazification de l’Ukraine selon Timofeï Sergueïtsev »
https://clio-texte.clionautes.org/concept-denazification-ukraine-selon-timofei-sergueitsev.html
Remarque très intéressante, à partir du moment où, fermement installé dans une psychologie de midinette spectatrice de feuilletons, on a admis (généralement sans le dire) que l’enjeu de la discussion serait de décrypter des subjectivités individuelles ou de (petits) groupes. Comme tel n’a jamais été l’objet central des sciences de l’histoire et de la politique, ce n’est pas mon cas – ce qui fait que je me moque comme de l’an 40 des circonvolutions feudiennes qui ont pu amener V.V. Poutine, ou tout autre tchinovnik du Kremlin, à dire ce qu’il dit ou à faire ce qu’il fait.
A partir du moment où la chose est dite/écrite (comme les tribunes de presse de Poutine, peut-être un peu plus lues que les « divulgations » de M. Sergueïtsev, non?) ou faite, on entre dans l’objectivité des faits, qui seule m’intéresse.
Je te remercie néanmoins pour cette tentative (certes nulle et non avenue) de participer au débat (a piori: à un autre débat – mais c’est l’intention qui compte).
Merci de nous avoir indiqué le texte de cet idéologue, que je regrette de ne pas avoir lu plus tôt.
Irrationnel, fanatique et totalitaire.
Et Poutine donc ?
Bon clash de @Lucien Cerise. ⚡???????? Restons simples. Oui il y a en Russie plus féroce que VVP s’agissant de l’ouest collectif — de l’otan c’est moins sûr. Oui ces gens vont commenter intriguer s’opposer publier… De leur matériel je retiens que la désinformation /provocation par l’intelligence US neocon est plus que probable qui a entraîné VVP dans la SMO. N’empêche qu’en retour l’intelligence de l’occident, n’était pas non plus très fraîche: ???? à malin malin et demi. Vu du Kremlin et d’ailleurs, les premières semaines d’opérations n’ont pas tourné à la Berezina, bien au contraire. Bref, je garde toute ma confiance à Vlad. ✊