Les politiques et les médias allemands manquent d'éthique et de piété. Au lieu de cela, ils revendiquent le droit à l'universalité avec leur concept de morale.
Zum Abschluss der Reise von @NancyFaeser und @hubertus_heil ein Treffen mit Vitali Klitschko pic.twitter.com/Er49I5SVrH
— Michael Stempfle (@mijoste) July 25, 2022
Une photo a suscité ces jours-ci l’émotion des Allemands sur les réseaux sociaux[1] : lors de leur visite à Kiev, Nancy Faeser, ministre fédérale de l’Intérieur et de la Patrie, et Hubertus Heil, ministre fédéral du Travail et des Affaires sociales, se sont fait montrer la ville dévastée par le maire Vitali Klitschko. La photo montre les hommes politiques avec l’ambassadrice d’Allemagne en Ukraine sur un balcon, tous les quatre tenant des flûtes de champagne à la main. La morale allemande contemporaine ne s’est pas fait attendre: on a parlé de « l’éloignement des socialistes de salon » jusqu’à « la décadence des bellicistes » [2].
L’Allemagne ne fait donc pas seulement la guerre à la Russie avec ses petits poings[3], mais aussi avec sa morale contemporaine et ses flûtes de champagne. Ses dirigeants – comme ceux d’autres pays « occidentaux » – deviennent les figurants d’une mise en scène décidée outre-Atlantique. Une photo, quelques cris moralisateurs – ensuite, on passe à l’ordre du jour. On ne pose plus de questions. Cela aussi fait partie de la mise en scène.
En tant que membre de la communauté culturelle et linguistique allemande, je pense que les politiques et les médias manquent d’éthique et de piété. C’est – avec de nombreuses autres causes – l’une des raisons de la culpabilité de l’Occident dans la guerre en Ukraine.
La morale allemande contemporaine
Lorsque j’ai vu la photo des flûtes à champagne sur le balcon à Kiev, j’ai pensé à Ernst Jünger. En tant qu’officier de l’armée allemande, Jünger a été longtemps stationné à Paris. Il décrit dans une courte note datée du 27 mai 1944 (Deuxième Journal de Paris) comment il contemple – depuis le toit du « Raphaël » – le bombardement de Paris par les Alliés. Il tient un verre de Bourgogne face au soleil couchant et compare la ville, dans son immense beauté, à un calice de fleurs survolé par l’escadron pour une « pollinisation mortelle » :
„Vom Dache des „Raphael“ sah ich zweimal in Richtung von Saint-Germain gewaltige Sprengwolken aufsteigen, während Geschwader in großer Höhe davonflogen. (…) Beim zweiten Mal, bei Sonnenuntergang, hielt ich ein Glas Burgunder, in dem Erdbeeren schwammen, in der Hand. Die Stadt mit ihren roten Türmen und Kuppeln lag in gewaltiger Schönheit, gleich einem Kelche, der zu tödlicher Befruchtung überflogen wird.“
Ce passage a été repris dans un documentaire allemand d’ARTE de 2019 (« Dans les tranchées de l’histoire. L’écrivain Ernst Jünger »)[4], pour en tirer la conclusion suivante sur le caractère de l’écrivain : « Je ne peux découvrir aucune éthique chez Jünger », estime par exemple l’historien Volker Weiß. La critique littéraire Iris Radisch trouve ces descriptions et d’autres tirées du Journal de Paris « monstrueuses dans leur absence de commisération, dans leur antihumanisme, dans leur attitude inhumaine ! »
La voilà de nouveau, la morale allemande contemporaine ! Elle ne se soucie pas du contexte et de l’arrière-plan (même pas dans le cas d’inscriptions minutieuses dans ce journal), mais s’arroge en même temps le droit à la validité universelle.
Jetons un coup d’œil sur les personnes impliquées : Iris Radisch (née en 1959) est une critique littéraire, rédactrice et auteure allemande. Elle écrit depuis 1990 pour l’hebdomadaire Die Zeit, dont elle dirige la rubrique culturelle depuis 2013. Volker Weiß (né en 1972) est un historien allemand et un journaliste indépendant. Il mène des recherches sur l’histoire et le présent de l’extrême droite en Allemagne ainsi que sur l’histoire allemande des 19e et 20e siècles.
Hubertus Heil (né en 1972) est un homme politique allemand du parti social-démocrate SPD. Nancy Faeser (née en 1970) est une juriste allemande et une politicienne du SPD. Vitali Wladimirowitsch Klitschko (1971) est un homme politique ukrainien, docteur en sciences du sport et ancien boxeur professionnel. Il y a dix ans, la presse allemande se réjouissait encore à propos de Klitschko : « Les Klitschko font, en bref, tout ce qu’il faut. Enchantée, notre âme allemande fait des culbutes lorsque Vitali répond par exemple en Amérique à la question de savoir pourquoi son fils s’appelle Max : « Parce que Max Schmeling était mon ami »»[5]. L’actuel maire de Kiev a reçu la Croix fédérale du mérite allemande en novembre 2013.
Faire ce qu’il faut
Les politiques et les médias, tout comme les historiens et les critiques littéraires, manquent d’éthique et de piété. Ernst Jünger ne correspond peut-être pas au système de normes des générations nées à partir de 1960. Mais ceux qui ont lu attentivement ses journaux ne voudront probablement pas le cataloguer comme un « être monstrueux et inhumain ». Contrairement à des personnes comme Hubertus Heil, Vitali Klitschko ou Nancy Faeser, Ernst Jünger réfléchit en effet et philosophe sur diverses morales, les analyse et les systématise, et examine et remet en question leurs fondements et leurs principes. C’est ce qui le distingue fondamentalement – à mon avis personnel – des personnes qui portent maintenant un jugement sur lui. Et c’est pourquoi le verre de Bordeaux qu’il tient à la main dans le moment qu’il décrit doit être jugé différemment que le verre de champagne sur le balcon à Kiev.
Une autre chose distingue Ernst Jünger de Heil, Faeser et Klitschko : contrairement aux hommes politiques de la génération 1970, il a essayé de faire ce qu’il fallait dans sa situation, dans son rôle – si possible. Cela fait de lui un homme de caractère. Conformément à l’enseignement de Confucius, on peut constater chez lui de la piété dans le sens du respect ou du sens du devoir. Ces dames et messieurs les politiques en Allemagne, en Ukraine et dans d’autres pays « occidentaux » en sont dépourvus. Ils auraient pourtant la possibilité d’intervenir réellement dans les événements, au lieu de se contenter de regarder, un verre de champagne à la main. En s’abstenant de le faire, ils se rendent également coupables.
P.S. : C’est ainsi que l’on peut comprendre la déclaration des dirigeants chinois sur la culpabilité de l’Occident dans le conflit ukrainien, si l’on tient compte de leur tradition de néoconfucianisme.
[1] https://twitter.com/mijoste/status/1551601006131257346?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1551601006131257346%7Ctwgr%5E%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.merkur.de%2Fpolitik%2Fukraine-news-bundesregierung-nancy-faeser-hubertus-heil-spd-vitali-klitschko-balkon-foto-sekt-russland-91690147.html
[2] https://www.merkur.de/politik/ukraine-news-bundesregierung-nancy-faeser-hubertus-heil-spd-vitali-klitschko-balkon-foto-sekt-russland-91690147.html
[3] https://migrate.lecourrierdesstrateges.fr/2022/07/13/de-leffondrement-allemand-et-des-consequences-a-en-tirer-pour-la-france-par-edouard-husson/
[4] https://www.youtube.com/watch?v=CpvHotwnSi4
[5] https://www.welt.de/sport/article7850989/Warum-die-Deutschen-die-Klitschko-Brueder-lieben.html
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Intéressante et audacieuse comparaison. Belle réflexion.
Autre différence entre Jünger et les politiciens allemands évoqués : le premier avait le sens du tragique. Rappelons au passage que Jünger n’était pas nazi et que Mitterrand le reçut à l’Elysée.
Mitterrand a reçu E. Jünger à l’Élysée. Cela me semble plutôt compromettant pour le grand écrivain allemand, non ?
Pour compléter le 1er commentaire :
Jünger, – dernier détenteur de la médaille “Pour le mérite” -, avait été soldat pendant le 1er conflit mondial : cette médaille, il ne l’avait pas volée. Contrairement aux guignols qui boivent du champagne, il savait ce qu’était la guerre et ainsi que toutes ses ambiguités :
– Lors d’un séjout à l’arrière, il réalisé que son patois de Hannovre et trés proche du Flamand.
– Lors de la bataille de la Somme, il se retrouve nez-à-nez avec un soldat hindou. Il réalise que l’homme en face de lui a traversé la moitié de la planète pour venir mourir dans la vallée de la Somme…..
Enfin en 1944, E. Jünger sait que son fils unique est mort en Italie.