La réforme des retraites est devenue l'un des sujets d'affrontement majeur entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, l'une accusant l'autre de brutalité sociale, et l'autre annonçant que l'une va ruiner le pays. Pourtant, les deux projets sont sur le fond assez proches, et ne méritent certainement pas cette diabolisation, dans un sens comme dans l'autre.
La réforme des retraites est le sujet paradoxal par excellence. D’un côté, tout le monde entend bien la percevoir un jour, si possible très tôt et pour un montant très élevé. D’un autre côté, les détails techniques ennuient, lassent, et on préfère ne pas savoir comment on va parvenir à financer cette manne bien plus généreuse que la hotte du Père Noël.
Compte tenu de cette faible appétence du public pour le côté technique de l’affaire, on me pardonnera, j’espère, de synthétiser la comparaison entre la proposition Le Pen et la proposition Macron, pour montrer que ni l’une ni l’autre ne méritent la diabolisation dont elles font l’objet par chaque partie adverse.
La proposition Macron : un grand classique
Le programme d’Emmanuel Macron pour les retraites est globalement flou et émietté en plusieurs chapitres, ce qui rend sa compréhension panoramique un peu aléatoire.
On retiendra particulièrement cette proposition :
La proposition centrale est de relever l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans dès l’été 2022, c’est-à-dire dans un délai très court, ce qui produit une étrange polémique.
Rappelons qu’aujourd’hui, l’âge légal est de 62 ans.
Mais un point est très important : on ne peut partir à la retraite à cet âge-là que si et seulement si on dispose des “trimestres” de cotisations correspondants. Tous ceux qui veulent comprendre ce système peuvent retrouver les règles ici.
Si l’on n’a pas assez cotisé durant sa carrière, on peut sagement attendre 67 ans pour partir avec le taux plein (même sans avoir tous ses trimestres).
La réforme proposée par Macron consiste donc à interdire aux salariés de prendre leur retraite avec 65 ans, même s’ils disposent d’un nombre suffisant de trimestres.
En quoi c’est un grand classique
Cette proposition, même si elle choque beaucoup, est en réalité un grand classique du genre.
Les spécialistes du dossier savent en effet que la seule mesure qui dégage rapidement de la trésorerie pour rétablir les comptes d’un régime de retraite, c’est le relèvement de l’âge de départ. Plus ce relèvement est brutal, plus la trésorerie dégagée est importante.
L’explication du phénomène est simple : si l’on empêche ne serait-ce que 50% des effectifs de partir à l’âge escompté, c’est autant d’argent de moins à sortir pour leur verser une retraite…
Attention : la mécanique ne vaut que pour quelques mois, ou, au mieux, quelques années. Assez rapidement, l’effet s’estompe.
Socialement, il est évidemment compliqué d’expliquer à un chômeur de 60 ans qu’il ne pourra pas prendre sa retraite à 62 ans comme il le pouvait, mais qu’il doit passer trois ans de plus au chômage.
Il n’en reste pas moins que, face au déficit du régime actuel (près de 3 milliards en 2021), la stratégie d’Emmanuel Macron a une cohérence financière, à défaut d’être bien acceptée socialement.
Marine Le Pen : fantaisiste, mais pas trop
Accusée de vouloir porter des propositions ruineuses, Marine Le Pen annonce en réalité une réforme qui n’est pas si éloignée de ce que propose Emmanuel Macron :
Comme Macron, elle propose un dispositif spécial pour les accrières dites longues, avec un âge préférentiel de départ à la retraite. Pour les autres, elle ouvre la possibilité de partir à 62 ans, semble-t-il, mais avec des décotes, c’est-à-dire des minorations de la retraite.
Ce dispositif de décote a été mis en place par les partenaires sociaux pour l’AGIRC et l’ARRCO.
Ceux qui veulent partir à taux plein devront respecter les durées de cotisation nécessaires pour équilibrer le système.
Marine Le Pen se prive ici d’un levier pour améliorer immédiatement la trésorerie du régime (mais c’est en réalité l’assurance maladie qui souffre plus que la retraite). En revanche, dans la durée, sa proposition devrait produire des effets financiers similaires à la réforme Macron.
En réalité, en dehors du relèvement de l’âge légal de départ, Marine Le Pen et Emmanuel Macron ne divergent guère sur le fond de la réforme à mener.
Marine Le Pen peut se targuer d’avoir une ligne moins brutale que Macron, mais il est faux de l’accuser de laxisme. Les deux projets se ressemblent substantiellement.
La déception d’une sclérose systémique
Je rappelle ici ma position exposée dans mon livre Ne t’aide pas et l’Etat t’aidera (éditions du Rocher, 2015) : les Français n’ont jamais voulu d’un régime monopolistique de retraites. La meilleure preuve en a été donnée par Macron : son projet de régime universel unique par points a mis le pays dans la rue pour une grève historiquement longue.
Mieux vaut organiser, comme en Allemagne, une concurrence saine entre les régimes, ce qui suppose une réflexion sur l’achitecture des systèmes que ni Marine Le Pen ni Macron ne laissent espérer.
De ce point de vue, les différences entre les deux candidats sont relativement anecdotiques sur ce dossier.
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