Les enseignants sont décidément très bien organisés collectivement. Alors que la performance globale de leur profession, à en juger par le classement PISA ou Shangai, reste très médiocre, ils obtiennent augmentations de salaires sur augmentations de salaires. Après les mesures Jospin du début des années 90, qui avaient augmenté les salaires (notamment dans l’enseignement primaire) sans aucune contrepartie en termes de productivité ou d’efficacité, une loi Blanquer devrait, là aussi sans la moindre contrepartie, revaloriser largement les salaires pour compenser la réforme des retraites. Cette mesure d’environ 10 milliards d’euros sera bien évidemment financée par les salariés du secteur privé, qui verront pour leur part leur retraite calculée sur la base de toute leur carrière au lieu des vingt-cinq meilleures années. Une fois de plus, réformer les retraites coûtera beaucoup plus cher que les non-retraites, et les inégalités de traitement s’accroîtront.
Avec son million de salariés et sa co-gestion syndicale, le corps enseignant fait peur aux gouvernements qui se succèdent. Alors que le niveau scolaire en France, comparé aux autres pays industrialisés, reste très médiocre, l’armée des professeurs, aussi nombreuse en son temps que l’Armée Rouge, obtient sans cesse de nouveaux avantages grâce à un argumentaire bien huilé, et fabriqué de toutes pièces, sur son prétendu faible niveau de rémunération, qui ne prend jamais en compte ni les primes, ni le temps de service hebdomadaire, ni le temps de service annuel. La réforme des retraites, qui prend l’eau de toutes parts, en donne un nouvel exemple.
Une concertation dans l’urgence ouverte le 13 décembre
Après le désastreux discours d’Edouard Philippe mercredi, qui a jeté de l’huile sur le feu avec une maestria rarement connue sous la Cinquième République, Jean-Michel Blanquer s’est empressé d’ouvrir une concertation ce vendredi avec les syndicats enseignants pour désamorcer la grenade prête à exploser. Alors que le même exercice à la RATP et à la SNCF s’est terminé par un claquement de portes, le ministre de l’Education peut se targuer d’avoir ferré les poissons qu’il avait à ferrer.
En effet, les syndicats qui ont participé à cette concertation ont majoritairement marqué un attentisme fort, mais plutôt bienveillant et satisfait. Il faut dire que la promesse faite par le Premier Ministre de garantir coûte-que-coûte leur niveau de pensions n’est pas tombée dans l’oreille de sourds et devrait germer dans beaucoup d’esprits. Ces grands donneurs de leçons en matière de solidarité que sont les enseignants devraient assez facilement se laisser convaincre de lâcher le combat collectif pour empocher des dividendes aussi facilement récoltés.
L’enjeu est de taille : les enseignants sont ceux qui ont, dans la fonction publique, le plus à perdre à la réforme, puisqu’ils sont ceux qui ont le moins de primes, au moins parmi les catégories d’encadrement. Le passage à un calcul sur la totalité de la carrière au lieu des six derniers mois de salaires devrait donc faire fortement baisser leurs retraites là où d’autres profiteront de l’intégration des primes dans le calcul du revenu du remplacement pour doper le montant final perçu.
Une loi de programmation en même temps que la réforme
L’UNSA était hier soir le seul syndicat à avoir dressé un compte-rendu de la réunion avec le ministre. On en retiendra les passages les plus éclairants :
Nous avons obtenu que l’effort budgétaire important soit traduit dans une loi de programmation. Nous avons également obtenu le resserrement du calendrier de négociation. Elle aura lieu en même temps que la discussion au Parlement de la loi sur la réforme des retraites.
Les mesures concerneront davantage les enseignants, personnels d’éducation, psychologues de l’Éducation impactés, de la génération 75 aux nouveaux entrants, mais concerneront aussi les autres. Les premières mesures de revalorisation entreront en vigueur dès 2021.
La fédération a rappelé que tous les personnels de l’Education nationale sont concernés par la réforme des retraites et doivent obtenir des garanties.
Nous avons posé nos exigences pour le cadre et la méthode de travail. Si les discussions sont prévues jusqu’à l’été 2020, nous voulons des étapes intermédiaires avec de premières prises de décisions. Nous avons réaffirmé que les discussions métiers ne peuvent pas se faire dans le cadre de ces négociations.
Autrement dit, tous les personnels, y compris les administratifs, devraient bénéficier de la mesure, alors même que ces administratifs sont largement dotés en primes. A quelque chose, malheur est bon ! Dès l’été 2020, on y verra plus clair sur des mesures salariales qui commenceront à faire effet en 2021, soit quatre ans avant l’entrée en vigueur de la réforme des retraites.
Le coût exorbitant de la réforme des retraites
Autrement dit, la réforme Macron, dite réforme systémique, aura un premier effet : la dérive des comptes publics et d’importantes revalorisations salariales pour les fonctionnaires sans aucune contrepartie en termes de productivité ou d’efficacité. Gageons que, dans trois ans, dans six ans, les résultats des élèves français aux tests Pisa seront toujours aussi navrants.
Mais les enseignants auraient bien tort de s’impliquer plus dans l’éducation des enfants que les parents leur confient : ils bénéficient d’augmentations de salaire quasi-automatiques, sans que leur employeur ne leur demande aucun compte. Pourquoi se priver d’une telle joie ?
Le statut des enseignants est un véritable scandale financier et cela depuis des décennies. C’est un état dans l’état avec son million de personnes à qui on ne peut rien demander ni efforts ni efficacité en terme de résultat.
Mais l’histoire montre que des bastions peuvent s’écrouler. Peut-être un jour la privatisation de l’école et de l’enseignement Supérieur !
Bonjour,
je suis un peu surpris par cet article. Lecteur régulier de vos articles et de votre livre sur la sécu, j’y trouve quelques erreurs. Tout d’abord, les autres syndicats ne risquent pas de faire de compte-rendus puisqu’ils seront reçus lundi ou mardi. L’unsa, très implantée et favorable à l’administration est reçu en premier pour créer une brèche dans l’unité syndicale. C’est de bonne guerre mais il ne faut pas être dupe.
Ensuite vous semblez contester le faible niveau de rémunération des enseignants. Pourtant, les rapports de l’OCDE s’entassent et le constat a été partagé par l’actuel ministre. De même que le premier ministre a reconnu lui-même que les enseignants seraient les grands perdants de cette réforme. Il est normal qu’ils ne veuillent pas être les dindons de la farce, étant déjà les moins payés des cadres A, 30 à 35 % de moins que les autres cadres A, chiffre de la cour des comptes.
Vous évoquez le temps de travail. Certes les enseignants ont plus de vacances mais les rapports de la DEPP ont déjà montré également qu’ils travaillent en moyenne autour de 42-44 heures par semaine et n’ont pas été revalorisé depuis longtemps.
Enfin, plus important. Vous évoquez, à raison, des résultats médiocres à PISA (et à toutes les études internationales, aucuns doutes à ce sujet). Mais vous semblez penser que la seule cause concerne le temps de travail, bref, la productivité. Et donc, raisonnement économique, augmentons cette productivité pour améliorer les résultats. Pourtant, des pays avec autant de vacances et moins d’heurs de cours à assurer obtiennent des résultats supérieurs à la France. Comment l’expliquez ?
Vous ignorez ou méconnaissez l’aspect méthodes et formation de la profession. Or, avec la formation actuelle, les méthodes imposées aux enseignants et la culture du secret et l’absence de soutien de la hiérarchie face à la violence, on ne peut obtenir que des résultats médiocres. On peut multiplier les exemples, méthodes de lecture, maths modernes, diminution drastiques des horaires de français et de maths, qui ont des conséquences catastrophiques pour le niveau des élèves. Cet aspect est rarement explicité, et toujours sous-estimé.
A rebours de ce que beaucoup de français croient, tous les enseignants ne sont pas des marxistes travaillant à détruire le système de l’intérieur. Au contraire, le vote enseignant, au moins depuis 2007 a beaucoup changé. Et beaucoup d’enseignants et certains syndicats alertent et prêchent dans le désert sur les dysfonctionnements internes. En pure perte. La rue de Grenelle publie trois circulaires par jour et pense qu’un bon arrêté suffit à faire fonctionner les choses. Des personnels compétents qui s’échinent en vain face au moloch administratif il y en a pléthore. Ils s’épuisent et songent de plus en plus à quitter le navire. Le nombre de candidats aux concours baissent continuellement depuis 15 ans.
Il y a tout un pan des dysfonctionnements de ce métier que tous s’évertuent à ne pas voir. C’est dramatique aussi bien pour les enseignants et les élèves que pour l’avenir du pays. Mais si l’on ne fait pas le bon diagnostic, on ne résoudra rien. Les enseignants lucides s’alarment, à juste titre, de voir toujours mis en avant certains problèmes et de voir l’omerta sur ce les principales causes de l’échec de l’Institution.
Je suis prêt à parier qu’une réponse seulement économique ne résoudra rien et au contraire fera chuter encore plus les résultats français aux tests internationaux.
Cordialement,
Au plaisir de vous lire.
Bien parlé Philippe,l’auteur de cet article tire à boulets rouges sur le monde enseignant mais, lui en déplaise, il fait fausse route.Serait-il/elle à la solde du pouvoir? Tout ne se résume pas à des statistiques PISA et des chiffres.A c e titre le coût exorbitant des retraites ne sera pas le fait des enseignant-te-s.Il faut regarder ailleurs