Le Conseil d'État a rendu un avis cinglant sur le projet de loi de réforme des retraites, qui appelle de nombreuses questions et réserves sur le choix, opéré par Emmanuel Macron, de faire passer ce texte coûte-que-coûte. Le Conseil déplore en particulier une analyse d'impact financier lacunaire, et un manque de temps pour étudier un texte encore loin d'être bouclé. Surtout, le Conseil d'État déplore que le système qui se met en place préserve 5 régimes différents.
C’est un avis explosif que le Conseil d’État vient de rendre sur le projet de réforme des retraites. Saisi tardivement sur un texte pléthorique qui devrait induire de nombreuses ordonnances, le Conseil ne conteste pas seulement la précipitation du gouvernement dans un dossier où une longue concertation n’a pas empêché la grève interprofessionnelle la plus interminable de notre histoire. C’est le fondement même du système que le Conseil attaque… et fragilise. La rigueur de cette position ne manque pas d’étonner, si l’on se souvient qu’Édouard Philippe est lui-même issu de cette maison d’Ancien Régime.
Vers un système universel ? Le Conseil d’État le conteste les faits
Dans la pratique, le Conseil d’État conteste la véracité de l’affichage gouvernemental sur la mise en place d’un système réellement universel. Il rappelle en effet, de façon extrêmement claire, que ce système ne verra pas le jour. En réalité, ce sont cinq régimes différents, avec des droits différents, qui vont coexister à l’avenir.
On reprendra ici le texte lui-même du Conseil :
le projet de loi ne crée pas un « régime universel de retraite » qui serait caractérisé, comme tout régime de sécurité sociale, par un ensemble constitué d’une population éligible unique, de règles uniformes et d’une caisse unique. Est bien créé un « système universel » par points applicable à l’ensemble des affiliés à la sécurité sociale française, du secteur privé comme du secteur public, qui se substitue aux régimes de base et aux complémentaires et surcomplémentaires obligatoires, mais à l’intérieur de ce « système » existent cinq « régimes », à savoir le régime général des salariés, dont relèvent les affiliés aux anciens régimes spéciaux autres que les fonctionnaires et les non-salariés, le régime des fonctionnaires, magistrats et militaires, celui des salariés agricoles, celui des non-salariés agricoles et celui des marins ; la profession des navigants aériens, affiliée au régime général des salariés, conserve, quant à elle, son régime complémentaire obligatoire. A l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées. En termes de gestion, sont maintenues plusieurs caisses distinctes qui ont pour mission de servir les prestations du système universel, le cas échéant adaptées, aux professions qui leur sont rattachées.
On le voit, l’attaque est violente et sans ambiguïté. Pour le Conseil d’État, le gouvernement fait une grosse opération de communication en baptisant « système universel » un dispositif qui maintien vivants 5 régimes différents, avec des caisses différentes. On ne pouvait être plus clair pour démentir l’affichage officiel et pour souligner l’insincérité du texte que le Parlement va discuter.
5 régimes resteront en vigueur, dont celui des fonctionnaires
Dans la pratique, le gouvernement a discrètement préservé les caisses qui protègent ses affidés. C’est en particulier le cas du régime des fonctionnaires, qui devrait continuer à verser des retraites plus favorables pour ceux-ci, financées de façon limpide et évidente, désormais, par des surcotisations imposées aux autres cotisants.
Rappelons en effet que le régime actuel de retraite des fonctionnaires est financé par des cotisations patronales très élevées… piochées dans le produit des impôts. L’intégration des fonctionnaires dans un régime de retraite universel posait donc le problème du financement du régime favorable de ceux-ci. En alignant les fonctionnaires sur les salariés du privé, le gouvernement se condamnait à baisser fortement les retraites du secteur public.
Pour éviter de mettre le feu aux poudres, un autre choix a finalement été fait : préserver un régime spécifique pour les fonctionnaires, tout en donnant l’illusion qu’ils étaient ramenés au droit commun. Merci, le Conseil d’État, d’avoir levé ce lièvre.
Un texte juridiquement fragilisé ?
Face à ces éléments de dénonciation, le texte du gouvernement semble donc désormais très fragile. D’une manière générale, on voit mal comment les contentieux juridiques à venir, notamment sur les ordonnances ou les décrets d’application, n’auront pas la tentation de s’appuyer sur les attendus de cet avis pour demander l’annulation de telle ou telle disposition gênante.
Pour les opposants, tout laisse à penser que ce texte bâclé donnera pendant de longues années un intense grain à moudre pour faire annuler, lambeaux par lambeaux, les éléments les plus polémiques de la réforme. On peut s’interroger aujourd’hui sur le bon sens macronien dans cette affaire, qui sacrifie l’intérêt général à un affichage politique de plus en plus délétère.