Le Great Reset est-il un complot ? une élucubration ? un projet abouti ? une erreur de parcours ? Nous livrons ici notre dernier article consacré au sujet du Great Reset, qui formera la préface de l'ouvrage global sur la question que nous mettrons à disposition sur notre site dès lundi. Il traite de la question essentielle du statut du Great Reset : s'agit-il d'une parole en l'air ou d'une sorte de prédiction de ce qui va arriver ? Rendez-vous lundi pour retrouver l'ensemble du livre écrit avec vous au fil des semaines.
L’opuscule qui suit se veut un commentaire pour ainsi dire littéral consacré au Great Reset, qui est à la fois un livre publié en juillet 2020 par Klaus Schwab, fondateur du Forum de Davos, co-écrit avec Thierry Malleret, ancien conseiller de Michel Rocard, un concept et un programme.
Le concept et le programme, nous pouvons les résumer simplement en renvoyant au site Internet du Forum de Davos, qui décline sous tous ses aspects cette conviction énoncée par Schwab, selon laquelle l’épidémie de coronavirus constitue une occasion historique d’accélérer la quatrième révolution industrielle, celle de la digitalisation. Trop d’obstacles réglementaires, politiques, sociétaux, retarderaient l’émergence d’une société nouvelle qui tirerait le meilleur parti des possibilités offertes par l’économie numérique. La pandémie de coronavirus, qui oblige à la relation à distance, permettrait de vaincre ces obstacles et d’annoncer l’heureux avènement d’un nouveau monde où les technologies changeraient nos habitudes et notre style de vie.
Pêle-mêle, Schwab et Malleret jettent dans leur énumération le télétravail, la surveillance en temps réel de la circulation des personnes, l’émergence de l’économie circulaire et la disparition de la monnaie fiduciaire. Ces quelques exemples sont loin d’épuiser la verve des auteurs.
En parcourant le site Internet du Forum Economique mondial, chacun pourra se rendre compte que ces projections futuristes (et opportunistes) ne sont pas une simple parole dans le désert. Le Forum a mobilisé son réseau pour pousser tous azimuts des projets prêts à réaliser pour changer la vie des gens, l’organisation de nos sociétés, et le cours de l’histoire. Une des questions fondamentales que pose ce livre est donc de démêler ce qui y relève de l’idéologie portée par Schwab et Malleret, de l’influence auprès de la grande bourgeoisie mondialisée qui manage les entreprises transnationales, et qui parfois les possède, et ce qui relève d’un agenda en arrière-fond qui dicterait la conduite de certains Etats ou de certains gouvernements.
Le Great Reset et la question du complot
Une grande partie de la presse mainstream (pour ne pas dire toute la presse mainstream) a observé un parfait silence sur ce projet de Great Reset au cœur des travaux menés par le Forum de Davos, au point que tous ceux qui en ont parlé ont été taxés de « complotisme », ce mot à la mode qui permet de stigmatiser toute pensée ou toute expression qui prend à rebrousse-poil le prêt-à-penser des élites. Dans un étrange délire idéologique, certains journalistes ont même pris pour réflexe d’accuser de complotisme tous ceux qui évoquent l’existence de ce Great Reset, ne serait-ce qu’en tant qu’objet-livre.
Cette accusation est évidemment grotesque, puisque le livre « The Great Reset » est non seulement en vente sur le site d’Amazon, mais il est disponible gratuitement sur Internet, sous forme de livre numérique. Il a été publié par Thierry Malleret lui-même, dans son format de tapuscrit. Si affirmer que ce livre existe relève du « complotisme », alors il faut aussi remarquer qu’en nier l’existence relève du « négationnisme » le plus idiot. Mais il est vrai que la peur qui étreint tant de journalistes de déplaire et d’être banni du microcosme parisien est telle que même les plus grandes absurdités peuvent trouver grâce sous leur plume, pourvu qu’elles leur permettent de conserver leur emploi.
Ce silence observé par la presse sur la question du Great Reset a nourri de nombreux fantasmes (authentiquement complotistes, ceux-là) sur une grande orchestration des malheurs qui marquent notre époque. Pour aller vite, et sans entrer dans le détail des différentes théories qui ont fleuri, l’épidémie de coronavirus aurait été sciemment fomentée pour permettre l’émergence d’un nouvel ordre mondial, où les élites confisqueraient définitivement le pouvoir et asserviraient les peuples en les soumettant notamment à une surveillance de tous les instants. On retrouve ici le besoin si humain de contester le hasard dans l’histoire, et de bâtir un récit rationnel et prémédité des événements. Au fond, il ne se peut pas qu’une épidémie éclate innocemment et transforme le cours de notre existence. Elle doit forcément obéir à une logique téléologique : un esprit intelligent organise l’histoire et se cache derrière les éléments désordonnés qui défilent sous nos yeux pour arriver à une fin cachée, inconnue de nous, mais déterminée à l’avance.
Ces élucubrations ont un effet très toxique sur la compréhension de ce qu’est le Great Reset, puisqu’elles décrédibilisent tous ceux qui veulent aborder le sujet de façon sérieuse, en les assimilant à des énergumènes convaincus que les reptiliens ou les illuminati ont pris le pouvoir. Il importe donc ici de démêler le vrai du faux avant d’aller plus avant dans la réflexion.
Ce que Schwab et Malleret écrivent effectivement, c’est que la pandémie est une opportunité pour changer les habitudes de vie. Ils n’hésitent pas à recommander aux leaders politiques de faire durer autant que possible l’urgence sanitaire pour que les comportements soient modifiés en profondeur, et pour que les réformes réglementaires dont la numérisation a besoin aient le temps d’intervenir. Instrumentaliser la pandémie à des fins politiques constitue même le fait générateur du Great Reset, en tant que livre et en tant que projet décliné par le World Economic Forum.
Sur ce point, on notera précieusement que les projets de révolution systémique et sociétale qu’égrène le Forum ne sont pas nés de la dernière pluie, et spécialement de l’apparition du virus. Pour une large part, ce sont des projets muris, programmés, préparés, comme la mise sous surveillance des populations, mais que des obstacles réglementaires empêchent ou entravent. Sur ce point, Schwab et Malleret citent l’exemple de la disparition de la monnaie fiduciaire enfin permise par l’idée qu’un billet de papier peut être porteur du virus, et donc qu’il vaut mieux généraliser le paiement par Internet pour limiter la contamination.
Ce qui n’est pas prouvé, et n’est même pas mesurable, c’est l’influence réelle de ces considérations sur la conduite des politiques publiques. Lorsque les gouvernements décident de recourir régulièrement aux confinements ou à diverses restrictions des libertés, agissent-ils parce qu’ils ont lu ou écouté Schwab, ou simplement parce que les éléments politiques à leur disposition leur recommandent d’agir de la sorte pour protéger les citoyens ? On voit bien que la part de fantasme et de réalité sera éternellement discutée par ceux qui ont décidé que l’enchaînement des séquences de 2020 obéit à un pur hasard, et ceux qui sont convaincus qu’au contraire il obéit à une nécessité secrète.
Sur ce point, chacun pourra se forger son avis librement. Mais une hypothèse vraisemblable apparaît désormais : il est plausible (mais cela n’est pas prouvé) que le coronavirus soit le produit d’une manipulation de laboratoire à Wuhan qui aurait mal tourné. Le gouvernement chinois s’est empressé d’isoler la ville sur le plan intérieur pour éviter une contagion dans le reste du pays, mais a laissé le trafic international continuer comme si de rien n’était pour ne pas inquiéter l’opinion mondiale.
Cette gestion funeste a pris de nombreux décideurs publics dans le monde entier (y compris des médecins en charge de la santé publique) au dépourvu, et ce vide intellectuel s’est révélé propice à l’influence d’une théorie comme celle de Schwab, dont l’immense mérite était de tracer une route simple et opérationnelle là où les boussoles n’indiquaient plus aucun Nord. Cette rencontre entre des hiérarques perdus et des gourous calculateurs a probablement nourri pas mal de notes, de réflexions, de mémos, qui ont circulé dans les allées du pouvoir, mais dont la destinée finale et la solidité sont encore inconnues.
Great Reset et Nouvel Ordre Mondial (NOM)
Dans la croyance populaire qui s’est répandue autour du Great Reset à la vitesse de la lumière, Schwab serait porteur d’un projet de Nouvel Ordre Mondial fondé sur une dictature internationale autoritaire. Cette conviction fait couleur beaucoup d’encre et agite beaucoup les touches des claviers.
Là encore, il faut distinguer le bon grain et l’ivraie et revenir à ce qui est écrit exactement pour comprendre la portée du discours distillé par les élites depuis la pandémie. L’ouvrage de Klaus Schwab est assez explicite sur le sujet de « l’ordre mondial » qu’il préconise et qu’il affirme entrevoir dans les années à venir. Il est d’ailleurs sans surprise et sans imagination. Il n’a rien à voir avec une sorte d’empire au sens où George Lucas l’avait imaginé pour Star Wars, avec une sorte de bureau politique central qui commanderait le monde et l’attirerait du côté obscur de la force.
Dans la pratique, Schwab et Malleret se contentent de réchauffer la soupe servie depuis des années dans les dîners des grands, faite de multilatéralisme et de décisions complexes, anonymes, âprement négociées dans des instances nébuleuses dont il ressort un épais bottin de mesures techniques qui ne suscitent jamais l’enthousiasme des peuples, mais qui récompensent obscurément tous ceux qui ont eu les moyens d’influencer leur élaboration. Le multilatéralisme, dont les Anglo-Saxons sont sortis avec fracas depuis 2016, en choisissant le Brexit d’abord, Donald Trump ensuite, est l’apanage des diplomates, des hauts fonctionnaires, des grands commis qui se substituent peu à peu aux peuples et aux élus pour gouverner le monde.
Sans surprise, donc, Schwab est un adepte du multilatéralisme sous toutes ses formes : Union Européenne qu’il cite en exemple, ONU, OMC, G7, G8, G20, qu’il trouve trop mous du genou. Il est accessoirement un ennemi des Etats-nations, qu’il juge rétrogrades, inadaptés à un monde « interconnecté », et autres mots des Start-Up Nations qui débouchent tous sur le constat plus ou moins assumé que la démocratie libérale telle qu’elle fut conçue au dix-huitième siècle en Europe a vécu, et qu’une nouvelle ère est arrivée.
Incontestablement, ce discours correspond au credo d’une certaine élite qui tient le monde. Après l’échec du referendum sur le projet de constitution européenne, et plus encore après le Brexit, les élites mondialisées ont nourri un sentiment de dépit grandissant vis-à-vis du suffrage universel. Au fond, faire voter tout le monde, c’est aussi donner la parole aux idiots, aux crétins, aux réfractaires, aux populistes, aux nationalistes, aux petites gens incapables de comprendre le destin de la planète. Alors que les élites contemporaines sont toutes issues de la démocratie libérale, elles se sont surprises à la mépriser toujours un peu plus au fil des années, et surtout à s’en méfier jusqu’à vouloir la court-circuiter. Il s’agit là d’une tendance longue constitutive de notre époque. Progressivement, sans qu’on n’y prenne garde, à force de voir la tenace obstination des peuples à défendre leurs Etats-nations, les élites ont vu dans le multilatéralisme une voie commode pour gouverner sans partage et sans avoir à composer avec la volonté populaire.
Cette soupe-là, l’éloge du multilatéralisme, Schwab et Malleret la servent d’autant plus volontiers aux puissants qu’eux-mêmes se sont enrichis grâce à elle et ses présupposés. Le Forum de Davos ne fonctionne en effet pas autrement qu’une instance multilatérale, non-gouvernementale, certes, mais si ressemblante à l’original qu’on s’y méprendrait. Comme les organisations multilatérales, le Forum économique mondial dispose de ses « sherpas », les technocrates qui rédigent les textes et font les agendas, de ses comités techniques sectoriels qui déclinent précisément les projets, de ses séances plénières où de grandes figues symboliques viennent prononcer un discours qui ressemble à une homélie, et viennent valider des décisions préparées ailleurs. Toute cette « comitologie », comme on dit à Bruxelles, sert à forger un « mainstream », c’est-à-dire une vision commune sur les grands objectifs, sur les grands axes de réflexion, sur les orientations principales, dont chaque adhérent, chaque participant aura d’autant plus à cœur de les mener à bien, au besoin en les amendant ou les sur-transposant, qu’il est laissé libre d’agir ou non.
Ici s’exprime le principe si efficace de l’émulation : parce que personne n’y est obligé, chacun veut montrer qu’il peut plus que l’autre, qu’il est plus enjoué, enthousiaste, déterminé que son voisin. Faute d’obligation, le processus fonctionne par adhésion et par intérêt personnel. Les familiers des discours d’Emmanuel Macron savent quel dégât ce genre de cécité idéologique peut causer dès lors qu’il s’agit d’instrumentaliser une cause collective pour en tirer des bénéfices locaux plus ou moins variés.
In fine, Schwab et Malleret se contentent donc de transposer à une échelle mondiale ce dont ils sont bercés depuis qu’ils sont enfants, et ce dont ils profitent à titre individuel : le remplacement de la volonté démocratique par un gloubi-boulga multilatéral, fait de conciliabules, d’instances techniques byzantines, de technostructure où plus personne n’est capable de prendre une décision simple et claire. Bref, leur dispositif donne le pouvoir aux techniciens, aux spécialistes, aux experts, au détriment du citoyen ordinaire qui vote par oui ou par non.
Le multilatéralisme consacre le règne de l’entre-deux, du tiède, du compliqué, là où la démocratie privilégie, in fine, la clarté du vote plébiscitaire.
Cette vision-là fabrique-t-elle un nouvel ordre mondial ? Certainement pas au sens où l’entendent les « complotistes » qui se réduirait à une table ronde de douze chevaliers qui enrégimenteraient secrètement la planète. Mais à coup sûr elle cherche à remplacer la démocratie par une comitologie opaque où plus personne ne sait exactement qui a décidé de quoi, ce qui est la porte ouverte à tous les débordements.
La fin programmée de l’Etat-nation
Là où les complotistes peuvent à bon droit dénoncer les arrière-pensées du Great Reset, c’est dans ce projet assumé par Schwab et Malleret de remplacer les Etats-Nations, par des entités régionales du même type que l’Union Européenne. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de voir qu’au moment même où un Donald Trump a largement ébranlé le multilatéralisme onusien, à un moment où la Grande-Bretagne a douloureusement quitté l’Union Européenne au terme d’un bras de fer de plusieurs années, deux gourous franco-allemands se font les apôtres d’un système que les plus libéraux combattent.
Des défauts que Schwab et Malleret trouvent à l’Etat-nation, on en connaît l’essentiel : rétrograde, protectionniste, frileux, rétif au progrès, l’Etat-nation incarne une sorte de mal absolu pour tous les adeptes de la culture mondialisée. S’il n’est pas possible, en l’état actuel des choses, d’imaginer une gouvernance mondiale unifiée comme dans les films de science-fiction (de la Guerre des Etoiles au Cinquième Elément), en revanche, il est possible d’imaginer des coagulations d’Etats sur le modèle de l’Union Européenne. Ce triomphe suprême du multilatéralisme apparaît aux promoteurs de Davos comme la solution optimale pour débarrasser la planète du prurit nationaliste ou patriotique.
De ce point de vue, le Great Reset ne se contente pas de dresser l’éloge du multilatéralisme, il préconise une voie opératoire à suivre pour préserver un modèle de profit sans recourir au protectionnisme. Ce modèle consiste à créer des blocs régionaux, des marchés uniques à l’échelle de plusieurs pays, voire de plusieurs régions.
Cette logique a beaucoup inspiré la Commission Européenne (qui apparaît souvent comme une enfant de Davos), et ses multiples traités de libre-échange : avec l’Amérique du Sud, le Canada, les Etats-Unis, la Chine… La liste est longue de ces tentatives de faire tomber les barrières douanières région par région. Mais la Chine elle-même semble très proactive sur ce nouveau paradigme des relations internationales. On pourrait même voir dans le projet de « Nouvelles Routes de la Soie » porté par les Chinois l’extension pour ainsi dire parfaite du modèle de Schwab et Malleret.
Nous y reviendrons plus longuement, mais il faut sans doute s’appesantir ici sur la formalisation théorique de cette idée d’entités régionales multinationales appelées à remplacer les Etats-nations. Selon Schwab et Malleret, il s’agit d’une dérivée du trilemme de Dani Rodrik. Ce philosophe politique soutient en effet que, dans le monde contemporain, il n’est pas possible de faire coexister la démocratie, la mondialisation et l’Etat-nation. Autrement dit, un Etat-nation qui joue le jeu de la mondialisation ne peut être démocratique. Et une démocratie qui joue le jeu de la mondialisation ne peut rester enfermée dans les frontières de l’Etat-nation.
Les Européens ont commencé à éprouver la pertinence relative de ce trilemme. L’intégration des Etats-nations d’Europe au jeu mondialisé provoque des secousses : certains choisissent de perdre leur souveraineté (c’est le cas des pays d’Europe de l’Ouest qui adhèrent à l’idéologie européenne), d’autres tendent à devenir illibéraux pour garder leur souveraineté. C’est en partie le cas de la Hongrie et de la Pologne, qui, chacun à leur manière, préfèrent garder leur identité au détriment d’une forme d’Etat de droit.
Certes, cette vision très logique appelle de nombreuses nuances et rien ne dit qu’elle sera éprouvée et étayée dans la durée. Néanmoins, on sent bien collectivement que les vieux Etats-nations apparus au XIXè siècle peinent à endurer l’épreuve du libre-échange et du développement du commerce régional. On sent bien aussi que leur maintien en vie passe, d’une façon ou d’une autre, par la restauration de frontières, de tarifs douaniers, qui sont à l’orthogonale avec les chaînes de profit aujourd’hui. C’est particulièrement vrai pour les grandes entreprises qui ont construit parfois de véritables empires à l‘échelle d’un continent. Leur modèle serait rapidement remis en cause si les frontières revenaient en Europe.
Toute la difficulté tient évidemment au fait que l’Etat-nation vient d’en bas et que le multilatéralisme vient d’en-haut. Les Allemands sentent instantanément que leur capitale est à Berlin, les Autrichiens à Vienne, les Danois à Copenhague, et les Hongrois à Budapest. Il y a là un attachement affectif profond et façonné par l’histoire. Très peu d’entre eux peuvent se reconnaître dans une entité multilatérale abstraite dont la capitale serait Bruxelles. Et pourtant, Bruxelles fut capitale de l’empire de Charles Quint, qui réunissait le Luxembourg, l’Autriche, l’Espagne, les Pays-Bas et une partie de l’Italie.
Pour que la carte d’Europe soit refaçonnée par une disparition des Etats-nations, il faut donc une violence venue d’en-haut, faite par les élites aux petits peuples, pour modifier le cours de leur histoire. Ce genre de phénomène n’est pas impossible, et l’on peut considérer que la France donne cet exemple même d’une Gaule (territoire mal défini) transformée en un Etat nouveau, avec une capitale venue de nulle part, appelée Paris, sous l’effet d’une noblesse étrangère, les Francs. Mais il a fallu plus de dix siècles pour achever ce processus, et de nombreuses guerres, répressions, écrasements de révoltes… L’illusion du Great Reset est de croire qu’en quelques années et sans coup férir, les Allemands pourraient accepter que Bruxelles remplace Berlin, quand les Bavarois en sont encore à considérer que Munich est leur véritable capitale.
Dans la volonté d’accélérer l’histoire pour la rendre mieux adaptée à la révolution numérique, Schwab et Malleret endosse donc discrètement une véritable violence qui serait faite aux peuples en les dépossédant ouvertement de la souveraineté qu’ils ont parfois chèrement acquise au cours des décennies.
Le ralliement de la bourgeoisie mondialisée à l’Etat autoritaire
Il nous semble que nous touchons ici à une pierre angulaire du projet porté par le Great Reset, celui du ralliement des élites mondialisées à une gouvernance autoritaire, très peu respectueuse des droits de l’homme, notamment du droit à la vie privée.
Nous invitons les lecteurs à se reporter aux différents chapitres qui détaillent ces points pour en saisir le détail que nous synthétisons ici autour de la conviction que Schwab et Malleret portent d’un nécessaire épisode autoritaire pour changer les habitudes individuelles et les organisations sociales.
Comme dans l’ensemble du Great Reset, ce remplacement de la démocratie par ce qui ressemble beaucoup à des dictatures autoritaires est justifié au nom de la santé publique. Pour lutter contre la pandémie et éviter les troubles sociaux nés du chômage de masse que le confinement crée, Schwab et Malleret valident l’émergence d’Etats forts, qui interviendraient massivement dans la vie économique et auraient l’autorité pour prendre les mesures sanitaires qui s’imposent. Dans ces mesures, on citera en priorité la surveillance généralisée des citoyens et de leurs mouvements, avec des moyens numériques qui laissent peu de place à l’amateurisme.
Pour Schwab et Malleret, le bon système de surveillance est donné par Singapour plutôt que par la Chine. Selon eux, Singapour protège mieux les libertés que le gouvernement chinois. Mais si l’on se réfère aux prévisions économiques des deux auteurs, on est pris d’un doute. Le Great Reset est en effet indissociable d’une affirmation forte de l’Etat sur le plan économique, d’un encadrement du marché par des réglementations contraignantes et d’une redistribution des richesses par une pression fiscale assumée. Dans cet univers où le capitalisme devient indissociable de l’Etat et de son action, où le profit repose sur une intervention musclée de la police (fût-elle sanitaire) sommes-nous encore loin du modèle chinois ?
La question se pose avec d’autant plus d’acuité que la volonté du Great Reset est bien celle de changer la vie des gens ordinaires. Il faudrait instaurer une économie circulaire (c’est-à-dire de recyclage), pour briser le modèle de consumérisme capitalistique. Il faudrait redistribuer massivement les richesses pour éviter les troubles. Il faudrait dissuader sans mollir Monsieur Toulemonde de prendre l’avion pour partir en vacances, ou de prendre la voiture pour aller skier.
Tous ces changements seraient évidemment imposés plus ou moins directement, et c’est pour cette raison que les promoteurs du Great Reset voient dans la pandémie une opportunité. Au nom de la lutte contre le virus, bien des mesures inacceptables en temps ordinaires pour changer les modes de vie deviennent possibles.
On comprend ici l’étape suivante : plus l’état d’urgence dure, plus l’épidémie traîne en longueur, meilleur seront les impacts du confinement. Plus le temps passe, et plus le retour en arrière sera impossible. Schwab et Malleret n’hésitent d’ailleurs pas à écrire ouvertement que les dirigeants les plus éclairés seront ceux qui font durer l’urgence sanitaire pour obtenir d’autres bénéfices sociétaux que la simple éradication du virus.
D’ici là, on retiendra que les adeptes du Forum de Davos, grands bénéficiaires du profit capitaliste s’il en est, ne cachent plus leurs émotions pour un modèle étatiste autoritaire où le profit privé s’appuie sur des politiques publiques liberticides. Cette fascination plus ou moins avouée pour le modèle chinois en dit long sur la détresse des élites face à la baisse tendancielle des taux de profit.
Great Reset, écologie et disparition de l’humanisme
On pourrait s’étonner de voir deux influenceurs internationaux, mondialisés, attacher autant d’importance à une épidémie qui a beaucoup moins tué que la grippe espagnole, la variole, ou encore le tuberculose. Si les auteurs du Great Reset jouent une sorte de va-tout sur cette maladie au fond assez peu létale, c’est parce qu’elle cache un autre projet, avec lequel elle pourrait se confondre : la lutte contre le réchauffement climatique. Et l’on comprend assez rapidement que, dans l’esprit de Schwab et Malleret, la lutte contre la pandémie est un moyen détourné de promouvoir la transition écologique dont ils estiment que le monde a besoin pour éviter la disparition.
Sur la question de l’écologie, le Great Reset a son programme déjà arrêté : on arrête les déplacements à tout-va, on limite la consommation et on devient tous écologistes. Ce projet suppose que les humains se convertissent désormais au recyclage, au progrès technologique, aux mobilités douces, et qu’ils cessent d’avoir le nez rivé sur le compteur de la croissance du produit intérieur brut.
C’est en réalité ce projet-là que le Great Reset porte, assorti de quelques considérations étonnantes sur ce qu’est l’humanité. En creux, ce qui se dessine, c’est une anthropologie écologiste et hygiéniste qui pose question sur ses racines intellectuelles.
Le Great Reset a d’ailleurs le mérite de jouer cartes sur table. L’époque de l’humanisme est finie et le projet écologique qui nous est proposé est aussi un projet hostile à l’humanisme, au sens où l’homme serait au centre de la création. Schwab et Malleret rejoignent les expressions émotionnelles de Greta Thunberg pour expliquer que l’homme est un animal comme les autres et qu’il doit apprendre à limiter les dégâts qu’il cause aux autres espèces. Foin, ici, de la supériorité de l’homme sur le règne animal par la rationalité, le langage et autres convictions héritées de la pensée moderne.
Désormais, l’homme se réduit à être une boule d’émotions dont l’horizon fondamental n’est plus le salut, mais seulement le bien-être psychologique. Ce qui peut se passer après sa mort n’intéresse plus personne. L’enjeu est seulement de vivre bien, sans question, sans inquiétude, sans perturbation. Au fond, l’écologie selon Schwab et Malleret est un projet d’opiomane : il faut revenir à une sorte d’état anesthésié où la raison, le sens, n’agiraient plus. Il faut simplement accueillir la vie telle qu’elle est et ne plus se poser de question.
A leur insu peut-être, Schwab et Malleret distillent donc un projet profondément hostile à l’humanisme. Ils montrent ainsi comment les élites mondialisées ne croient plus en l’homme, et l’ont définitivement échangé contre une préservation éphémère de leurs profits.
Prédictions ou influence idéologique
Certains auront sans doute froid dans le dos en lisant cet ouvrage qui ressemble au énième projet « d’homme nouveau » dont l’histoire a eu le secret. Dans la lignée des idéologies totalitaires qui, de Lénine à Pol Pot, ont cru pouvoir changer l’homme par des décisions politiques, Schwab et Malleret prennent le relais de la grande utopie verticale et autoritaire.
En ce sens, on dira que le Great Reset est un projet du vingtième siècle perdu au siècle suivant.
Nous tenons à cette formulation particulière car il existe deux lectures possibles du Great Reset.
La première lecture repose sur l’idée que Schwab et Malleret seraient des sortes de Nostradamus qui prédiraient l’avenir. Ce qu’on lit dans leur livre aurait donc toute chance d’arriver, notamment parce que le Forum de Davos serait une sorte de gouvernement caché qui imposerait sa vision au reste du monde. Cette lecture est très pessimiste, dans la mesure où elle prend acte de façon quasi-irréversible de nos libertés, et qu’elle laisse à penser que les élites ont tout loisir de faire de nos sociétés ce qu’elles entendent en faire.
Une autre lecture, que nous préférons, est beaucoup plus engageante. Elle détecte dans le Great Reset la grande angoisse des élites capitalistes installées face à un changement de modèle où les citoyens les plus modestes ont la faculté de se fédérer grâce aux réseaux sociaux et à Internet. Ce changement de modèle change les sources de profit et les rapports de force. D’une part, ce qui faisait la valeur hier ne le fera plus demain, notamment parce qu’un modèle de consommation affinitaire, beaucoup plus sobre, devrait succéder à l’idéologie de l’hypermarché. D’autre part, des groupes de citoyens ont la faculté de s’organiser de façon agile pour imposer des décisions dont les élus ne veulent pas. L’affaire des Gilets Jaunes en France en a donné l’exemple.
Face à ces mutations profondes, la panique est évidente, et le Great Reset est une tentative autoritaire pour sauver des meubles qui sont, de notre point de vue, déjà perdus. L’ouvrage de Schwab et Malleret n’est donc pas une prédiction, mais une imprécation.
Est-ce à dire qu’il n’a pas d’avenir ?
Il est impossible de le savoir aujourd’hui, mais une chose est désormais claire : il existe deux projets concurrents pour notre avenir. L’un, formulé par le Great Reset, propose une réaction élitaire pour reprendre le contrôle de l’histoire et enrégimenter les peuples. L’autre, venu du sol, horizontal, consiste à laisser faire et à laisser les peuples libres d’agir avec les outils qui leur sont donnés.
Le décor est posé. Reste à savoir qui sortira vivant de la tragédie qui s’annonce.
Pas une dictature mondiale ? Ça marche comme un canard, ça fait le bruit d’un canard, alors ça doit être un canard.
Un grand merci pour cet article fouillé et complet qui résonne fortement avec ce que j’étudie. Utile pour ne pas trop s’y perdre.
Au passage, au sujet de Singapour, peut-être le savez-vous, le prochain forum de Davos est prévu à Singapour du 13 au 16 mai 2021.
Mon propos est le suivant :
Cet article est bien en rapport avec ce qu’annonçait dans un entretien Gaël Giraud, financier et banquier, ancien chef économiste de l’Agence française pour le Développement. Gaël Giraud, matheux titré, est un ancien trader, a exercé des fonctions financières d’importance, il est une source très documentée et fiable d’informations financières et bancaires. (1)
Donc il y a environ deux ans, Gaël Giraud eut une rencontre quelque part en Angleterre avec des sommités ultra- « selects » de la City de Londres qu’il rapporte dans un entretien. Il posa en substance à ces sommités bancaires de la City la question suivante :
« quels sont vos projets pour un passage à l’énergie verte ? »
Réponse des banquiers de la City :
« Rien pour le moment (c’était en 2017 ou 2018), nous allons d’abord laisser faire les chinois, leur système politique permet d’entreprendre assez rapidement ce changement. Nous verrons, on pourrait s’en inspirer ».
L’écho de cet entretien rapporté par Gaël Giraud corrobore avec le fait que l’ « élite » occidentale serait en train de s’inspirer du système chinois pour fliquer les gens, conforter sa suprématie par la technologie en développement constant, chercher à en finir avec ce qu’on appelle la classe moyenne et faire chanter comme jamais le reste des autres gens par l’obtention, ou non, de la monnaie alors numérique … La numérisation de la monnaie est l’un des – éléments principaux risquant au plus haut point de faire tomber partout sur les sociétés la chappe de la surveillance généralisée avec policiers électroniques invisibles et le filtrage en conséquence… Je ne parle même pas du chantage sanitaire qui serait à la source de cette « situation » sur laquelle planchent les « élites »…
(1) né en 1970, Gaël Giraud est prêtre catholique jésuite, et il est le fils de l’économiste Pierre-Noël Giraud, né en 1949, ingénieur du corps des mines et fut professeur d’économie à l’université de Paris-Dauphine.
On peut aussi voir cette intervention du 22 décembre 2020 de 48 minutes avec Madame Catherine Austin Fitts, américaine, éditrice du rapport Solari, ancienne banquière où elle explique la technocratie qui se met en place en Chine. Une technocratie dont nous pouvons voir que le « passeport sanitaire » en Europe servirait les intérêts, au détriment de notre liberté, car comme le dit Mme Austin Fitts :
« Monsieur ‘Global’ a une très grande pétoche de la rue … »
lien en anglais : Truth Matters YoutTube
Ci-dessous le lien de l’Intervention de 48 minutes 35 secondes (du 22 décembre 2020) traduite en français
Catherine Austin Fitts: Une des plus remarquable analyse du hold-up mondial. – YouTube
GG, Gaël Giraud n’est pas pour autant contre la liberté d’expression, ni contre la démocratie. Il donne partout, y compris dans les milieux d’éducation populaire, des conférences débats ouverts. Il a le soucis et la nécessité de de s’occuper et d’aider les personnes, dont les pauvres ou celles qui sont dans la misère. GG reste profondément un humaniste écologique. Non?
Bonjour et merci pour cet article très éclairant qui aide vraiment à y voir plus clair !
Cependant, n’y a-t-il pas une coquille dans cette phrase: « Cette lecture est très pessimiste, dans la mesure où elle prend acte de façon quasi-irréversible de nos libertés. »
Il y manque quelque chose comme « de la disparition », non?
probable oui