L’état d’urgence sanitaire est-il conforme aux libertés fondamentales garanties par la Constitution ? Les Sages ont considéré hier, avec une bonne dose d’agacement, que le gouvernement apportait trop peu de précisions et de limitations à la collecte de données personnelles liées à la contamination. Et, ce faisant, il a apporté d’importantes considérations sur l’utilisation des données de santé. Pour le reste, il n’a rien trouvé à redire à la neutralisation de l’auto-amnistie que le gouvernement avait prévu pour dédouaner le Premier Ministre des poursuites entamées contre lui devant la Cour de Justice de la République.
Le gouvernement espérait que le Conseil Constitutionnel se prononce dès dimanche sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire. Mais les Sages ont pris une journée de plus, et ont finalement répondu ce lundi, en invalidant une partie du texte. Cette réponse du berger à la bergère illustre les doutes qui entourent le déconfinement et la précipitation (pour ne pas dire l’improvisation) avec laquelle le Premier Ministre gère ce dossier brûlant pour lui.
La responsabilité des élus neutralisée
Dans une tribune qui n’est pas passée inaperçue sur le Journal du Dimanche, des parlementaires LREM avaient annoncé qu’ils proposeraient un dispositif particulier pour les élus et les fonctionnaires destiné à les protéger contre des poursuites pénales intempestives. Le Sénat avait déjoué cette stratégie en proposant une rédaction précisant le régime de la responsabilité pénale involontaire.
Finalement, la Commission Mixte Paritaire a simplement précisé la responsabilité pénale durant l’état d’urgence sanitaire, sans établir d’impunité, et sans distinction entre élus et non élus. Face à cette neutralisation du principe d’amnistie prévu initialement par le gouvernement, le Conseil Constitutionnel a validé la rédaction de la loi.
Par ailleurs, conformément au sixième alinéa du paragraphe II de l'article 11, les agents de ces organismes ne sont pas autorisés à communiquer les données d'identification d'une personne infectée, sans son accord exprès, aux personnes qui ont été en contact avec elle. En outre, et de manière plus générale, ces agents sont soumis aux exigences du secret professionnel et ne peuvent donc, sous peine du délit prévu à l'article 226-13 du code pénal, divulguer à des tiers les informations dont ils ont connaissance par le biais du dispositif ainsi instauré. (considérant 72)
Conseil Constitutionnel Tweet
Les Sages rappellent les principes du secret professionnel
Sur ces points, le Conseil Constitutionnel a rappelé sans aucune ambiguïté les principes fondamentaux de la protection de la vie privée. Il ne peut y avoir de communication de données à des tiers sans consentement des personnes. La rédaction ci-dessous ne laisse planer aucune ambiguïté sur la question.
La disposition prévoyant une transmission des informations personnelles sans consentement des personnes est donc bannie du texte. Le Conseil rappelle ici l’importance du secret professionnel et le caractère délictuel de sa violation. Pour le gouvernement, il s’agit là d’un désaveu important qui affaiblit considérablement l’ambition administrative du projet.
Les Sages limitent la liste des services autorisés à consulter les données
Par ailleurs, le Conseil Constitutionnel a censuré les dispositions incluant les services sociaux dans la consultation des données. Ceux-ci étaient en effet inclus dans les possibilités de consultation prévues par le texte. Or, les Sages ont contesté que les personnes en charge de l’accompagnement social des malades puissent être informées de leur état.
Dans son raisonnement, le Conseil a entendu limiter au strict nécessaire les limites portées à la violation de la vie privée. Et sur ce point, il n’a guère trouvé d’argument pour justifier que les personnels sociaux disposent d’information recueillies à titre médical. Cette limite est importante, puisqu’elle souligne que le contrôle des sages sur la violation des libertés vise également les personnes qui peuvent participer à cette violation.
« Art. L. 3136-2.-L'article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l'auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu'autorité locale ou employeur. »
Loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, article 1 Tweet
Une tendance liberticide contrée par le juge
Au final, on retiendra que le Conseil Constitutionnel est allé beaucoup plus loin que le Conseil d’État dans le contrôle des opérations. Dans son avis sur le projet de texte, le Conseil n’avait pas trouvé, dans l’article 11, d’éléments disproportionnés dans la violation des libertés. Le Conseil Constitutionnel ne l’a pas entendu de la même oreille.