Comment lutter juridiquement contre la suspension des soignants. Les conseils juridiques (dont les nôtres) ont fleuri sur la Toile, et pour la première fois nous souhaitons expliquer pourquoi certaines stratégies proposées par des collègues ne nous semblent pas pertinentes, voire pourraient se révéler dangereuses pour ceux qui les reprennent à leur compte. Ces remarques sont tout à fait amicales, et nous laissons chacun libre de choisir la stratégie qu'il préfère. Mais nous tentons ici de donner une perspective raisonnée sur les avantages et les inconvénients de chaque option.
La suspension des soignants divise le petit monde des juristes, et il nous paraissait important de préciser quelques points “stratégiques” à propos du projet de recours que nous avons rédigé et publié dès le mois d’août. Ce texte obéit en effet à une inspiration différente des recours présentés par les avocats qui conseillent ou animent les nombreuses associations qui ont fleuri depuis le 12 juillet. Il nous semblait important de bien expliquer les différences d’approche, pour que chaque soignant puisse se positionner en toute connaissance de cause.
La suspension des soignants : quelle différence d’approche ?
Pour résumer la différence d’approche entre “nous” et “eux”, on peut prendre une image simple : faut-il prendre l’Himalaya par la face Nord ou par la face Sud ? Autrement dit, faut-il attaquer l’obligation vaccinale des soignants frontalement, ou faut-il ruser ?
Notre position constante depuis le mois de juillet est celle d’une préférence pour la ruse, alors que majoritairement le “marché” a recommandé une démarche frontale.
En l’espèce, les avocats qui sont intervenus ont essentiellement proposé de plaider l’illégalité de l’obligation vaccinale, notamment en visant la question du consentement éclairé. Nous avons déconseillé d’utiliser cette voie, et préconisé de plaider sur les questions de “légalité externe”, en l’espèce le non-respect des droits de la défense au moment où une sanction est infligée.
Nous voulions expliquer pourquoi nous préconisons cette démarche moins reluisante, moins vaillante, mais de notre point de vue plus protectrice de l’intérêt des plaignants.
Attaquer l’obligation vaccinale : quels risques ?
Nous avons tous bien compris que l’enjeu majeur des recours contre les suspensions était de contester l’obligation vaccinale. C’est logique, puisque les soignants suspendus le sont parce qu’ils refusent le vaccin.
Pourtant, nous ne préconisons pas d’attaquer l’obligation vaccinale en justice pour une raison tactique : nous avons la conviction profonde qu’aucun juge en France n’osera censurer cette obligation, même si, en son âme et conscience, il la soutient. Cette impossibilité condamne par principe toute contestation en justice qui contraindrait un juge à se positionner contre l’obligation vaccinale.
Les raisons de cette impossibilité sont simples à comprendre intuitivement. L’obligation vaccinale est au coeur de la pression exercée par le gouvernement sur la société française, et une très large fraction de la magistrature est adepte de la religion du vaccin. Dans ces conditions, quel magistrat (surtout quel magistrat administratif) osera se “démarquer” du Président et de son corps en annulant, au cours d’un référé, un point aussi important dans le dispositif gouvernemental ?
Rappelons que, en référé, la décision est prise par un magistrat seul, sans examiner le fond du dossier. Il est selon nous chimérique d’imaginer qu’un président de tribunal oserait, en urgence, annuler seul, sans collégialité, une pièce maîtresse de la politique menée par la caste. Il peut le faire, certes, mais il sait qu’il renonce ce faisant à toute forme de carrière, et qu’il encourt un bannissement immédiat de la part de ses pairs.
Pour cette raison quasi-psychologique, nous soutenons que tout référé mettant en cause l’obligation vaccinale est condamné à l’échec. La décision du tribunal de Toulouse, que nous commentons par ailleurs, le confirme.
Contester les conditions de la suspension : quels avantages ?
On peut ici faire le pari que très peu de magistrats sont, à titre personnel, hostiles à l’obligation vaccinale, mais qu’ils peuvent plus facilement contester la façon dont elle se met en place. Notre argument déployé depuis le mois d’août consiste à soutenir que la forme normale de la suspension dans la fonction publique est d’être accompagnée d’un maintien de traitement, comme le prévoit l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983. En instaurant une suspension sans traitement, la loi du 5 août 2021 a imposé une sanction disciplinaire contre les récalcitrants. Or qui dit sanction dit droits de la défense.
C’est précisément sur ce point que la loi du 5 août 2021 déroge à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Officiellement, toute la machine administrative fait vivre le mythe selon lequel la suspension n’est pas une sanction. Mais autant cette affirmation est plaidable dès lors que la suspension est une mesure d’urgence qui conserve le traitement et qui débouche sur une procédure disciplinaire où les droits de la défense sont respectes, autant il nous semble qu’aucun juge ne peut véritablement affirmer, écrire, proclamer, que suspendre sine die le traitement d’un fonctionnaire n’est pas une sanction.
Or toute sanction appelle le respect des droits de la défense et, sur ce point, la loi du 5 août 2021 a créé un état d’exception qui n’est pas conforme à nos principes généraux du droit (qui ont une valeur constitutionnelle, rappelons-le).
La stratégie que nous suggérons consiste bien à tout miser sur le “confort” des juges, en leur proposant de ne prendre aucun risque de carrière sur la censure de l’obligation vaccinale, mais en leur suggérant de rétablir le versement du traitement conformément à la loi du 13 juillet 1983, pour respecter les droits de la défense, en conformité avec une jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel. C’est moins héroïque que la dénonciation pure et simple de l’obligation vaccinale, mais c’est plus facilement audible par le magistrat qui va devoir trancher.
Le risque pour l’appareil sanitaire français
La maximisation des chances de succès par notre stratégie prudente n’est pas le seul avantage de notre solution. Elle en présente un autre : pour les hôpitaux publics, la contrainte financière qu’un rétablissement du traitement des “suspendus” constitue un vrai facteur de blocage. Pour le gouvernement, l’addition finale à payer risque d’être d’autant plus dissuasive que la loi n’a pas fixé de terme aux suspensions. On peut tout à fait imaginer une suspension payée à vie pour les non-vaccinés.
Pour toutes ces raisons, nous maintenons notre option en faveur de recours en référé qui se cantonnent aux questions de droits de la défense, et qui évite soigneusement d’effrayer les magistrats en abordant la question de l’obligation vaccinale.
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Article intéressant. Merci pour cette approche argumentée. Quel pourrait alors être l’angle d’attaque pour les soignants non fonctionnaires, salariés du privé ou libéral ? L’Hymalaya peut-il être accessible par la face Ouest ou Est ???
Eric,
Bravo.
Pour aller dans ton sens, et je continue à travailler en me faisant faire des tests (salivaires car moins dangereux pour ma santé) à 72 heures, j’ai la bonne surprise de t’annoncer que la CPAM continue à me régler mes honoraires après le 14 septembre.
Cordialement
Jean-Pierre BALUC
L’article est intéressant, en effet l’argument se tient.
Mais si l’obligation vaccinale n’est pas “en soi” attaquée, elle va nous tomber bientôt sur le coin de la gueule… A TOUS.
C’est reculer pour reculer? Assurer une première victoire ok , à condition d’aller plus loin après.
Il est nécéssaire d’attaquer à un moment ou à un autre l’obligation vaccinale, les arguments ne manquent pas.
Si ce n’est pas fait elle deviendra universelle, inévitablement.