Malgré toutes les promesses et toutes les annonces triomphales, le Conseil Européen n’a toujours pas trouvé d’accord sur un plan de relance économique. Hier soir, il s’est terminé sur la promesse qu’un accord interviendrait un jour. Mais ses contours se font toujours attendre. Ce retard à l’allumage pourrait bien causer la perte de l’Union et, à court terme, de la zone euro.
La cour de Byzance n’aurait pas fait mieux : le Conseil Européen a encore palabré hier pendant des heures, sans aboutir au moindre accord. En dehors des quelques formules creuses rebattues depuis des semaines, le grand plan de relance qui devrait inonder l’Europe avec des flots d’euros est toujours en cale sèche.
Énième échec du Conseil Européen
On se souvient, il y a quelques jours (le 9 mars exactement), que Bruno Le Maire était sorti d’un Eurogroupe (le conseil des ministres des finances de la zone) en saluant un “excellent accord” à 500 milliards € (somme bien inférieure à l’helicopter money américain). Patatras ! deux semaines plus tard, l’accord est toujours au stade fumeux de projet à négocié.
Hier soir, les ministres se sont quittés sur une vague promesse dont Angela Merkel a expliqué les limites dans un discours de vérité qui l’honore :
“Nous n’étions pas toujours d’accord, par exemple pour déterminer si cela devait se faire sous forme de subventions ou de prêts, ou sur les modalité de mise en œuvre, mais nous avons tous convenu que ce fonds de relance devait être étroitement lié au prochain financement à moyen terme”
Si l’affaire patine, le montant de la somme à débloquer “à moyen terme” avoisinerait désormais les 1.000 milliards €. Tout n’est donc pas perdu.
Les Bataves font de la résistance
Le fond de ces blocages est bien connu : il tient au degré d’intégration européenne que les États membres sont capables d’accepter. Schématiquement, la France rêve d’une logique impériale avec un appareil d’État plus ou moins unifié, quand l’Allemagne et son groupe d’influence se satisfont très bien d’une marché unique structuré autour d’une zone monétaire stable.
Les pays qui ont consenti à de véritables efforts pour assainir leurs finances publiques, comme les Pays-Bas, sont debout sur le frein pour éviter une intégration qui conduirait à subventionner le sud de l’Europe par une ponction sur les ressources du nord. Officiellement, l’Allemagne s’est désolidarisée de cette position, mais cultive néanmoins un flou artistique sur ces questions.
Les risques financiers de cette indécision
Pour l’ensemble du continent, l’incapacité des Européens à se mettre d’accord sur une riposte concertée à la crise qui frappe devient une source croissante d’inquiétude. Faute d’une réponse budgétaire actée par les gouvernements, l’Union se contente aujourd’hui d’une riposte monétaire à la main de la BCE.
En l’espèce, Christine Lagarde décide d’acheter des actifs pourris (des “junk bonds”) pour éviter la catastrophe, c’est-à-dire des faillites systémiques.
Mais la BCE a déjà pris beaucoup de risques en terme de respect de ses propres statuts: elle a commencé à acheter des titres souverains qui ne bénéficient pas d’une note en catégorie d’investissement, elle accepte des titres “junk” en garantie et elle s’autorise à enfreindre la règle selon laquelle elle ne doit pas acheter plus du tiers de la dette publique d’un pays.
La prochaine étape, pour le Conseil des gouverneurs, consistera probablement à augmenter encore les achats de titres sur les marchés, ou à accroître la part des “junk bonds” dans ceux-ci.
Cette stratégie est hautement risquée, dans la mesure où le bilan de la Banque Centrale Européenne est en train de se saturer de créances douteuses. En cas de défaut, les pays de la zone euro n’auront plus de prêteur en dernier ressort pour les sauver, et la BCE deviendra totalement impuissante à réagir.
Autrement dit, Christine Lagarde mène une stratégie de fuite en avant.
Attention au risque de défaut européen
Déjà, en 2008… la contamination des bilans des banques centrales par des actifs toxiques avait fait polémique. On fera les comptes en fin 2020. Mais rien n’exclut qu’une comptabilité macabre ne soit à reprendre et à déplorer dans les mêmes termes cette année.
Les énormes conséquences financières qui résulteront de la crise sanitaire devraient inciter
à sortir des gadgets financiers et à remettre en cause le financement des dettes souveraines
par les marchés.
La situation actuelle qui se caractérise par un financement de la BCE quasiment gratuit
tout en laissant aux marchés la possibilité suivant les états d’exiger des taux d’intérêts plus
ou moins élevés, traduisant en fait une subvention à la sphère financière qui ne dit pas son nom
et incitant à une spéculation de plus ou moins d’ampleur en cas de difficultés.
L’action de la BCE consiste aujourd’hui à acheter des dettes sur le marché secondaire, sans
que des éléments d’information soient vraiment communiqués à l’opinion publique si celle-ci
achète à un prix plus élevé que la valeur boursière si celle ci est inférieure à la valeur nominale
et à qui ces gains ont finalement profité.
La sortie du système actuel devrait pouvoir se faire au moment de l’échéance des dettes
concernées pour ne pas perturber le système financier, traduisant le remplacement d’une dette
de marché en une dette au profit de la BCE, sans bien entendu créer une situation “d’open-bar”…
qui serait inacceptable et empêcherait toute mise en pratique, puisque celle-ci nécessite l’accord
unanime pour sortir le financement par les marchés des traités européens.
Les modalités pourraient être les suivantes :
– financement des états à taux zéro, mais avec un remboursement obligatoire du capital du à
la BCE par exemple de 2 % par an
– fixation d’un montant maximum pouvant être dû pour chaque état à la BCE qui pourrait être
l’en cours de dette souveraine existant au moment de l’accord
– limitation de la possibilité de financement complémentaire des marchés par exemple 1 ou 2% du PIB
de l’état concerné
Le passage des dettes à la BCE serait donc graduel au fur et à mesure des échéances fixées à
l’origine, donc s’étalant probablement sur une durée de cinq à dix ans.
Le schéma permet de financer les conséquences de la crise sanitaire sans pour autant générer de
nouveaux emprunts, qui créeraient de nouveaux facteurs de risque pour les économies les plus fragiles,
mais facilitant au contraire pour l’absence d’intérêts le retour progressif pour elles à une situation
saine de leurs finances.
Et si on est optimiste, il est permis de penser qu’au moins une partie de ce qui ne sera plus investi
pour le financement des dettes souveraines européennes, permettra de financer plus fortement
les besoins de l’économie traditionnelle et ses transformations.